Les voix contestataires du Groupement d’Agriculture Biologique de l’Ouest (1958-1961) – Des Ligériens au service de l’indépendance des paysans et de la santé du sol

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14 Nov
2022

Florian Rouzioux

Résumé

Quand ils décident de fonder le Groupement d’Agriculture Biologique de l’Ouest (GABO) en 1958, les premiers praticiens français de l’agriculture biologique ont à cœur de faire émerger une vision alternative de l’agriculture. Leur objectif est de convaincre les paysans ligériens de se détacher du modèle industriel en plein essor dans les petites exploitations de l’Ouest. Le maintien de l’indépendance technique et économique des agriculteurs sur le processus de fertilisation demeure la ligne directrice tandis que se développe en parallèle un discours sur les principes agrotechniques garantissant la bonne santé du sol. Cet article met au jour les voix contestataires des premiers membres de cette association ainsi que les références scientifiques, techniques et littéraires qui irriguent leur discours.

Détails

Chronologie : année 1950 – 1960
Lieux : France
Mots-clés : Origine de l’agriculture biologique – Histoire des techniques – Fertilisation organique – Sols vivants – Écologie – Engrais – Pesticides

Chronology: 1950s – 1960s
Location: France
Keywords: Origin of organic farming – History of techniques – Organic fertilisation – Living soils – Ecology – Fertilisers – Pesticides

Plan

I – Promouvoir l’indépendance technique et économique des agriculteurs sur le processus de fertilisation

1. Une « révolution silencieuse » qui change les mentalités paysannes

2. Un regroupement d’agriculteurs sceptiques face au virage agrochimique

3. Un septuagénaire en croisade contre les firmes agrochimiques

II – La naissance d’une agriculture attentive à la santé du sol

1. Une communauté scientifique au service des sols vivants

2. Un agriculteur atypique adepte d’écologie

III – Des ingénieurs inquiets des dommages collatéraux des pesticides

1. Des ingénieurs démissionnaires opposés aux pesticides

2. Alerter sur le “règne infernal des poisons"

Conclusion – Des références scientifiques, techniques et littéraires hétéroclites

Pour citer cet article

Référence électronique
Rouzioux Florian, “Les voix contestataires du Groupement d’Agriculture Biologique de l’Ouest (1958-1961) – Des Ligériens au service de l’indépendance des paysans et de la santé du sol", Revue de l’Association des Jeunes Chercheurs de l’Ouest [En ligne], n°2, 2022, mis en ligne le 14 novembre 2022, consulté le 29 mars 2024 à 5h59, URL : https://ajco49.fr/2022/11/14/les-voix-contestataires-du-groupement-dagriculture-biologique-de-louest-1958-1961-des-ligeriens-au-service-de-lindependance-des-paysans-et-de-la-sante-du-sol

L’Auteur

Florian Rouzioux

Droits d’auteur

Tous droits réservés à l’Association des Jeunes Chercheurs de l’Ouest.
Les propos tenus dans les travaux publiés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.

            Une représentation couramment admise associe l’origine de l’agriculture biologique en France à l’émergence du mouvement écologiste durant la décennie 1970. Bien que l’usage de l’expression fût effectivement restreint avant les années 1970, cette pratique agricole s’est pourtant construite plus d’une décennie plus tôt.

            C’est dans une aire géographique rassemblant les départements de Loire-Atlantique et du Maine-et-Loire que se formalise, à partir du 11 avril 1958, le Groupement Régional pour une Agriculture Biologique (GRAB). Première organisation centrée sur les méthodes de fertilisation biologique, cette association (loi 1901) regroupe à la fois des agriculteurs et des membres associés non-agriculteurs dont l’enjeu principal est de promouvoir une vision de l’agriculture en opposition aux méthodes agrochimiques couramment préconisées. Dès l’année suivante, les membres du GRAB décident de la rebaptiser l’association Groupement d’Agriculture Biologique de l’Ouest (GABO)[1].

            À travers les parcours et les paroles des figures majeures de cette association, l’enjeu de cet article est de contribuer à lever le voile sur une association méconnue de nos jours[2]. Du point de vue de la recherche universitaire, si les deux principales organisations promotrices de la fertilisation biologique dans les années 1960, la Maison Lemaire et l’association Nature et Progrès, ont récemment fait l’objet de quelques articles de la part de chercheurs en histoire ou en sociologie, ce n’est pas encore le cas du GABO[3]. La rareté des sources l’explique : le GABO a laissé peu de traces écrites dans sa courte période d’existence. À notre connaissance, cette association ne peut être appréhendée que par l’intermédiaire du fonds d’archives Raoul Lemaire[4], qui contient quelques exemplaires des tracts et comptes-rendus distribués aux adhérents. Pour écrire l’histoire du GABO, il faut aussi, d’une manière incontournable, s’intéresser aux principaux acteurs qui portent l’association. Pour cela, l’historien pourra trouver quelques correspondances et articles de presse utiles dans le fonds Raoul Lemaire[5].

            Cette contribution vise d’abord à mettre au jour les voix contestataires des premiers « gaboïstes[6] » vis-à-vis du modernisme agricole. Décidés à se détacher du système technique encouragé par les partisans de l’agriculture industrielle, ils revendiquent l’indépendance technique et économique des agriculteurs sur le processus de fertilisation. Mais au-delà de considérations économiques, leur objectif est aussi de rappeler ce qui leur paraît être le rôle social du paysan, à savoir le devoir de pourvoir à la santé et à l’équilibre biologique du sol. Résolument contestataires, leurs voix marient messages d’alerte et messages d’espoir de changement. Un autre enjeu de cette contribution est d’évoquer les références scientifiques, techniques et littéraires sur lesquels s’appuient ce collectif de Ligériens pour formaliser leur discours critique.

I. Promouvoir l’indépendance technique et économique des agriculteurs sur le processus de fertilisation

1. Une « révolution silencieuse » qui change les mentalités paysannes

            Dans l’espace français, le mouvement d’agriculture biologique apparaît dans un contexte de réaction au productivisme agricole. À partir de 1945, sous l’impulsion du plan Marshall et des politiques de développement agricole encouragées par les États-Unis, les fertilisants chimiques NPK (azote-phosphore-potassium) deviennent centraux dans l’agriculture ouest-européenne. Pour les paysans français, l’achat annuel d’engrais synthétiques devient un acte aussi banal que l’achat occasionnel de matériel agricole. En France, les industries agrochimiques connaissent un nouvel essor. Au premier rang d’entre elles figurent la société Pechiney ou encore l'Office National Industriel de l'Azote à Toulouse.

            Le recours croissant à la chimie agricole est aussi facilité par l’évolution des mentalités. Après une période douloureuse marquée par la guerre et ses privations, beaucoup de jeunes paysans français ont à cœur de se projeter vers la modernité. Beaucoup d’entre eux portent un traumatisme de la rudesse des conditions de travail et de vie qu’ont connus et que connaissent encore leurs parents paysans. Souhaitant sincèrement améliorer la condition paysanne, les jeunes générations deviennent dès lors très réceptives à la vision modernisatrice des pouvoirs publics et des journaux agricoles[7]. En effet, le discours modernisateur promet une importante hausse des rendements qui permettrait aux paysans de s’assurer de meilleures conditions d’existence à moyen terme[8]. Sous l’effet de l’intensification de la production, le paysan qui pratiquait avant-guerre une agriculture davantage tournée vers l’autoconsommation se mue progressivement en agriculteur-exploitant, c’est-à-dire en entrepreneur qui exploite le capital productif de sa terre[9].

            En conséquence, les paysans investissent dans le matériel agricole et les fertilisants et l’endettement devient la règle. Un libéralisme économique de nouvelle génération fait son entrée dans le monde agricole. Avec l’horizon dessiné par le traité de Rome qui acte la création de la Communauté économique européenne en 1957, les pouvoirs publics vantent les perspectives offertes par un marché agricole aux contours élargis. Dans son livre paru en 1963, Michel Debatisse, personnalité issue du syndicalisme chrétien et paysan, nomme cette modernisation agricole, qu’il considère comme nécessaire, la « révolution silencieuse »[10].

2. Un regroupement d’agriculteurs sceptiques face au virage agrochimique

            Malgré l’enthousiasme général que ce programme de modernité suscite, il ne séduit pas l’intégralité des acteurs agricoles. C’est le cas dans l’Ouest ligérien, où la présence historique de divers courants syndicaux d’opposition fait obstacle à une modernisation consensuelle. Dans ces zones rurales plus pauvres, l’influence des syndicats agricoles conservateurs dorgétiste et poujadiste demeure assez fort[11] et la FNSEA, le principal syndicat agricole au niveau national, ne parvient pas à s’imposer. L’Ouest ligérien est alors une région peuplée de nombreux paysans pratiquant la polyculture-élevage dans des fermes de taille modeste (de 10 à 20 hectares en moyenne). Les producteurs sont marqués, plus qu’ailleurs, par l’autoconsommation de leur production.

            Si on trouve quelques maraîchers nantais et vendéens parmi les premiers adhérents du GABO, on peut surtout identifier des paysans pratiquant la polyculture-élevage. Agriculteur à Boussay (Loire-Atlantique) dans une ferme de 15 hectares, Émile Barbaud a des doutes sur la vitesse à laquelle s’impose la modernité agricole. Président d’un CETA (Centre d'études techniques agricoles) il a ainsi l’occasion d’entrer en contact avec d’autres voix dissidentes. Frère Jean-Marie, un moine de l’Abbaye de Bellefontaine et conseiller-vulgarisateur agronomique auprès des paysans du Choletais, de même que Jean Boucher, un ingénieur horticole nantais qui tente de trouver des substituts naturels aux pesticides employés dans l’horticulture, sont des personnalités fortes qui n’hésitent pas s’entretenir longuement avec les paysans ligériens pour leur faire part de leurs propres interrogations sur les évolutions agrochimiques. C’est en grande partie sous l’impulsion de Jean Boucher qu’est créé le GRAB en avril 1958[12].

