« A filibustering Manifest Destiny », penny press et esprit de flibusterie aux États-Unis, 1848-1860

10 Avr
2023

Lysandre Flandre

Résumé

Au cours des années 1850, de nombreux États-uniens s'engagent dans des expéditions militaires privées dans le but de coloniser les territoires frontaliers des États-Unis au nom de la destinée manifeste. Cette pratique, surnommée « flibusterie », devient célèbre auprès de la population grâce aux récits des expéditions que la presse publie en abondance. La penny press, ou presse à un sou, en fait même son sujet de prédilection. Cette étude s'intéresse à la façon dont les flibustiers sont représentés par les penny papers. Elle illustre le rôle joué par ces journaux dans l'apparition d'un « esprit de flibusterie » aux États-Unis, encourageant la multiplication des expéditions vers Cuba et l'Amérique Latine.

Détails

Chronologie : XIXe siècle
Lieux : États-Unis – Cuba
Mots-clés : États-Unis – Cuba – Flibusterie – Expansion territoriale – Destinée Manifeste
– Histoire de la presse et du journalisme

Chronology: XIXth century
Location: United States – Cuba
Keywords: United States – Cuba – Freebooting – Territorial expansion – Manifest Destiny
– History of the press and journalism

Plan

I – L'émergence d'un journalisme sensationnaliste

II – La flibusterie, une opportunité d'élévation sociale ?

III – La flibusterie comme affirmation d'une « masculinité martiale »

IV – « The Army of Manifest Destiny »

Conclusion

Pour citer cet article

Référence électronique
Flandre Lysandre, “« A filibustering Manifest Destiny », penny press et esprit de flibusterie aux États-Unis, 1848-1860", Revue de l’Association des Jeunes Chercheurs de l’Ouest [En ligne], n°3, 2023, mis en ligne le 10 avril 2023, consulté le 28 mars 2024 à 13h13, URL : https://ajco49.fr/2023/04/10/a-filibustering-manifest-destiny-penny-press-et-esprit-de-flibusterie-aux-etats-unis-1848-1860/

L'Auteur

Lysandre Flandre

Droits d'auteur

Tous droits réservés à l'Association des Jeunes Chercheurs de l'Ouest.
Les propos tenus dans les travaux publiés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.

           En 1851, la maison d’édition DeWitt et Davenport fit paraître un ouvrage intitulé Life of General Narciso López[1]. L’auteur anonyme, surnommé « un Filibustiero », y retraçait quatre expéditions organisées par Narciso López entre 1848 et 1851 à Cuba dans le but d’y chasser la monarchie espagnole. Pendant quatre ans, López tenta de provoquer une révolution populaire à Cuba dans le but de contraindre l’Espagne à déclarer l’indépendance de l’île et de permettre son annexion par les États-Unis. Ces expéditions avaient été condamnées par le président Zachary Taylor dès 1849. Il y voyait une violation des lois de neutralité de 1794 et 1818 et ordonna un renforcement de la surveillance des côtes est des États-Unis[2]. Les expéditions prirent fin lorsque les autorités espagnoles capturèrent López en septembre 1851 et le condamnèrent à mort[3]. L’auteur de Life of General Narciso López rendait alors hommage à celui que certains journalistes new-yorkais présentaient comme un martyr de la cause cubaine[4].

           Selon le « Filibustiero », Cuba avait commencé à attirer l’attention de la population étatsunienne au printemps 1847 grâce à une série d’articles publiés dans le New York Herald[5]. Le 3 mai 1847, les journalistes du Herald incitaient déjà à la création de troupes pour libérer Cuba et placer l’île sous protection des États-Unis[6], estimant que Cuba pourrait bientôt tomber sous l’influence de l’Angleterre si les États-Unis ne s’en emparaient pas[7]. Ces journalistes tiraient leurs informations de La Verdad, journal hispanophone publié par des exilés cubains vivant aux États-Unis. Ils y dénonçaient la tyrannie exercée par l’Espagne à l’encontre des autochtones cubains et en appelaient à une intervention des États-Unis[8]. Les articles et idées du Herald furent repris dans d’autres journaux new-yorkais comme le New York Sun et se diffusèrent dans les grandes villes de la côte est des États-Unis. Narciso López semblait donc répondre aux suggestions insistantes de la presse en organisant sa première expédition vers Cuba en 1848.