            Inquiets des épidémies de fièvre aphteuse et de tuberculose qui touchent les cheptels bovins, d’autres agriculteurs rejoignent l’association pour trouver des réponses à ces problèmes épidémiologiques ainsi que des solutions pour parer l’augmentation des frais vétérinaires qu’ils constatent suite à l’adoption des méthodes d’élevage modernes. Jean Boucher, secrétaire et principal animateur des réunions du GABO à partir de 1960, met en garde les agriculteurs contre l’augmentation des ces épidémies. Dans un tract de 1960, il ajoute que l’un des objectifs du GABO est précisément d’étudier le lien entre les causes de la dégradation des sols (monoculture, déboisement, labours profonds, idées reçues sur la croissance végétale) et l’aggravation des maladies dans les cultures, sur les cheptel et sur l’homme (cancer, maladies de la circulation, maladies nerveuses, poliomyélite) »[13]. Cette assertion, non étayée dans le tract, se rattache aux conclusions rendues par André Voisin dans Sol, herbe, cancer[14].

            Dès les premières réunions du GABO, le discours est axé sur la promotion de certaines pratiques ignorées ou déconsidérées : compostage en tas d’un fumier enrichi de paille, rotation systématique des cultures, recours à des cultures dérobées enfouies comme engrais vert, sous-solage préféré au labour, emploi d’amendements marins (maërl) dans les litières et sur le sol, les perspectives pratiques ne sont pas dépourvues d’innovations.

            C’est avec cet éventail de propositions agrotechniques que les animateurs du GABO espèrent convaincre les paysans et les consommateurs de la région de rejoindre le front ouvert par les théoriciens-praticiens de l’agriculture biologique. Dans un tract de 1959, Jean Boucher insiste sur le caractère alternatif de la méthode préconisée :

            « L’Agriculture biologique a pour but de développer la véritable fertilité du sol basée sur l’humus, et d’obtenir de hauts rendements en récoltes et en bétail, avec une qualité de produits et une résistance aux maladies que ne peuvent donner ni certaines pratiques négligentes d’autrefois, ni les méthodes couramment utilisées aujourd’hui. »[15].

            À cette période, les gaboïstes ne parviennent à réunir que quelques dizaines de participants lors de réunions organisées à l’initiative spontanée des adhérents. Jean Brosseau, agriculteur à Joué-sur-Erdre (Loire-Atlantique), accueille en novembre 1959, trente agriculteurs à sa ferme pour présenter le projet de l’association. D’après l’unique liste d’adhérents conservée pour cette période, on sait que le GABO est composé de soixante-six adhérents en juillet 1959. La première moitié regroupe des agriculteurs quand la seconde est composée de membres dits associés, non-agriculteurs.

Localisation des fermes des adhérents-agriculteurs du GABO localisés en Loire-Atlantique et Maine-et-Loire, d’après la liste du 25 juillet 1959

Fig. 1. Localisation des fermes des adhérents-agriculteurs du GABO localisés en Loire-Atlantique et Maine-et-Loire, d’après la liste du 25 juillet 1959.

3. Un septuagénaire en croisade contre les firmes agrochimiques

            En septembre 1959, un entrepreneur Angevin décide d’adhérer au GABO. Âgé de soixante-quinze ans, Raoul Lemaire possède une certaine notoriété dans le monde agricole. Il s’est fait une bonne place dans la sélection et l’obtention de blés à haute valeur boulangère dont la qualité est reconnue. Homme tourmenté par des déboires juridiques passés, il a développé un profond ressentiment et un profond scepticisme envers l’État et les politiques publiques en matière agricole qu’il juge dirigistes. En parallèle, Raoul Lemaire mène une croisade contre l’essor des grandes firmes céréalières qui nuisent à ses propres affaires commerciales. À la tête de l’Union de Défense des Agriculteurs de France (UDAF), la branche agricole du mouvement poujadiste, il voudrait élever la figure symbolique du petit paysan par-dessus celle de l’agriculteur professionnel dont les objectifs de modernité lui valent de s’écarter des valeurs rurales traditionnelles[16].

            Du point de vue de Raoul Lemaire, les objectifs pratiques du GABO semblent pouvoir se marier aux idéaux socio-politiques qu’il défend. L’affirmation de l’autonomie des paysans vis-à-vis d’une tutelle insidieuse des firmes agrochimiques peut servir l’enracinement d’une paysannerie française dont la structure tend à se déliter sous l’effet conjoint de l’exode rural et de la montée en puissance des firmes agro-industrielles. À la critique du système technique se mêle une critique sociale tirant la sonnette d’alarme à propos de la disparition du monde paysan[17]. Raoul Lemaire est de loin la personnalité qui tient le discours le plus politique au sein du GABO. S’il amène un discours idéologique, il souhaite avant tout apporter son concours à la cause agrobiologique par une réalisation concrète.

            Son projet est de tester les propriétés du maërl, un dépôt littoral formé de sable coquillé et de débris de lithothamne (une algue calcaire riche en magnésium et en oligo-éléments). L’emploi du maërl est perçu comme une solution naturelle d’avenir permettant de s’abstenir de l’emploi des engrais et des pesticides synthétiques. Son intuition provient des conclusions d’un vétérinaire, Monsieur de Croutte, qui a témoigné par deux fois des propriétés exceptionnelles du maërl devant l’Académie d’Agriculture. Résolu à confirmer le potentiel curatif de cet amendement marin, Raoul Lemaire décide de l’utiliser sur ses propres blés avec le concours de l’Abbaye de Bellefontaine[18]. Dans la mesure où il souhaite rapidement expérimenter le maërl à plus large échelle, les gaboïstes deviennent dès lors des partenaires potentiels avec lesquels il peut s’associer pour continuer ses expérimentations.

            À travers les paroles et les actes des agriculteurs et des membres associés du GABO, on comprend à quel point l’indépendance technique et économique du paysan vis-à-vis des frimes agro-industrielles et sa capacité à maîtriser son processus de fertilisation sont au cœur des défis qu’entendent relever les gaboïstes.

II. La naissance d’une agriculture attentive à la santé du sol

1. Une communauté scientifique au service des sols vivants

            Si les paysans fondateurs du GRAB choisissent de faire référence à l’expression « agriculture biologique » pour nommer leur association, c’est en raison du discours déterminant relayé par une communauté scientifique soucieuse du potentiel apporté par les matières organiques dans le processus de fertilisation[19]. Parmi les personnalités ayant mené cette réflexion figurent des membres de l'Académie d'Agriculture qui s’intéressent de près à la microbiologie du sol. Albert Demolon (1881-1954), ancien président de l'Académie d'Agriculture, est un des premiers agronomes français à remettre en cause le principe de la fertilisation réalisée exclusivement à base d’engrais chimiques. Ses recherches portent sur le rôle de l’humus, cette couche du sol riche en matières organiques dont la présence garantit la fertilité organique des sols. Pour lui, le sol n’est pas un simple support pour les plantes ; c’est un milieu vivant, siège de transformations quasi-permanentes par l’action des micro-organismes (bactéries, champignons) et de tous les êtres vivants (lombriciens) qui en constituent une part importante.

            Avec ses recherches, Albert Demolon inaugure un courant d’étude qui considère les sols comme vivants. Comme l’Institut national de la recherche agronomique marginalise cette approche scientifique, plusieurs collectifs se créent pour tenter de la développer[20]. En 1951, d’importants membres de l’Académie d’Agriculture fondent l’Association pour l’Étude de la Fertilité Vivante des Sol. En 1952, des médecins engagés contre les dérives de l’artificialisation croissante de l’alimentation créent l’Association Française pour la Recherche d’une Alimentation Normale (AFRAN). L’AFRAN représente un projet de réflexivité scientifique à la fois sur les techniques modernes utilisées dans l’agriculture et à la fois sur les techniques de transformations alimentaires[21]. En conséquence, ses membres s’intéressent à la qualité de l’alimentation en considérant aussi bien l’amont et l’aval.

            Cette communauté scientifique des sols vivants réunit des savants issus des mondes médical et agronomique. Ils collaborent au sein d’un bulletin, Sol-Alimentation-Santé, qui établit un lien étroit entre l’équilibre biologique du sol, la qualité de l’alimentation qui en est issue et la santé humaine. Les articles signés par ces différents acteurs jouent un rôle essentiel dans l’éducation des premiers praticiens de l’agriculture biologique en France. En effet, les futurs meneurs du GABO sont abonnés à la revue de l’AFRAN. En décembre 1957, ils découvrent ainsi un numéro spécial de la revue centré sur l’humus dans lequel on démontre le bien-fondé d’une « agriculture biologique » reposant sur une fertilisation tantôt qualifiée d’« organique », tantôt qualifiée de « biologique »[22]. Ce lexique se retrouve bel et bien dans les statuts du GRAB qui est créé quelques mois après la sortie du numéro. En effet, les adhérents se donnent en autres pour mission de « vulgariser par tous les moyens, en particulier par l’éducation rurale, les méthodes propres à l’amélioration biologique des sols »[23].

            Si les réflexions françaises sont déterminantes pour les meneurs du GABO, l’association s’inscrit dans le même temps dans la filiation de la Soil Association, association anglaise née en 1946 et première organisation à expérimenter de manière continuelle la fertilisation organique depuis le domaine expérimental d’Haughley (Suffolk). Edmond Cussoneau, président du GABO, ne manque pas de vanter les mérites des praticiens anglais de l’agriculture biologique.