           Les journalistes new-yorkais s’intéressèrent de près à ceux qu’ils surnommèrent les « filibusters », ou flibustiers, dès 1849[9]. Descendant du néerlandais vribuiter et de l’espagnol filibustero, le mot « flibustier » était à l’origine synonyme de pirate[10]. En janvier 1851, un article du Daily Crescent expliquait que le terme désignait désormais tout individu engagé dans une campagne militaire non autorisée par le gouvernement et menée à l’encontre d’un pays avec lequel les États-Unis étaient en paix[11].

           La flibusterie fit l’objet de nombreux récits, articles d’opinion et discours retranscrits dans la presse, si bien que l’historiographie récente s’est intéressée au lien entre presse et flibusterie aux États-Unis. Dans Writing to Cuba, publié en 2005, Rodrigo Lazo a étudié El Filibustero, l’organe de presse employé par la Junta, un rassemblement d’immigrés cubains à New York militant pour l’annexion de Cuba aux États-Unis[12]. La thèse d’Andreas Beer, parue en 2016, a mis en avant l’influence de la presse produite par les flibustiers sur la représentation que les États-Unis se faisaient de l’Amérique Latine dans les années 1850[13]. Enfin, l’historien Tom Chaffin voua quelques pages de Fatal Glory, son ouvrage consacré à Narciso López, au soutien que la presse new-yorkaise prodigua aux expéditions[14].

           Cependant, ces historiens ont peu évoqué la relation des flibustiers à la penny press, ou presse à un sou, qui leur consacra une grande quantité d’articles dès la fin des années 1840. Vendus pour quelques centimes, les penny papers furent créés dans les années 1830 en réaction à la hausse de l’alphabétisation et de la demande en informations de la part des hommes d’affaires, commerçants et ouvriers des grands espaces urbains de la côte est[15]. Parmi les titres les plus célèbres figuraient le Sun, fondé par Benjamin Day en 1833 à New York, ainsi que le Herald, le Tribune et le Times. A cette liste s’ajoutent, entre autres, le Delta de la Nouvelle-Orléans et le Baltimore Sun de Philadelphie. Dès le début des années 1850, de nombreux journalistes et politiciens reprochèrent à la penny press d’avoir encouragé l’organisation d’expéditions. Dans une lettre adressée au secrétaire d’État des États-Unis, Daniel Webster, le président Millard Fillmore dit de la presse qu’elle était à l’origine de l’engouement manifesté par la population pour les expéditions de López. Il écrivait que « l’agitation et l’excitation [semblaient] régner dans toutes les grandes villes » et en concluait que la presse et le télégraphe formaient « un formidable moteur de méfaits[16] ». Les penny papers, en particulier, furent de plus en plus considérés comme une « presse flibustière[17] » par leurs concurrents. Le Daily Nashville décrivait le Sun comme le « journal quasi attitré des flibustiers[18] » ; le Delta était qualifié de la même façon par le Wheeling Daily Intelligencer en 1858[19]. Les journalistes du Wheeling accusaient les penny papers de faire naître un « esprit de flibusterie » au sein de la population, c’est-à-dire d’éveiller une sympathie pour les flibustiers favorisant la participation d’individus aux expéditions.

           On peut toutefois se demander si les accusations du Wheeling étaient justifiées. Existait-il véritablement une « presse flibustière », capable de provoquer ou d’alimenter un esprit de flibusterie aux États-Unis ? Pourquoi et comment les penny papers seraient-ils parvenus à susciter l’intérêt des populations urbaines pour les expéditions plus que d’autres journaux ?