2. Un agriculteur atypique adepte d’écologie

            Agriculteur installé à Échemiré (Maine-et-Loire), Edmond Cussoneau fait certainement partie des paysans à s’être précocement engagé dans une conception biologique de l’agriculture. Interrogé par un journaliste du Courrier de l’Ouest, il déclare appliquer la méthode organo-biologique dans sa ferme depuis 1949[24]. Dans les années 1950, il est à la fois en lien avec l’Association pour l’Étude de la Fertilité Vivante des Sols tout en étant adhérant à la Soil Association.

            Le parcours d’Edmond Cussoneau est plutôt atypique pour la période. Avant de s’installer comme agriculteur à proximité de son lieu de naissance, Edmond Cussoneau est maître d’hôtel à Paris. D’origine modeste, il a la possibilité de poursuivre l’école au-delà du certificat d’étude et de voyager en Angleterre grâce à l’attachement que lui témoigne le châtelain qui emploie sa mère. De ce fait, il maîtrise l’anglais. Son érudition et sa force de conviction lui valent d’être désigné président du GABO en 1959. Bien que le mouvement d’agriculture biologique demeure dans sa phase embryonnaire en France, Edmond Cussoneau se démarque par sa vision globalisante de l’agriculture. Féru de lecture, il possède certainement la bibliothèque la plus renseignée de l’Ouest sur les pratiques agrobiologiques. Il connaît avec précision les principes de culture appliqués par un disciple d’Albert Howard, le fermier anglais Friend Sykes (1888–1965). Soutien enthousiaste de Friend Sykes, Edmond Cussoneau réalise des traductions d’extraits de son dernier livre[25], lesquelles paraissent dans la revue Qualité, Loyauté, Santé Françaises à laquelle il collabore[26].

            Ses nombreuses lectures lui valent de percevoir les dommages qui se cachent derrière le modèle agrochimique. Il se passionne pour les écrits d’André Voisin (1903-1964), agronome et biologiste qui avance dans ses travaux que la santé des plantes, des animaux et des hommes dépend directement de l’équilibre du sol. Dans une revue, Edmond Cussoneau rapporte s’être intéressé à l’approche biologique au travers de la géographie humaine de Maximilien Sorre (1880-1962), un géographe-écologue à la posture scientifique englobante, ayant pour objectif de prendre la pleine mesure des relations entre l’homme et son environnement[27]. Par ailleurs, Edmond Cussoneau a été marqué par la lecture de Destruction et protection de la nature de Roger Heim (1900-1979), livre-manifeste de 1952 qui entend sensibiliser le public à la fragilité de la vie, à la dégradation des milieux et au désordre des relations entre les hommes et la planète[28].

            Les convictions plus intimes d’Edmond Cussoneau, celles qui expliquent en partie sa volonté de s’engager au GABO, se retrouvent dans ses correspondances. Dans l’une d’elles, il se dit meurtri par les actions égoïstes de ceux qui ne pensent qu’à poursuivre la course aux rendements et à l’argent « au détriment de la vie future »[29]. Il craint que l’accaparement croissant des ressources ne finisse par précipiter la perte de l’homme :

            « Si nous ne nous décidons pas à nous adapter aux directives imposées par la limitation des ressources de notre milieu naturel (écologie), nous ferons aussi bien d’abandonner tout espoir de conserver une existence civilisée. »[30].

            Ainsi, par la voix d’Edmond Cussoneau, un discours propre à la nécessité de préserver les ressources et les milieux se fait très tôt entendre dans les rangs du GABO. À la lueur de ce discours, on comprend qu’au-delà de la question de l’indépendance technique et économique de l’agriculteur vis-à-vis de l’agrochimie, des enjeux plus globaux se font jour au sein du mouvement.

Portraits du GABO

Fig. 2. Portraits du GABO.

III. Des ingénieurs inquiets des dommages collatéraux des pesticides

1. Des ingénieurs démissionnaires opposés aux pesticides

            Pour l’obtention de conseils agronomiques, les paysans du GABO peuvent compter sur deux ingénieurs qui s’engagent activement dans l’association. Jean Boucher et André Louis ont pour point commun de percevoir le caractère destructeur des pesticides de synthèse qui, au-delà de s’en prendre aux parasites des cultures, entraînent la disparition de certaines espèces animales.

            Ingénieur horticole à la suite de ses études à l’École Nationale d’Horticulture de Versailles, Jean Boucher travaille au Service de la Protection des Végétaux de Nantes avant de rejoindre le GABO[31]. C’est dans ce service qu’il a pris part à l'expérimentation des pesticides organiques de synthèse. Conquis, dans un premier temps, par ces nouveaux produits qui semblent prouver leur efficacité, il est néanmoins témoin d’une première déconvenue. Un jour, il constate que des araignées rouges envahissent des vergers pourtant traités au pesticide DDT. Ce premier évènement l’invite à douter de l’efficacité véritable de ces produits. Étant donné que ses idées vont de plus en plus à rebours des orientations chimiques qui s’imposent dans la protection des végétaux, Jean Boucher finit par entrer en conflit avec son chef de service à Nantes. Convoqué devant un conseil de discipline, il est un temps écarté avant que lui-même ne prenne la décision de démissionner. Sa démission prononcée, il se consacre pleinement au GABO pour en devenir le secrétaire et le principal animateur.

            Sorti de l’Institut National Agronomique de Paris avec le diplôme d’ingénieur agronome, André Louis est un spécialiste d’arboriculture[32]. Ne pouvant se résoudre à agir contre ses principes, il préfère démissionner de son poste de Directeur des Services Agricoles de Charente. Il ne souhaitait plus être acteur des directives modernistes commandées par le ministère de l’Agriculture. Quand il décide d’adhérer au GABO, il est professeur d’agronomie dans un lycée agricole à Blanquefort (Gironde). Même s’il ne réside pas en pays ligérien, André Louis suit de près l’évolution du GABO. Il instruit ses membres sur la mortalité préoccupante des espèces animales sauvages qui peuplent les campagnes françaises, notamment les rapaces.

            André Louis prône une vision résolument humaniste des sciences et des techniques. Ce que ses contemporains nomment le progrès scientifique et technique possède selon lui des limites qu’il faut révéler. Sur ces sujets, il estime Jacques Ellul (1912-1994), auteur de La Technique ou l'Enjeu du siècle. Dans ce livre paru en 1954, Jacques Ellul pose le problème du changement de nature de la technique dans la société. Outil permettant à l'homme de se dépasser, la technique est devenue un processus autonome auquel l'homme est assujetti malgré lui. Pour André Louis, les pesticides représentent un cas d’école. Vendus aux paysans comme un progrès, ces produits se révèlent être en vérité nuisibles aux hommes qu’ils sont pourtant censés libérer des contraintes.

2. Alerter sur le “règne infernal des poisons"

            Si une partie du grand public français découvre les effets dommageables des pesticides en 1963, après la sortie du premier ouvrage majeur centré sur le sujet, Printemps silencieux, de la biologiste américaine Rachel Carson (1907-1964), certains gaboïstes connaissent déjà bien ces questions. Louis-Claude Vincent, ingénieur hydrologue, et Jeanne Rousseau, docteur en pharmacie installée à Nantes, sont tous deux membres du GABO. Dans un article qu’ils co-signent, ils lancent une diatribe contre les pesticides de synthèse :

            « A vous paysans de France, qui désertez vos terres, à vous consommateurs, empoisonnés chaque jour à petit feu par les ingrédients chimiques qui dénaturent notre sol et les produits qui en sont issus, nous lançons un pressant appel, pour demander aux uns de restaurer et sauvegarder la fertilité de leur sol, et aux autres d’exiger des produits sains issus d’une terre saine.

            […] Le règne infernal des poisons est désormais instauré. A peine un parasite est-il détruit, à peine nos agronomes ont-ils le temps de chanter victoire, que déjà renaît l’inquiétude, avec l’apparition d’un parasite nouveau, suscitant des recherches nouvelles, afin de pouvoir l’exterminer à son tour. Et ainsi disparaissent progressivement et inéluctablement, sous l’effet des poisons, les abeilles et les oiseaux, ces auxiliaires précieux de notre Agriculture. ».[33]

            L’assimilation des pesticides à des poisons pour les insectes, les animaux ainsi que pour les hommes est alors une idée tout à fait neuve. Cette métaphore circule uniquement dans le milieu apicole. À la suite des premiers traitements sur les cultures de colza à partir de 1946, un arsenal juridique, scientifique et rhétorique invisibilisant les résistances des apiculteurs à la généralisation des traitements phytosanitaires permet une installation et une légitimation durable des biocides sur les territoires[34].

            La voix technocritique de Jeanne Rousseau séduit au sein du GABO. Raoul Lemaire avoue être impressionné par l’honnêteté scientifique qui se dégage de son argumentation. De son côté, Edmond Cussoneau lui reconnaît une haute intelligence et des connaissances polyvalentes favorables à la compréhension de la complexité des transformations qui se déroulent dans le sol[35]. Jeanne Rousseau s’investit un temps dans le GABO. Avec l’aide d’Edmond Cussoneau, elle réalise des supports pédagogiques qui doivent servir à expliquer les principes de la culture biologique lors des réunions d’informations.

Support pédagogique réalisé par Jeanne Rousseau. Edmond Cussoneau a tenu à ajouter la mention « organo-biologique » sur le support qu’il a conservé

Fig. 2. Support pédagogique réalisé par Jeanne Rousseau. Edmond Cussoneau a tenu à ajouter la mention « organo-biologique » sur le support qu’il a conservé.

            Néanmoins, Jeanne Rousseau finit par prendre ses distances avec l’association. Elle concède ne plus adhérer aux arguments de Jean Boucher, ni à la propagande commerciale, ni aux arguments faussement scientifiques relayés par Raoul Lemaire sur les propriétés du maërl[36]. En effet, Raoul Lemaire, qui souhaite avant tout convaincre et interpeler les agriculteurs, vante maladroitement les bienfaits du maërl tout autant qu’il surestime nettement ses avantages.

            Dans les faits, le GABO peine à s’élargir. Cependant, au moins de juin 1961, le GABO trouve un nouveau souffle à l’occasion de la constitution d’un groupement apparenté dans le Lot-et-Garonne. Lors de la jonction qui s’effectue avec ce nouveau groupement régional, l’association finit par changer de nom. Pour épouser l’ambition d’une structuration de l’association à un niveau national, le GABO est rebaptisé Association Française d’Agriculture Biologique (AFAB).

Conclusion : Des références scientifiques, techniques et littéraires hétéroclites

            Qu’ils soient agriculteurs ou membres associés, les premiers adhérents du Groupement d'Agriculture Biologique de l'Ouest conservaient un lien fort avec le travail de la terre et plus généralement avec la nature et le vivant. Cette vision les pousse à se mettre au service de la santé d’un sol perçu comme un organisme vivant et à vouloir se détacher des pratiques agro-industrielles vers lesquelles l’agriculture française se dirige. Le socle de leur engagement repose sur des propositions techniques alternatives qui ont pour objectif d’améliorer significativement les pratiques dites traditionnelles tout en permettant à l’agriculteur de conserver une autonomie suffisante dans son processus de fertilisation. Aussi, les gaboïstes ne sauraient être placés dans une case idéologique précise. Si certains tiennent un discours politique tranché, la majorité des adhérents sont avant tout mués par le désir de trouver des solutions techniques à même de répondre aux problèmes rencontrés par les paysans de l’Ouest. Leurs voix contestataires sont imprégnées de références scientifiques, techniques et littéraires hétéroclites, références qui ont pour point commun qu’elles se situent presque toutes en marge des milieux institutionnels.

[1] Le cadre chronologique de cet article s’étend sur une période de trois années du 11 avril 1958 (création du GRAB) au 18 juin 1961 lorsque l’association change une seconde fois de nom et devient l’Association Française d’Agriculture Biologique (AFAB).

[2] Même au sein du mouvement bio actuel, seule la date de création de cette association apparaît dans les historiques des organisations fondatrices du bio en France (Nature et Progrès, Fédération Nationale d'Agriculture Biologique).

[3] WOSS Nicolas, « Un monde agricole insoumis : agriculture biologique et agrarisme à travers la revue Nature et progrès (1964-1974) », dans Cornu Pierre et Mayaud Jean-Luc (dir.), Au nom de la terre. Agrarisme et agrariens en France et en Europe du XIXe siècle à nos jours, Paris, La Boutique de l’histoire, 2007, p. 349-360. NICOLAS Frédéric, « Une croisade morale inachevée. La représentation des mondes agricoles dans le journal Agriculture et Vie », Études rurales, n°198, 2016, p. 97-114. TRESPEUCH-BERTHELOT Anna, « La genèse de l’agriculture biologique en France et en Allemagne de l’entre-deux-guerres aux années 1970 : circulations transnationales et cultures politiques », in Olivier Hanse, Annette Lensing, Birgit Metzger (dir.), Mission Ecologie, Tensions entre conservatisme et progressisme dans une perspective franco-allemande, Peter Lang, Bruxelles, 2018, p. 91-114. BIVAR Venus, « La modernisation agricole française d’après 1945 : politiques et contestations », in Lyautey Margot, Humbert Léna, Bonneuil Christophe (dir.), Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021, p. 242-254. VRIGNON Alexis, « L’agrobiologie face à la modernisation agricole. Nature et Progrès, de 1964 au début des années 80 in Lyautey Margot, Humbert Léna, Bonneuil Christophe (dir.), Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021, p. 256-270.
[4] Fonds Raoul Lemaire, FRAC 49007- 42 J 1- 301 [8,45 mètres linéaires], Archives patrimoniales d’Angers, Repaire Urbain, 35 boulevard du Roi René, Angers. Ce fonds a été déposé en 2007 à la suite d’un don de Jean-François Lemaire, un des fils de Raoul Lemaire. La cote utile à notre présent article sur le GABO est la 42 J 186.
[5] Mon mémoire de Master 1 est consacré au GABO et à sa suite l’AFAB. Florian Rouzioux, À la recherche d’une agriculture alternative à l’époque de la modernisation agricole. Le développement de la première organisation agrobiologique française, 1958-1964, Mémoire de Master 1 sous la direction d’Oghina-Pavie Cristiana, Angers, Université d’Angers, 2019.
[6] Les membres du GABO. L’expression est employée dans quelques correspondances.

[7] LYAUTEY Margot, HUMBERT Léna, BONNEUIL Christophe (dir.), Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021.
[8] Il s’agit également de susciter l’orgueil patriotique des paysans en les invitant à concourir collectivement à l’autosuffisance alimentaire de la nation.
[9] GERVAIS Michel, JOLLIVET Marcel et TAVERNIER Yves, La fin de la France paysanne, Tome 4 de Histoire de la France rurale, DUBY Georges et WALLON Armand (dir.), Paris, France, Éditions du Seuil, 1976.

[10] Debatisse Michel et Bloch-Lainé François, La révolution silencieuse : le combat des paysans, Paris, France, Calmann-Lévy, 1963.

[11] Henri Dorgères, président des Comités de défense paysanne, et Pierre Poujade, président de l’Union de défense des agriculteurs de France, s’unissent en 1957 au sein du Rassemblement Paysan, un mouvement syndical d’opposition prônant une vision conservatrice du monde paysan.

[12] Archives Municipales d’Angers, 43 J 100, Statuts du Groupement Régional pour une Agriculture Biologique, 11 avril 1958.

[13] Archives municipales d’Angers, 42 J 186, tract « Bulletin d’adhésion GABO », Jean Boucher, 1960.
[14] VOISIN André, Sol, herbe, cancer : la santé de l’animal et de l’homme dépend de l’équilibre du sol, Paris, Maison rustique, 1959. André Voisin sera une référence agronomique majeure pour les meneurs du mouvement agrobiologique français dans les années 1960. Une de ces citations sera abondamment reprise : “De l’équilibre du sol dépend la santé de l’animal et de l’homme".

[15] Archives municipales d’Angers, 42 J 186, tract « Principes d’Agriculture Biologique », Jean Boucher, 1959.

[16] NICOLAS Frédéric, « Une croisade morale inachevée. La représentation des mondes agricoles dans le journal Agriculture et Vie », Études rurales, n°198, 2016, p. 108.

[17] TRESPEUCH-BERTHELOT Anna, « La genèse de l’agriculture biologique en France et en Allemagne de l’entre-deux-guerres aux années 1970 : circulations transnationales et cultures politiques », in HANSE Olivier (dir.), Mission Ecologie, Tensions entre conservatisme et progressisme dans une perspective franco-allemande, Peter Lang, Bruxelles, 2018, p. 102.

[18] CADIOU Pierre, MATHIEU-GAUDROT Françoise et LEFEBVRE André, L’agriculture biologique en France : écologie ou mythologie, Grenoble, France, Presses Universitaires de Grenoble, 1975, p. 25.

[19] Dans sa thèse en Histoire des sciences et techniques, Céline Pessis a mis en lumière les critiques scientifiques formulées dès les années 1940 par ces savants à l’encontre du recours souvent abusif aux engrais et pesticides. PESSIS Céline, Défendre la terre. Scientifiques critiques et mobilisations environnementales des années 1940 aux années 1970, Thèse de doctorat en Histoire des sciences et techniques sous la direction de Sourbès-Verger Isabelle, EHESS, 2019.

[20] PESSIS Céline, « Histoire des “sols vivants" », Revue d’anthropologie des connaissances, [En ligne], 14-4, 2020, mis en ligne le 01 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rac/12437

[21] LEPILLER Olivier, « Chasser le naturel : l’évolution de la notion de naturalité dans l’alimentation à travers les livres français de diététique “naturelle" depuis 1945 » in BARLOSIUS Eva (dir.), Le choix des aliments. Informations et pratiques alimentaires. De la fin du Moyen Âge à nos jours, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 97-119.

[22] AFRAN, « Terre vivante : notions théoriques et pratiques sur l’humus », L’Alimentation normale, décembre 1957.

[23] Archives Municipales d’Angers, 43 J 100, Statuts du Groupement Régional pour une Agriculture Biologique, 11 avril 1958.

[24] « A l’Ouest du nouveau avec… LA CULTURE BIOLOGIQUE », Courrier de l’Ouest, 5 juillet 1960.

[25] SYKES Friend, Modern humus farming, Faber and Faber, 1959.
[26] Edmond Cussoneau écrit des articles pour la revue Qualité, Loyauté, Santé Françaises. En 1960, cette revue est distribuée aux gaboïstes dès lors qu’ils se sont acquittés de leur cotisation annuelle.

[27] Soil Association, Mother Earth, July 1968, p. 126.

[28] HEIM Roger, Destruction et protection de la nature, Muséum d’Histoire naturelle, 1952.

[29] Archives Municipales d’Angers, 42 J 186, Lettre d’Edmond Cussoneau à Raoul Lemaire, 15 janvier 1960.