I. L’émergence d’un journalisme sensationnaliste

           L’intérêt des journalistes pour les expéditions crût à la fin des années 1840, au moment où elles se multipliaient dans le pays. Les incursions de López n’étaient que le point de départ d’un âge d’or de la flibusterie aux États-Unis, alimenté par l’idée de « destinée manifeste » théorisée par John O’Sullivan dans le Democratic Review en 1845. Cette destinée prenait la forme d’une croyance messianique en un devoir des États-Unis d’imposer au monde la « grande expérience de la liberté[20] », c’est-à-dire des institutions républicaines. Cela ne pouvait s’accomplir qu’au travers de l’expansion territoriale du pays sur le « continent alloué par la Providence[21] ». La destinée manifeste encouragea donc des politiques expansionnistes débouchant sur l’annexion du Texas en 1845, de l’Oregon en 1846, de la moitié nord du Mexique en 1848[22]. Les ambitions hégémoniques des États-Unis étaient d’autant plus fortes que leurs voisins paraissaient fragiles. Les nations d’Amérique Latine, nées d’une vague de guerres d’indépendance dans les années 1820, étaient traversées par d’importantes crises politiques. Cuba était la dernière colonie américaine appartenant à l’Espagne en 1848 et la présence de la nation européenne était de plus en plus contestée par les Cubains et les pays voisins[23].

           Animé par l’idée de destinée manifeste, John A. Quitman tenta de reprendre l’entreprise de Narciso López et organisa lui aussi une expédition vers Cuba en 1854. Il espérait ainsi chasser l’Espagne d’Amérique et faire appliquer la doctrine Monroe, qui prônait la nécessité de limiter l’influence politique et militaire des Européens sur le continent en rejetant toute forme de colonisation[24]. Certains flibustiers profitèrent de l’instabilité politique des pays voisins pour y mener des incursions. Le français Gaston de Raousset-Boulbon mena une expédition vers la Sonore au Mexique en 1852 ; il fut rapidement suivi du journaliste William Walker, qui y fonda la République de Sonore en 1853[25]. Le régime de Walker fut renversé en quelques mois, mais il profita du déclenchement d’une guerre civile au Nicaragua en 1854 pour s’immiscer dans les hautes sphères du pouvoir du pays. Élu président en 1856, Walker fonda une nouvelle république flibustière et établit l’esclavage au Nicaragua. Ce faisant, il espérait attirer la sympathie des propriétaires terriens esclavagistes du Sud pour faciliter l’annexion de son territoire aux États-Unis. Son gouvernement fut renversé l’année suivante par une coalition de nations d’Amérique Latine qui souhaitaient limiter l’expansion territoriale des États-Unis[26]. Par la suite, Walker organisa chaque année de nouvelles expéditions vers le Nicaragua ou le Honduras avant d’y être arrêté en 1860. Walker mourut fusillé par l’armée hondurienne et sa mort fut retenue par l’historien W. O. Scroggs comme la fin du phénomène flibustier aux États-Unis[27].

           Ces expéditions firent l’objet de nombreux articles dans l’ensemble de la presse, mais ce furent les journalistes des penny papers qui publièrent la plus grande quantité d’écrits sur le sujet. Pour produire cette étude, 11 133 articles évoquant la flibusterie ont été recensés entre 1848 et 1860 dans l’ensemble de la presse étatsunienne[28]. Le Herald, le Tribune, le Sun et le Times de New York furent à l’origine de 18 % des articles de ce corpus à eux seuls. La surreprésentation du phénomène flibustier dans les penny papers par rapport au reste de la presse peut s’expliquer par la nature même de la penny press. L’invention de la presse cylindrique au début du XIXe siècle favorisa l’apparition de cette presse à bas coût et aux tirages importants. En 1850 le Sun vendait près de 55 000 copies par jour, le Herald plus de 32 000, là où d’autres journaux new-yorkais, comme le Journal of Commerce, n’excédaient pas les 5 000 copies[29]. Ces grands tirages permirent aux éditeurs de la penny press de développer un nouveau modèle économique fondé sur la publicité. Là où la majorité des journaux tiraient encore leurs principaux revenus d’abonnements, les éditeurs profitaient des grands tirages des penny papers pour vendre plus cher leurs encarts publicitaires tout en maintenant des prix de vente bas pour le lectorat[30]. L’information devint alors un véritable objet de consommation. Pour favoriser les ventes, la penny press se devait d’être la plus accessible possible à n’importe quelle catégorie de lecteur, tant sur la forme que sur le fond. Elle contenait des articles courts, rédigés dans un style simple et volontairement proche des œuvres de fiction. L’actualité politique y cédait la place aux faits divers et aux grands procès en cours, plus à même d’encourager le lectorat à acheter le numéro suivant pour découvrir la suite des événements[31]. Ainsi, du fait de leur caractère romanesque, les expéditions de López étaient particulièrement à même d’attirer l’intérêt des éditeurs. Les journalistes pouvaient en tirer des articles sensationnalistes pour attiser la curiosité du lectorat et favoriser une large diffusion du journal. Cette importante couverture médiatique permit rapidement aux flibustiers de jouir d’une certaine célébrité auprès de la population des grandes villes étatsuniennes au point que des parades[32], des fêtes étaient organisées pour célébrer le départ de nouvelles expéditions[33].

           Si la quantité d’articles produite sur la flibusterie atteste de l’intérêt des journalistes pour le sujet, elle n’est pas pour autant le signe d’un soutien sans faille pour les expéditions. Le Tribune, dirigé par Horace Greeley, publia bien des articles présentant la flibusterie comme une solution envisageable pour permettre l’acquisition de Cuba si le président ne parvenait pas à racheter l’île à l’Espagne. Cependant, lorsque le gouvernement espagnol évoqua la possibilité qu’une guerre se déclenche avec les États-Unis si les expéditions ne cessaient pas, le Tribune changea d’avis, avançant qu’il « serait une honte de [perdre Cuba] à cause d’une insurrection nationale ou d’être obligé de la céder à une pitoyable bande de flibustiers[34] ». Même le Herald, de loin le journal aux tendances pro-flibustières les plus affirmées, se désintéressa des expéditions répétées et infructueuses de Walker. En 1858, le Herald disait de Walker qu’il « [avait] joué son rôle, et [avait] échoué » et qu’il « ne ferait plus carrière en tant que flibustier[35] ». Ainsi, qualifier la penny press de « presse flibustière » comme le faisait le Wheeling ferait oublier l’opportunisme économique dont faisaient preuve les penny papers en exploitant les histoires des flibustiers.

II. La flibusterie, une opportunité d’élévation sociale ?

           Il n’en demeure pas moins que la penny press joua un rôle dans l’apparition de l’esprit de flibusterie aux États-Unis, essentiellement parce qu’elle s’adressait aux publics que les flibustiers cherchaient à recruter. L’historien Robert E. May a démontré que la majorité des recrues était jeune, immigrée, ou issue des classes ouvrières urbaines[36]. La présence des flibustiers dans les grandes villes côtières des États-Unis pouvait donc s’expliquer tant par leur proximité avec les espaces convoités que par le fait qu’elles constituaient des bassins de recrutement pour leurs expéditions. En effet, les classes ouvrières et les immigrés, socialement défavorisés, représentaient un public particulièrement à même de participer aux incursions : ils pouvaient être plus facilement convaincus par les promesses des flibustiers de leur offrir une solde ou une parcelle du territoire conquis en échange de leur participation. Or les journalistes n’omettaient pas de faire étalage des récompenses promises aux recrues. Le Herald soulignait que William Walker promettait une solde de 25 dollars et 250 acres de terrain à ses soldats, ainsi qu’une exemption « de tout impôt ou contribution extraordinaire » s’ils s’installaient au Nicaragua[37]. Ainsi, le lectorat ouvrier des penny papers était particulièrement susceptible de considérer les expéditions comme une opportunité d’enrichissement[38].

           En cela, les penny papers pouvaient faciliter les recrutements, d’autant plus qu’ils faisaient circuler de grandes quantités d’informations portant sur l’organisation des expéditions. Sans doute dans l’espoir de satisfaire la curiosité de leur lectorat, les journalistes faisaient régulièrement état de l’avancée des préparations des flibustiers. Le recrutement d’hommes pour une expédition de William Walker fit les gros titres du Herald en décembre 1855 : on trouvait en première page l’adresse à laquelle les flibustiers se réunissaient pour recruter de nouveaux soldats, « à l’angle de Broadway et de Leonard Street[39] ». Les penny papers publiaient aussi de courts paragraphes appelés « cards[40] » indiquant à la population la date et le lieu d’un recrutement : ils étaient imprimés et diffusés par les flibustiers eux-mêmes puis recopiés par les journalistes[41]. Sans même afficher de soutien explicite aux expéditions, la circulation de ces informations pouvait servir de publicité aux flibustiers auprès des populations les plus à même de s’engager.