[30] Archives Municipales d’Angers, 42 J 186, Lettre d’Edmond Cussoneau à Raoul Lemaire, 27 mai 1960. Il dit citer le sous-directeur du Service de conservation des Sols du ministère de l’Agriculture des États-Unis.

[31] BOUCHER Jean, Une véritable agriculture biologique, AFAB, Nantes, 1992, p. 13.

[32] GOBBI Gérald, André-Henri Louis (1901-1970). Un agronome anticonformiste de l’après-guerre, Edition privée, 2011.

[33] Archives Municipales d’Angers, 42 J 186, « Etude du sol » par Louis-Claude Vincent et Jeanne Rousseau, 25 novembre 1958. Des copies de cet article ont dû être adressé à tous les membres du GABO.

[34] HUMBERT Léna, « Protéger les abeilles et moderniser l’agriculture. L’intégration des intoxications comme dégâts inévitables du développement agricole (1945-1960) », in LYAUTEY Margot, HUMBERT Léna, BONNEUIL Christophe (dir.), Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021, p. 249-264.

[35] Archives Municipales d’Angers, 42 J 186, Lettre de Cussoneau à Mme Feyler, 5 avril 1961.

[36] Archives Municipales d’Angers, 42 J 186, Lettre de Jeanne Rousseau à Mme Feyler, 20 mars 1961.

            Une représentation couramment admise associe l’origine de l’agriculture biologique en France à l’émergence du mouvement écologiste durant la décennie 1970. Bien que l’usage de l’expression fût effectivement restreint avant les années 1970, cette pratique agricole s’est pourtant construite plus d’une décennie plus tôt.

            C’est dans une aire géographique rassemblant les départements de Loire-Atlantique et du Maine-et-Loire que se formalise, à partir du 11 avril 1958, le Groupement Régional pour une Agriculture Biologique (GRAB). Première organisation centrée sur les méthodes de fertilisation biologique, cette association (loi 1901) regroupe à la fois des agriculteurs et des membres associés non-agriculteurs dont l’enjeu principal est de promouvoir une vision de l’agriculture en opposition aux méthodes agrochimiques couramment préconisées. Dès l’année suivante, les membres du GRAB décident de la rebaptiser l’association Groupement d’Agriculture Biologique de l’Ouest (GABO)[1].

            À travers les parcours et les paroles des figures majeures de cette association, l’enjeu de cet article est de contribuer à lever le voile sur une association méconnue de nos jours[2]. Du point de vue de la recherche universitaire, si les deux principales organisations promotrices de la fertilisation biologique dans les années 1960, la Maison Lemaire et l’association Nature et Progrès, ont récemment fait l’objet de quelques articles de la part de chercheurs en histoire ou en sociologie, ce n’est pas encore le cas du GABO[3]. La rareté des sources l’explique : le GABO a laissé peu de traces écrites dans sa courte période d’existence. À notre connaissance, cette association ne peut être appréhendée que par l’intermédiaire du fonds d’archives Raoul Lemaire[4], qui contient quelques exemplaires des tracts et comptes-rendus distribués aux adhérents. Pour écrire l’histoire du GABO, il faut aussi, d’une manière incontournable, s’intéresser aux principaux acteurs qui portent l’association. Pour cela, l’historien pourra trouver quelques correspondances et articles de presse utiles dans le fonds Raoul Lemaire[5].

            Cette contribution vise d’abord à mettre au jour les voix contestataires des premiers « gaboïstes[6] » vis-à-vis du modernisme agricole. Décidés à se détacher du système technique encouragé par les partisans de l’agriculture industrielle, ils revendiquent l’indépendance technique et économique des agriculteurs sur le processus de fertilisation. Mais au-delà de considérations économiques, leur objectif est aussi de rappeler ce qui leur paraît être le rôle social du paysan, à savoir le devoir de pourvoir à la santé et à l’équilibre biologique du sol. Résolument contestataires, leurs voix marient messages d’alerte et messages d’espoir de changement. Un autre enjeu de cette contribution est d’évoquer les références scientifiques, techniques et littéraires sur lesquels s’appuient ce collectif de Ligériens pour formaliser leur discours critique.

I. Promouvoir l’indépendance technique et économique des agriculteurs sur le processus de fertilisation

1. Une « révolution silencieuse » qui change les mentalités paysannes

            Dans l’espace français, le mouvement d’agriculture biologique apparaît dans un contexte de réaction au productivisme agricole. À partir de 1945, sous l’impulsion du plan Marshall et des politiques de développement agricole encouragées par les États-Unis, les fertilisants chimiques NPK (azote-phosphore-potassium) deviennent centraux dans l’agriculture ouest-européenne. Pour les paysans français, l’achat annuel d’engrais synthétiques devient un acte aussi banal que l’achat occasionnel de matériel agricole. En France, les industries agrochimiques connaissent un nouvel essor. Au premier rang d’entre elles figurent la société Pechiney ou encore l'Office National Industriel de l'Azote à Toulouse.

            Le recours croissant à la chimie agricole est aussi facilité par l’évolution des mentalités. Après une période douloureuse marquée par la guerre et ses privations, beaucoup de jeunes paysans français ont à cœur de se projeter vers la modernité. Beaucoup d’entre eux portent un traumatisme de la rudesse des conditions de travail et de vie qu’ont connus et que connaissent encore leurs parents paysans. Souhaitant sincèrement améliorer la condition paysanne, les jeunes générations deviennent dès lors très réceptives à la vision modernisatrice des pouvoirs publics et des journaux agricoles[7]. En effet, le discours modernisateur promet une importante hausse des rendements qui permettrait aux paysans de s’assurer de meilleures conditions d’existence à moyen terme[8]. Sous l’effet de l’intensification de la production, le paysan qui pratiquait avant-guerre une agriculture davantage tournée vers l’autoconsommation se mue progressivement en agriculteur-exploitant, c’est-à-dire en entrepreneur qui exploite le capital productif de sa terre[9].

            En conséquence, les paysans investissent dans le matériel agricole et les fertilisants et l’endettement devient la règle. Un libéralisme économique de nouvelle génération fait son entrée dans le monde agricole. Avec l’horizon dessiné par le traité de Rome qui acte la création de la Communauté économique européenne en 1957, les pouvoirs publics vantent les perspectives offertes par un marché agricole aux contours élargis. Dans son livre paru en 1963, Michel Debatisse, personnalité issue du syndicalisme chrétien et paysan, nomme cette modernisation agricole, qu’il considère comme nécessaire, la « révolution silencieuse »[10].

2. Un regroupement d’agriculteurs sceptiques face au virage agrochimique

            Malgré l’enthousiasme général que ce programme de modernité suscite, il ne séduit pas l’intégralité des acteurs agricoles. C’est le cas dans l’Ouest ligérien, où la présence historique de divers courants syndicaux d’opposition fait obstacle à une modernisation consensuelle. Dans ces zones rurales plus pauvres, l’influence des syndicats agricoles conservateurs dorgétiste et poujadiste demeure assez fort[11] et la FNSEA, le principal syndicat agricole au niveau national, ne parvient pas à s’imposer. L’Ouest ligérien est alors une région peuplée de nombreux paysans pratiquant la polyculture-élevage dans des fermes de taille modeste (de 10 à 20 hectares en moyenne). Les producteurs sont marqués, plus qu’ailleurs, par l’autoconsommation de leur production.

            Si on trouve quelques maraîchers nantais et vendéens parmi les premiers adhérents du GABO, on peut surtout identifier des paysans pratiquant la polyculture-élevage. Agriculteur à Boussay (Loire-Atlantique) dans une ferme de 15 hectares, Émile Barbaud a des doutes sur la vitesse à laquelle s’impose la modernité agricole. Président d’un CETA (Centre d'études techniques agricoles) il a ainsi l’occasion d’entrer en contact avec d’autres voix dissidentes. Frère Jean-Marie, un moine de l’Abbaye de Bellefontaine et conseiller-vulgarisateur agronomique auprès des paysans du Choletais, de même que Jean Boucher, un ingénieur horticole nantais qui tente de trouver des substituts naturels aux pesticides employés dans l’horticulture, sont des personnalités fortes qui n’hésitent pas s’entretenir longuement avec les paysans ligériens pour leur faire part de leurs propres interrogations sur les évolutions agrochimiques. C’est en grande partie sous l’impulsion de Jean Boucher qu’est créé le GRAB en avril 1958[12].

            Inquiets des épidémies de fièvre aphteuse et de tuberculose qui touchent les cheptels bovins, d’autres agriculteurs rejoignent l’association pour trouver des réponses à ces problèmes épidémiologiques ainsi que des solutions pour parer l’augmentation des frais vétérinaires qu’ils constatent suite à l’adoption des méthodes d’élevage modernes. Jean Boucher, secrétaire et principal animateur des réunions du GABO à partir de 1960, met en garde les agriculteurs contre l’augmentation des ces épidémies. Dans un tract de 1960, il ajoute que l’un des objectifs du GABO est précisément d’étudier le lien entre les causes de la dégradation des sols (monoculture, déboisement, labours profonds, idées reçues sur la croissance végétale) et l’aggravation des maladies dans les cultures, sur les cheptel et sur l’homme (cancer, maladies de la circulation, maladies nerveuses, poliomyélite) »[13]. Cette assertion, non étayée dans le tract, se rattache aux conclusions rendues par André Voisin dans Sol, herbe, cancer[14].

            Dès les premières réunions du GABO, le discours est axé sur la promotion de certaines pratiques ignorées ou déconsidérées : compostage en tas d’un fumier enrichi de paille, rotation systématique des cultures, recours à des cultures dérobées enfouies comme engrais vert, sous-solage préféré au labour, emploi d’amendements marins (maërl) dans les litières et sur le sol, les perspectives pratiques ne sont pas dépourvues d’innovations.