           À cela s’ajoutait l’habitude prise par les journalistes d’utiliser la presse produite par les flibustiers comme source de leurs articles. Ils s’appuyaient notamment sur El Nicaraguense, le journal du gouvernement de William Walker, pour s’informer sur l’état des relations diplomatiques entre les États-Unis et la république flibustière[42]. Les penny papers contribuaient à la diffusion d’articles de propagande issus du Nicaraguense, propageant une représentation positive du gouvernement de Walker auprès des Étatsuniens. Les journalistes recopiaient des témoignages attribués aux recrues des flibustiers dans lesquels le Nicaragua était présenté comme une terre d’abondance et de richesse. En janvier 1856, le Herald retranscrit un rapport, signé « Edmond Bowley », rédigé à la demande de Walker, mettant en avant les importantes ressources du pays. Le rapport faisait état de la présence de mines d’or et d’argent, d’importantes productions de riz, de sucre et de bois et prétendait que les flibustiers « [pouvaient] se procurer de la nourriture sans trop de difficulté[43] ». On peut douter de la véracité de ce rapport : de nombreux témoignages laissés par les recrues de Walker évoquent la faim dont souffraient les membres des expéditions[44]. Pourtant, en retranscrivant les articles paraissant dans le Nicaraguense, les journalistes présentaient la flibusterie comme un moyen d’enrichissement accessible à tous les hommes étatsuniens. Elle apparaissait alors comme un premier « rêve américain[45] », une opportunité d’accès à la propriété foncière auquel chaque citoyen pouvait avoir accès grâce à son courage et sa persévérance.

III. La flibusterie comme affirmation d’une « masculinité martiale »

           Dans Writings to Cuba, Rodrigo Lazo a étudié la façon dont Narciso López était pris comme modèle de masculinité par la presse, cité pour son ardeur au combat et sa passion patriotique exemplaire pour Cuba[46]. La bravoure constituait en effet une valeur fondamentale du portrait du flibustier dans les penny papers, notamment pour William Walker qui hérita du surnom de « brave entre les braves[47] ». Dans un article intitulé « The Narrative of the Cuban Expedition », paru le 25 septembre 1851 dans le Daily Union, le mot « courageux » fut employé neuf fois pour caractériser les flibustiers de López, une « poignée d’hommes valeureux » qui avaient fait preuve de « nombreux exemples d’héroïsme[48] ». Les flibustiers incarnaient ainsi une forme de masculinité martiale[49] fondée sur le courage, la capacité à se battre et l’engagement en tant que citoyen. Amy Greenberg prouva que ces idées se retrouvaient bien chez les jeunes recrues en prenant l’exemple de David Deaderick qui a publié le récit de sa participation à plusieurs campagnes de Walker. Selon elle, Deaderick espérait prouver sa valeur par le biais de la flibusterie, qu’il décrivait comme une activité virile[50]. Ainsi, en érigeant au rang de héros patriotes des hommes d’apparence ordinaire par recherche de sensationnalisme, les journalistes contribuaient à rendre la flibusterie plus attractive pour de jeunes hommes. Ces derniers pouvaient y voir une occasion de démontrer leur courage, leur force physique et de s’affirmer dans leur masculinité.