            C’est avec cet éventail de propositions agrotechniques que les animateurs du GABO espèrent convaincre les paysans et les consommateurs de la région de rejoindre le front ouvert par les théoriciens-praticiens de l’agriculture biologique. Dans un tract de 1959, Jean Boucher insiste sur le caractère alternatif de la méthode préconisée :

            « L’Agriculture biologique a pour but de développer la véritable fertilité du sol basée sur l’humus, et d’obtenir de hauts rendements en récoltes et en bétail, avec une qualité de produits et une résistance aux maladies que ne peuvent donner ni certaines pratiques négligentes d’autrefois, ni les méthodes couramment utilisées aujourd’hui. »[15].

            À cette période, les gaboïstes ne parviennent à réunir que quelques dizaines de participants lors de réunions organisées à l’initiative spontanée des adhérents. Jean Brosseau, agriculteur à Joué-sur-Erdre (Loire-Atlantique), accueille en novembre 1959, trente agriculteurs à sa ferme pour présenter le projet de l’association. D’après l’unique liste d’adhérents conservée pour cette période, on sait que le GABO est composé de soixante-six adhérents en juillet 1959. La première moitié regroupe des agriculteurs quand la seconde est composée de membres dits associés, non-agriculteurs.

Localisation des fermes des adhérents-agriculteurs du GABO localisés en Loire-Atlantique et Maine-et-Loire, d’après la liste du 25 juillet 1959

Fig. 1. Localisation des fermes des adhérents-agriculteurs du GABO localisés en Loire-Atlantique et Maine-et-Loire, d’après la liste du 25 juillet 1959.

3. Un septuagénaire en croisade contre les firmes agrochimiques

            En septembre 1959, un entrepreneur Angevin décide d’adhérer au GABO. Âgé de soixante-quinze ans, Raoul Lemaire possède une certaine notoriété dans le monde agricole. Il s’est fait une bonne place dans la sélection et l’obtention de blés à haute valeur boulangère dont la qualité est reconnue. Homme tourmenté par des déboires juridiques passés, il a développé un profond ressentiment et un profond scepticisme envers l’État et les politiques publiques en matière agricole qu’il juge dirigistes. En parallèle, Raoul Lemaire mène une croisade contre l’essor des grandes firmes céréalières qui nuisent à ses propres affaires commerciales. À la tête de l’Union de Défense des Agriculteurs de France (UDAF), la branche agricole du mouvement poujadiste, il voudrait élever la figure symbolique du petit paysan par-dessus celle de l’agriculteur professionnel dont les objectifs de modernité lui valent de s’écarter des valeurs rurales traditionnelles[16].

            Du point de vue de Raoul Lemaire, les objectifs pratiques du GABO semblent pouvoir se marier aux idéaux socio-politiques qu’il défend. L’affirmation de l’autonomie des paysans vis-à-vis d’une tutelle insidieuse des firmes agrochimiques peut servir l’enracinement d’une paysannerie française dont la structure tend à se déliter sous l’effet conjoint de l’exode rural et de la montée en puissance des firmes agro-industrielles. À la critique du système technique se mêle une critique sociale tirant la sonnette d’alarme à propos de la disparition du monde paysan[17]. Raoul Lemaire est de loin la personnalité qui tient le discours le plus politique au sein du GABO. S’il amène un discours idéologique, il souhaite avant tout apporter son concours à la cause agrobiologique par une réalisation concrète.

            Son projet est de tester les propriétés du maërl, un dépôt littoral formé de sable coquillé et de débris de lithothamne (une algue calcaire riche en magnésium et en oligo-éléments). L’emploi du maërl est perçu comme une solution naturelle d’avenir permettant de s’abstenir de l’emploi des engrais et des pesticides synthétiques. Son intuition provient des conclusions d’un vétérinaire, Monsieur de Croutte, qui a témoigné par deux fois des propriétés exceptionnelles du maërl devant l’Académie d’Agriculture. Résolu à confirmer le potentiel curatif de cet amendement marin, Raoul Lemaire décide de l’utiliser sur ses propres blés avec le concours de l’Abbaye de Bellefontaine[18]. Dans la mesure où il souhaite rapidement expérimenter le maërl à plus large échelle, les gaboïstes deviennent dès lors des partenaires potentiels avec lesquels il peut s’associer pour continuer ses expérimentations.

            À travers les paroles et les actes des agriculteurs et des membres associés du GABO, on comprend à quel point l’indépendance technique et économique du paysan vis-à-vis des frimes agro-industrielles et sa capacité à maîtriser son processus de fertilisation sont au cœur des défis qu’entendent relever les gaboïstes.

II. La naissance d’une agriculture attentive à la santé du sol

1. Une communauté scientifique au service des sols vivants

            Si les paysans fondateurs du GRAB choisissent de faire référence à l’expression « agriculture biologique » pour nommer leur association, c’est en raison du discours déterminant relayé par une communauté scientifique soucieuse du potentiel apporté par les matières organiques dans le processus de fertilisation[19]. Parmi les personnalités ayant mené cette réflexion figurent des membres de l'Académie d'Agriculture qui s’intéressent de près à la microbiologie du sol. Albert Demolon (1881-1954), ancien président de l'Académie d'Agriculture, est un des premiers agronomes français à remettre en cause le principe de la fertilisation réalisée exclusivement à base d’engrais chimiques. Ses recherches portent sur le rôle de l’humus, cette couche du sol riche en matières organiques dont la présence garantit la fertilité organique des sols. Pour lui, le sol n’est pas un simple support pour les plantes ; c’est un milieu vivant, siège de transformations quasi-permanentes par l’action des micro-organismes (bactéries, champignons) et de tous les êtres vivants (lombriciens) qui en constituent une part importante.

            Avec ses recherches, Albert Demolon inaugure un courant d’étude qui considère les sols comme vivants. Comme l’Institut national de la recherche agronomique marginalise cette approche scientifique, plusieurs collectifs se créent pour tenter de la développer[20]. En 1951, d’importants membres de l’Académie d’Agriculture fondent l’Association pour l’Étude de la Fertilité Vivante des Sol. En 1952, des médecins engagés contre les dérives de l’artificialisation croissante de l’alimentation créent l’Association Française pour la Recherche d’une Alimentation Normale (AFRAN). L’AFRAN représente un projet de réflexivité scientifique à la fois sur les techniques modernes utilisées dans l’agriculture et à la fois sur les techniques de transformations alimentaires[21]. En conséquence, ses membres s’intéressent à la qualité de l’alimentation en considérant aussi bien l’amont et l’aval.

            Cette communauté scientifique des sols vivants réunit des savants issus des mondes médical et agronomique. Ils collaborent au sein d’un bulletin, Sol-Alimentation-Santé, qui établit un lien étroit entre l’équilibre biologique du sol, la qualité de l’alimentation qui en est issue et la santé humaine. Les articles signés par ces différents acteurs jouent un rôle essentiel dans l’éducation des premiers praticiens de l’agriculture biologique en France. En effet, les futurs meneurs du GABO sont abonnés à la revue de l’AFRAN. En décembre 1957, ils découvrent ainsi un numéro spécial de la revue centré sur l’humus dans lequel on démontre le bien-fondé d’une « agriculture biologique » reposant sur une fertilisation tantôt qualifiée d’« organique », tantôt qualifiée de « biologique »[22]. Ce lexique se retrouve bel et bien dans les statuts du GRAB qui est créé quelques mois après la sortie du numéro. En effet, les adhérents se donnent en autres pour mission de « vulgariser par tous les moyens, en particulier par l’éducation rurale, les méthodes propres à l’amélioration biologique des sols »[23].

            Si les réflexions françaises sont déterminantes pour les meneurs du GABO, l’association s’inscrit dans le même temps dans la filiation de la Soil Association, association anglaise née en 1946 et première organisation à expérimenter de manière continuelle la fertilisation organique depuis le domaine expérimental d’Haughley (Suffolk). Edmond Cussoneau, président du GABO, ne manque pas de vanter les mérites des praticiens anglais de l’agriculture biologique.

2. Un agriculteur atypique adepte d’écologie

            Agriculteur installé à Échemiré (Maine-et-Loire), Edmond Cussoneau fait certainement partie des paysans à s’être précocement engagé dans une conception biologique de l’agriculture. Interrogé par un journaliste du Courrier de l’Ouest, il déclare appliquer la méthode organo-biologique dans sa ferme depuis 1949[24]. Dans les années 1950, il est à la fois en lien avec l’Association pour l’Étude de la Fertilité Vivante des Sols tout en étant adhérant à la Soil Association.

            Le parcours d’Edmond Cussoneau est plutôt atypique pour la période. Avant de s’installer comme agriculteur à proximité de son lieu de naissance, Edmond Cussoneau est maître d’hôtel à Paris. D’origine modeste, il a la possibilité de poursuivre l’école au-delà du certificat d’étude et de voyager en Angleterre grâce à l’attachement que lui témoigne le châtelain qui emploie sa mère. De ce fait, il maîtrise l’anglais. Son érudition et sa force de conviction lui valent d’être désigné président du GABO en 1959. Bien que le mouvement d’agriculture biologique demeure dans sa phase embryonnaire en France, Edmond Cussoneau se démarque par sa vision globalisante de l’agriculture. Féru de lecture, il possède certainement la bibliothèque la plus renseignée de l’Ouest sur les pratiques agrobiologiques. Il connaît avec précision les principes de culture appliqués par un disciple d’Albert Howard, le fermier anglais Friend Sykes (1888–1965). Soutien enthousiaste de Friend Sykes, Edmond Cussoneau réalise des traductions d’extraits de son dernier livre[25], lesquelles paraissent dans la revue Qualité, Loyauté, Santé Françaises à laquelle il collabore[26].

            Ses nombreuses lectures lui valent de percevoir les dommages qui se cachent derrière le modèle agrochimique. Il se passionne pour les écrits d’André Voisin (1903-1964), agronome et biologiste qui avance dans ses travaux que la santé des plantes, des animaux et des hommes dépend directement de l’équilibre du sol. Dans une revue, Edmond Cussoneau rapporte s’être intéressé à l’approche biologique au travers de la géographie humaine de Maximilien Sorre (1880-1962), un géographe-écologue à la posture scientifique englobante, ayant pour objectif de prendre la pleine mesure des relations entre l’homme et son environnement[27]. Par ailleurs, Edmond Cussoneau a été marqué par la lecture de Destruction et protection de la nature de Roger Heim (1900-1979), livre-manifeste de 1952 qui entend sensibiliser le public à la fragilité de la vie, à la dégradation des milieux et au désordre des relations entre les hommes et la planète[28].

            Les convictions plus intimes d’Edmond Cussoneau, celles qui expliquent en partie sa volonté de s’engager au GABO, se retrouvent dans ses correspondances. Dans l’une d’elles, il se dit meurtri par les actions égoïstes de ceux qui ne pensent qu’à poursuivre la course aux rendements et à l’argent « au détriment de la vie future »[29]. Il craint que l’accaparement croissant des ressources ne finisse par précipiter la perte de l’homme :

            « Si nous ne nous décidons pas à nous adapter aux directives imposées par la limitation des ressources de notre milieu naturel (écologie), nous ferons aussi bien d’abandonner tout espoir de conserver une existence civilisée. »[30].

            Ainsi, par la voix d’Edmond Cussoneau, un discours propre à la nécessité de préserver les ressources et les milieux se fait très tôt entendre dans les rangs du GABO. À la lueur de ce discours, on comprend qu’au-delà de la question de l’indépendance technique et économique de l’agriculteur vis-à-vis de l’agrochimie, des enjeux plus globaux se font jour au sein du mouvement.

Portraits du GABO

Fig. 2. Portraits du GABO.

III. Des ingénieurs inquiets des dommages collatéraux des pesticides

1. Des ingénieurs démissionnaires opposés aux pesticides

            Pour l’obtention de conseils agronomiques, les paysans du GABO peuvent compter sur deux ingénieurs qui s’engagent activement dans l’association. Jean Boucher et André Louis ont pour point commun de percevoir le caractère destructeur des pesticides de synthèse qui, au-delà de s’en prendre aux parasites des cultures, entraînent la disparition de certaines espèces animales.

            Ingénieur horticole à la suite de ses études à l’École Nationale d’Horticulture de Versailles, Jean Boucher travaille au Service de la Protection des Végétaux de Nantes avant de rejoindre le GABO[31]. C’est dans ce service qu’il a pris part à l'expérimentation des pesticides organiques de synthèse. Conquis, dans un premier temps, par ces nouveaux produits qui semblent prouver leur efficacité, il est néanmoins témoin d’une première déconvenue. Un jour, il constate que des araignées rouges envahissent des vergers pourtant traités au pesticide DDT. Ce premier évènement l’invite à douter de l’efficacité véritable de ces produits. Étant donné que ses idées vont de plus en plus à rebours des orientations chimiques qui s’imposent dans la protection des végétaux, Jean Boucher finit par entrer en conflit avec son chef de service à Nantes. Convoqué devant un conseil de discipline, il est un temps écarté avant que lui-même ne prenne la décision de démissionner. Sa démission prononcée, il se consacre pleinement au GABO pour en devenir le secrétaire et le principal animateur.

            Sorti de l’Institut National Agronomique de Paris avec le diplôme d’ingénieur agronome, André Louis est un spécialiste d’arboriculture[32]. Ne pouvant se résoudre à agir contre ses principes, il préfère démissionner de son poste de Directeur des Services Agricoles de Charente. Il ne souhaitait plus être acteur des directives modernistes commandées par le ministère de l’Agriculture. Quand il décide d’adhérer au GABO, il est professeur d’agronomie dans un lycée agricole à Blanquefort (Gironde). Même s’il ne réside pas en pays ligérien, André Louis suit de près l’évolution du GABO. Il instruit ses membres sur la mortalité préoccupante des espèces animales sauvages qui peuplent les campagnes françaises, notamment les rapaces.

            André Louis prône une vision résolument humaniste des sciences et des techniques. Ce que ses contemporains nomment le progrès scientifique et technique possède selon lui des limites qu’il faut révéler. Sur ces sujets, il estime Jacques Ellul (1912-1994), auteur de La Technique ou l'Enjeu du siècle. Dans ce livre paru en 1954, Jacques Ellul pose le problème du changement de nature de la technique dans la société. Outil permettant à l'homme de se dépasser, la technique est devenue un processus autonome auquel l'homme est assujetti malgré lui. Pour André Louis, les pesticides représentent un cas d’école. Vendus aux paysans comme un progrès, ces produits se révèlent être en vérité nuisibles aux hommes qu’ils sont pourtant censés libérer des contraintes.

2. Alerter sur le “règne infernal des poisons"

            Si une partie du grand public français découvre les effets dommageables des pesticides en 1963, après la sortie du premier ouvrage majeur centré sur le sujet, Printemps silencieux, de la biologiste américaine Rachel Carson (1907-1964), certains gaboïstes connaissent déjà bien ces questions. Louis-Claude Vincent, ingénieur hydrologue, et Jeanne Rousseau, docteur en pharmacie installée à Nantes, sont tous deux membres du GABO. Dans un article qu’ils co-signent, ils lancent une diatribe contre les pesticides de synthèse :

            « A vous paysans de France, qui désertez vos terres, à vous consommateurs, empoisonnés chaque jour à petit feu par les ingrédients chimiques qui dénaturent notre sol et les produits qui en sont issus, nous lançons un pressant appel, pour demander aux uns de restaurer et sauvegarder la fertilité de leur sol, et aux autres d’exiger des produits sains issus d’une terre saine.


            […] Le règne infernal des poisons est désormais instauré. A peine un parasite est-il détruit, à peine nos agronomes ont-ils le temps de chanter victoire, que déjà renaît l’inquiétude, avec l’apparition d’un parasite nouveau, suscitant des recherches nouvelles, afin de pouvoir l’exterminer à son tour. Et ainsi disparaissent progressivement et inéluctablement, sous l’effet des poisons, les abeilles et les oiseaux, ces auxiliaires précieux de notre Agriculture. ».[33]

            L’assimilation des pesticides à des poisons pour les insectes, les animaux ainsi que pour les hommes est alors une idée tout à fait neuve. Cette métaphore circule uniquement dans le milieu apicole. À la suite des premiers traitements sur les cultures de colza à partir de 1946, un arsenal juridique, scientifique et rhétorique invisibilisant les résistances des apiculteurs à la généralisation des traitements phytosanitaires permet une installation et une légitimation durable des biocides sur les territoires[34].

            La voix technocritique de Jeanne Rousseau séduit au sein du GABO. Raoul Lemaire avoue être impressionné par l’honnêteté scientifique qui se dégage de son argumentation. De son côté, Edmond Cussoneau lui reconnaît une haute intelligence et des connaissances polyvalentes favorables à la compréhension de la complexité des transformations qui se déroulent dans le sol[35]. Jeanne Rousseau s’investit un temps dans le GABO. Avec l’aide d’Edmond Cussoneau, elle réalise des supports pédagogiques qui doivent servir à expliquer les principes de la culture biologique lors des réunions d’informations.

Support pédagogique réalisé par Jeanne Rousseau. Edmond Cussoneau a tenu à ajouter la mention « organo-biologique » sur le support qu’il a conservé

Fig. 2. Support pédagogique réalisé par Jeanne Rousseau. Edmond Cussoneau a tenu à ajouter la mention « organo-biologique » sur le support qu’il a conservé.

            Néanmoins, Jeanne Rousseau finit par prendre ses distances avec l’association. Elle concède ne plus adhérer aux arguments de Jean Boucher, ni à la propagande commerciale, ni aux arguments faussement scientifiques relayés par Raoul Lemaire sur les propriétés du maërl[36]. En effet, Raoul Lemaire, qui souhaite avant tout convaincre et interpeler les agriculteurs, vante maladroitement les bienfaits du maërl tout autant qu’il surestime nettement ses avantages.

            Dans les faits, le GABO peine à s’élargir. Cependant, au moins de juin 1961, le GABO trouve un nouveau souffle à l’occasion de la constitution d’un groupement apparenté dans le Lot-et-Garonne. Lors de la jonction qui s’effectue avec ce nouveau groupement régional, l’association finit par changer de nom. Pour épouser l’ambition d’une structuration de l’association à un niveau national, le GABO est rebaptisé Association Française d’Agriculture Biologique (AFAB).