           Les journalistes des penny papers s’adressaient d’autant mieux à leur public masculin qu’ils présentaient la flibusterie comme un moyen de découvrir un nouveau monde, inconnu et sauvage. Certains journalistes n’hésitaient pas à qualifier les flibustiers « d’aventuriers », et un article de l’Evening Star les décrivait comme des individus « dévorés par l’ambition de se distinguer, de faire fortune ou sensation » et « généralement dotés d’un amour salvateur pour la gloire[51] ». Les journalistes du Herald disaient de la flibusterie qu’elle était un « exutoire à la tendance naturelle des Américains à conquérir et à s’étendre », capable d’inspirer chez les jeunes hommes « un respect accru de la loi, de l’ordre et de l’autorité[52] ». En 1856, l’Alexandria Gazette comparait même les flibustiers à Robin des Bois[53]. Les journalistes exagéraient l’aspect romanesque des expéditions, sans doute dans le but d’intriguer et de fidéliser le lectorat. Ce faisant, ils contribuaient à relier la pratique de la flibusterie à l’idée de frontière, en utilisant de plus en plus le mot « flibustier » comme un synonyme de « pionnier » dans leurs articles[54]. Cette idée se retrouvait essentiellement dans le Daily Crescent dont les journalistes disaient que les expéditions de Walker étaient une forme d’émigration, et non d’invasion, puisque les États-Unis et le Nicaragua n’étaient pas en guerre[55]. Quelques articles du Herald contenaient aussi l’idée que la flibusterie était un « Juggernaut[56] », une force inarrêtable, vouée à jouer un rôle fondamental dans l’américanisation du continent[57]. La flibusterie comme la frontière étaient présentées comme deux composantes inhérentes de l’identité des États-Unis. De ce fait, la flibusterie pouvait trouver une forme de légitimité dans la penny press, encourageant l’engagement de jeunes hommes désireux d’affirmer leur indépendance et leur virilité.

IV. « The Army of Manifest Destiny »

           En 1853, un article du Herald affirmait que « l’idée d’une expansion progressive du territoire de la République [était] toujours associée (…) aux flibustiers[58] ». Le Herald n’était pas le seul journal à contenir ce genre de propos, puisque les flibustiers furent souvent décrits comme des agents de la « marche du progrès[59] » en Amérique Centrale, ou comme formant « l’armée de la destinée manifeste[60] ». C’est aussi dans la penny press que l’on trouvait le surnom de « manifest destinarians[61] » pour désigner les flibustiers.

           Les penny papers new-yorkais étaient les plus enclins à présenter le recours à la flibusterie comme une nécessité pour annexer de nouveaux territoires. En cela, ils se faisaient le reflet des opinions politiques de leurs éditeurs. James Gordon Bennett, fervent démocrate, avait soutenu les candidatures de présidents à la politique expansionniste affirmée comme James Polk ou Franklin Pierce et était « un défenseur intransigeant de l’expansion territoriale[62] ». On comprend ainsi pourquoi le Herald était le journal le plus favorable aux flibustiers et que l’élévation de la flibusterie au rang de bras armé de la destinée manifeste traduisait davantage l’opinion politique des grands éditeurs plutôt qu’un avis unanimement partagé entre tous les journalistes de la penny press.

           Un point commun semble toutefois unir ces journaux : tous jouèrent de l’hispanophobie ambiante pour légitimer les expéditions et dénoncer l’exécution de Narciso López en Espagne, perçue comme un outrage à la liberté[63]. Aux yeux de certains journalistes, la flibusterie constituait l’ultime moyen de libérer des peuples opprimés du joug des nations européennes qui continuaient à occuper des territoires américains[64]. L’Espagne, en particulier, était souvent désignée comme une « ennemie de la destinée manifeste », décrite comme « un pays arriéré, grossier et despotique, caractérisé par sa cruauté[65] ». Certains journalistes disaient même de la flibusterie qu’elle s’imposait comme une pratique légitime face au refus de l’Espagne de vendre Cuba aux États-Unis[66]. La même rhétorique fut reprise du temps de Walker : le Daily Union du 12 décembre 1856 disait de lui qu’il « vint aider un peuple qui luttait contre un tyran », en allant se battre au Nicaragua et qu’il « réussit à le faire tomber et à restaurer la paix dans le pays[67] ». Walker, au nom du droit des peuples à se gouverner eux-mêmes, était devenu le « libérateur du Nicaragua[68] ». Des journalistes défendaient l’idée que les flibustiers avaient agi pour protéger leur continent de l’influence européenne, notamment auprès de nations considérées comme trop faibles pour assurer leur propre indépendance[69]. La flibusterie constituait donc une façon de soutenir l’expansion des États-Unis tout en libérant des peuples perçus comme opprimés[70].

Conclusion

           En jouant de la dimension romantique et romanesque des expéditions pour attirer des lecteurs, les journalistes des penny papers renvoyèrent une image globalement positive de la flibusterie. Ils lui donnaient l’apparence d’une pratique noble et patriotique, permettant aux recrues de gagner en statut social et virilité. Dans les journaux les plus pro-flibustiers, la flibusterie paraissait être un outil d’ascension sociale et un service rendu à des populations étrangères opprimées, pour le plus grand bien commun. Les journalistes étaient pourtant loin de nier les difficultés rencontrées par les flibustiers lors de leurs expéditions. De nombreux articles décrivaient l’état dans lequel revenaient les recrues aux États-Unis, souvent affamées et affaiblies par le trajet du retour, parfois contaminées par le choléra qui circulait en Amérique Latine[71].

           Il n’en demeure pas moins que le lien fort établi entre flibusterie, frontière et expansion territoriale dans les penny papers contribua à faire des flibustiers le visage de la destinée manifeste auprès du lectorat ouvrier. Cette étude illustre le rôle que pouvaient jouer les journaux pour soutenir l’expansion des États-Unis, dans ce cas en favorisant l’engagement des citoyens étatsuniens dans les expéditions. Toutefois, le rôle des penny papers ne se limitait pas à la promotion, plus ou moins accidentelle, de la flibusterie. Les journalistes du Herald, pour ne prendre qu’un exemple, n’avaient de cesse d’évoquer l’affaiblissement de l’autorité espagnole sur Cuba et la possibilité de profiter des expéditions pour contraindre l’Espagne à vendre l’île[72]. Ce faisant, les journalistes appelaient à la colonisation et à l’expansion des États-Unis, deux pratiques dépeintes comme légitimes, et même nécessaires pour favoriser le développement de l’Amérique.

           En prenant les flibustiers comme support de ce message expansionniste, les éditeurs misaient sur le sensationnalisme pour provoquer l’engouement de la population et favoriser l’alignement de l’opinion publique sur leurs positions. Les techniques éditoriales employées dans les penny papers ont refait surface lors de la guerre hispano-américaine pour renforcer l’enrôlement d’hommes dans l’armée. En 1895, Cuba entama une révolution contre la monarchie espagnole. Les journaux new-yorkais à bas coût, dont le Herald, s’empressèrent de faire le récit détaillé des atrocités subies par les autochtones dans leur lutte contre leur oppresseur[73]. Frank Mott identifiait là les racines du Yellow Journalism : mettre en avant la condition d’une population jugée opprimée de façon romanesque pour mieux attiser la curiosité du lectorat[74]. Ce journalisme poussait l’opinion publique à soutenir l’entrée en guerre des États-Unis avec l’Espagne, davantage pour imposer leur autorité sur Cuba que pour faciliter l’accès à l’indépendance. Ainsi, les journaux firent de nouveau naître un « esprit » impérialiste au sein de la population étatsunienne, donnant corps à la destinée manifeste. Cette étude nous permet de constater que le journalisme jaune expansionniste n’est pas apparu dans les années 1890, mais bien avant la guerre de Sécession avec l’émergence du phénomène flibustier.

[1] A Filibustiero, Life of General Narciso López; Together with a Detailed History of the Attempted Revolution in Cuba, from its First Invasion at Cardinas, Down to the Death of López, at Havana, DeWitt & Davenport, New York, 1851.

[2] Daily National Intelligencer, 14 août 1849, p. 3.

[3] May Robert, Manifest Destiny’s Underworld: Filibustering in Antebellum America, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 2004, p. 21-32.
[4] New York Herald, 31 août 1852, p. 3.

[5] A Filibustiero, Life of General Narciso López, op. cit., p. 1.

[6] New York Herald, 3 mai 1857, p. 1.

[7] New York Herald, 12 août 1847, p. 2.