Conclusion : Des références scientifiques, techniques et littéraires hétéroclites

            Qu’ils soient agriculteurs ou membres associés, les premiers adhérents du Groupement d'Agriculture Biologique de l'Ouest conservaient un lien fort avec le travail de la terre et plus généralement avec la nature et le vivant. Cette vision les pousse à se mettre au service de la santé d’un sol perçu comme un organisme vivant et à vouloir se détacher des pratiques agro-industrielles vers lesquelles l’agriculture française se dirige. Le socle de leur engagement repose sur des propositions techniques alternatives qui ont pour objectif d’améliorer significativement les pratiques dites traditionnelles tout en permettant à l’agriculteur de conserver une autonomie suffisante dans son processus de fertilisation. Aussi, les gaboïstes ne sauraient être placés dans une case idéologique précise. Si certains tiennent un discours politique tranché, la majorité des adhérents sont avant tout mués par le désir de trouver des solutions techniques à même de répondre aux problèmes rencontrés par les paysans de l’Ouest. Leurs voix contestataires sont imprégnées de références scientifiques, techniques et littéraires hétéroclites, références qui ont pour point commun qu’elles se situent presque toutes en marge des milieux institutionnels.

[1] Le cadre chronologique de cet article s’étend sur une période de trois années du 11 avril 1958 (création du GRAB) au 18 juin 1961 lorsque l’association change une seconde fois de nom et devient l’Association Française d’Agriculture Biologique (AFAB).

[2] Même au sein du mouvement bio actuel, seule la date de création de cette association apparaît dans les historiques des organisations fondatrices du bio en France (Nature et Progrès, Fédération Nationale d'Agriculture Biologique).

[3] WOSS Nicolas, « Un monde agricole insoumis : agriculture biologique et agrarisme à travers la revue Nature et progrès (1964-1974) », dans Cornu Pierre et Mayaud Jean-Luc (dir.), Au nom de la terre. Agrarisme et agrariens en France et en Europe du XIXe siècle à nos jours, Paris, La Boutique de l’histoire, 2007, p. 349-360. NICOLAS Frédéric, « Une croisade morale inachevée. La représentation des mondes agricoles dans le journal Agriculture et Vie », Études rurales, n°198, 2016, p. 97-114. TRESPEUCH-BERTHELOT Anna, « La genèse de l’agriculture biologique en France et en Allemagne de l’entre-deux-guerres aux années 1970 : circulations transnationales et cultures politiques », in Olivier Hanse, Annette Lensing, Birgit Metzger (dir.), Mission Ecologie, Tensions entre conservatisme et progressisme dans une perspective franco-allemande, Peter Lang, Bruxelles, 2018, p. 91-114. BIVAR Venus, « La modernisation agricole française d’après 1945 : politiques et contestations », in Lyautey Margot, Humbert Léna, Bonneuil Christophe (dir.), Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021, p. 242-254. VRIGNON Alexis, « L’agrobiologie face à la modernisation agricole. Nature et Progrès, de 1964 au début des années 80 in Lyautey Margot, Humbert Léna, Bonneuil Christophe (dir.), Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021, p. 256-270.

[4] Fonds Raoul Lemaire, FRAC 49007- 42 J 1- 301 [8,45 mètres linéaires], Archives patrimoniales d’Angers, Repaire Urbain, 35 boulevard du Roi René, Angers. Ce fonds a été déposé en 2007 à la suite d’un don de Jean-François Lemaire, un des fils de Raoul Lemaire. La cote utile à notre présent article sur le GABO est la 42 J 186.

[5] Mon mémoire de Master 1 est consacré au GABO et à sa suite l’AFAB. Florian Rouzioux, À la recherche d’une agriculture alternative à l’époque de la modernisation agricole. Le développement de la première organisation agrobiologique française, 1958-1964, Mémoire de Master 1 sous la direction d’Oghina-Pavie Cristiana, Angers, Université d’Angers, 2019.

[6] Les membres du GABO. L’expression est employée dans quelques correspondances.

[7] LYAUTEY Margot, HUMBERT Léna, BONNEUIL Christophe (dir.), Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021.

[8] Il s’agit également de susciter l’orgueil patriotique des paysans en les invitant à concourir collectivement à l’autosuffisance alimentaire de la nation.

[9] GERVAIS Michel, JOLLIVET Marcel et TAVERNIER Yves, La fin de la France paysanne, Tome 4 de Histoire de la France rurale, DUBY Georges et WALLON Armand (dir.), Paris, France, Éditions du Seuil, 1976.

[10] Debatisse Michel et Bloch-Lainé François, La révolution silencieuse : le combat des paysans, Paris, France, Calmann-Lévy, 1963.

[11] Henri Dorgères, président des Comités de défense paysanne, et Pierre Poujade, président de l’Union de défense des agriculteurs de France, s’unissent en 1957 au sein du Rassemblement Paysan, un mouvement syndical d’opposition prônant une vision conservatrice du monde paysan.

[12] Archives Municipales d’Angers, 43 J 100, Statuts du Groupement Régional pour une Agriculture Biologique, 11 avril 1958.

[13] Archives municipales d’Angers, 42 J 186, tract « Bulletin d’adhésion GABO », Jean Boucher, 1960.

[14] VOISIN André, Sol, herbe, cancer : la santé de l’animal et de l’homme dépend de l’équilibre du sol, Paris, Maison rustique, 1959. André Voisin sera une référence agronomique majeure pour les meneurs du mouvement agrobiologique français dans les années 1960. Une de ces citations sera abondamment reprise : “De l’équilibre du sol dépend la santé de l’animal et de l’homme".

[15] Archives municipales d’Angers, 42 J 186, tract « Principes d’Agriculture Biologique », Jean Boucher, 1959.

[16] NICOLAS Frédéric, « Une croisade morale inachevée. La représentation des mondes agricoles dans le journal Agriculture et Vie », Études rurales, n°198, 2016, p. 108.

[17] TRESPEUCH-BERTHELOT Anna, « La genèse de l’agriculture biologique en France et en Allemagne de l’entre-deux-guerres aux années 1970 : circulations transnationales et cultures politiques », in HANSE Olivier (dir.), Mission Ecologie, Tensions entre conservatisme et progressisme dans une perspective franco-allemande, Peter Lang, Bruxelles, 2018, p. 102.

[18] CADIOU Pierre, MATHIEU-GAUDROT Françoise et LEFEBVRE André, L’agriculture biologique en France : écologie ou mythologie, Grenoble, France, Presses Universitaires de Grenoble, 1975, p. 25.

[19] Dans sa thèse en Histoire des sciences et techniques, Céline Pessis a mis en lumière les critiques scientifiques formulées dès les années 1940 par ces savants à l’encontre du recours souvent abusif aux engrais et pesticides. PESSIS Céline, Défendre la terre. Scientifiques critiques et mobilisations environnementales des années 1940 aux années 1970, Thèse de doctorat en Histoire des sciences et techniques sous la direction de Sourbès-Verger Isabelle, EHESS, 2019.

[20] PESSIS Céline, « Histoire des “sols vivants" », Revue d’anthropologie des connaissances, [En ligne], 14-4, 2020, mis en ligne le 01 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rac/12437

[21] LEPILLER Olivier, « Chasser le naturel : l’évolution de la notion de naturalité dans l’alimentation à travers les livres français de diététique “naturelle" depuis 1945 » in BARLOSIUS Eva (dir.), Le choix des aliments. Informations et pratiques alimentaires. De la fin du Moyen Âge à nos jours, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 97-119.

[22] AFRAN, « Terre vivante : notions théoriques et pratiques sur l’humus », L’Alimentation normale, décembre 1957.

[23] Archives Municipales d’Angers, 43 J 100, Statuts du Groupement Régional pour une Agriculture Biologique, 11 avril 1958.

[24] « A l’Ouest du nouveau avec… LA CULTURE BIOLOGIQUE », Courrier de l’Ouest, 5 juillet 1960.

[25] SYKES Friend, Modern humus farming, Faber and Faber, 1959.

[26] Edmond Cussoneau écrit des articles pour la revue Qualité, Loyauté, Santé Françaises. En 1960, cette revue est distribuée aux gaboïstes dès lors qu’ils se sont acquittés de leur cotisation annuelle.

[27] Soil Association, Mother Earth, July 1968, p. 126.

[28] HEIM Roger, Destruction et protection de la nature, Muséum d’Histoire naturelle, 1952.

[29] Archives Municipales d’Angers, 42 J 186, Lettre d’Edmond Cussoneau à Raoul Lemaire, 15 janvier 1960.

[30] Archives Municipales d’Angers, 42 J 186, Lettre d’Edmond Cussoneau à Raoul Lemaire, 27 mai 1960. Il dit citer le sous-directeur du Service de conservation des Sols du ministère de l’Agriculture des États-Unis.

[31] BOUCHER Jean, Une véritable agriculture biologique, AFAB, Nantes, 1992, p. 13.

[32] GOBBI Gérald, André-Henri Louis (1901-1970). Un agronome anticonformiste de l’après-guerre, Edition privée, 2011.

[33] Archives Municipales d’Angers, 42 J 186, « Etude du sol » par Louis-Claude Vincent et Jeanne Rousseau, 25 novembre 1958. Des copies de cet article ont dû être adressé à tous les membres du GABO.

[34] HUMBERT Léna, « Protéger les abeilles et moderniser l’agriculture. L’intégration des intoxications comme dégâts inévitables du développement agricole (1945-1960) », in LYAUTEY Margot, HUMBERT Léna, BONNEUIL Christophe (dir.), Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021, p. 249-264.

[35] Archives Municipales d’Angers, 42 J 186, Lettre de Cussoneau à Mme Feyler, 5 avril 1961.

[36] Archives Municipales d’Angers, 42 J 186, Lettre de Jeanne Rousseau à Mme Feyler, 20 mars 1961.

Bibliographie

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LEPILLER Olivier, « Chasser le naturel : l’évolution de la notion de naturalité dans l’alimentation à travers les livres français de diététique “naturelle" depuis 1945 » in BARLOSIUS Eva (dir.), Le choix des aliments. Informations et pratiques alimentaires. De la fin du Moyen Âge à nos jours, Presses universitaires de Rennes, 2010.

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