[8] Caldwell Robert, The López Expeditions to Cuba, Rice Institution, Princeton, 1915, p. 48 ; A Filibustiero, Life of General Narciso López, op. cit., p. 3.

[9] Feipel Louis Nicholas, « The Navy and Filibustering in the Fifties », United States Naval Institute Proceedings, 44, 1918, p. 769.
[10] Lipski John, « Filibustero: Origin and development », Journal of Hispanic Philology, 6, 1982, p. 213‑38.

[11] Daily Crescent, 14 janvier 1851.

[12] Lazo Rodrigo, Writing to Cuba, Filibustering and Cuban Exiles in the United States, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 2005.
[13] Beer Andreas, A Transnational Analysis of Representations of the US Filibusters in Nicaragua, Palgrave Macmillan, New York, 2016.
[14] Chaffin Tom, Fatal Glory: Narciso López and the First Clandestine U.S. War Against Cuba, University Press of Virginia, Charlottesville, 1996.

[15] Kaspi André, et al, La Civilisation américaine, Presses Universitaires de France, Paris, 2004, p. 260-263 ; Brazeal Donald K, « Precursor to Modern Media Hype: The 1830s Penny Press », The Journal of American Culture, 28.4, 2005, p. 405.

[16] « A tremendous engine for mischief », « agitation and excitement seem to pervade all the large cities », Fillmore, Millard Millard Fillmore Papers, Éd. par Frank H. Severance, The Buffalo Historical Society, Buffalo, 1907, p. 351.
[17] « Fillibuster press of the Union », The Weekly Lancaster Gazette, 3 février 1853, p. 4.
[18] « semi-official organ of the filibusters », The Daily Nashville True Whig, 4 juillet 1855, p. 2 ; The Daily Dispatch, Richmond, 20 avril 1859, p. 1.
[19] Wheeling Daily Intelligencer, 17 mai 1858, p. 2.

[20] Lacroix Jean-Michel, Histoire des États-Unis, Presses Universitaires de France, Paris, 2013, p. 176.

[21] « Continent allotted by Providence », O’Sullivan John L. « Annexation ». The United States Democratic Review, vol. 7, J. L. O’Sullivan & O. C, New York, 1846.
[22] Lacroix, Jean-Michel, Histoire des États-Unis, op. cit., p. 145-147, 175-181.

[23] Chevalier François, L’Amérique Latine de l’Indépendance à nos Jours, Presses Universitaires de France, Paris, 1993, p. 93-95.

[24] May Robert, John A. Quitman: Old South Crusader, Louisiana State University Press, Bâton Rouge, 1994, p. 147-206, 292-295 ; Herring George, From Colony to Superpower: U.S. Foreign Relations since 1776, Oxford University Press, New York, 2011, p. 154-156, 325-329, 253, 257-258.
[25] Wyllys Rufus Kay, « The French of California and Sonora ». Pacific Historical Review, vol. 1, 1932, p. 345-352.

[26] May Robert, Manifest Destiny’s Underworld, op. cit., p. 46-51.

[27] Nicaise Auguste, Les Flibustiers Américains, Walker et l’Amérique Centrale, L. Hachette, Paris, 1861, p. 37-104 ; Scroggs William, Filibusters and Financier, The Macmillan Company, New York, 1916, p. 395-396.

[28] Notre corpus est tiré de National Digital Newspaper Program, site Chronicling America, American Newspapers, 2007. URL : https://chroniclingamerica.loc.gov/ [consulté le 04/03/2023].

[29] Schwarzlose Richard, The Nation’s Newsbrokers: The Formative Years, from Pretelegraph to 1865, vol. 1, Northwestern University Press, Evanston, 1898, p. 125.

[30] Spencer David R, The Yellow Journalism: The Press and America’s Emergence as a World Power, Northwestern University Press, Evanston, 2007, p. 22–28.

[31] Bird, Elisabeth, For Enquiring Minds: A Cultural Study of Supermarket Tabloids, University of Tennessee, Knoxville, 1992, p. 12-17 ; Emery, Edwin, Ford, Edwin, Highlights in the History of the American Press, University of Minnesota Press, Minneapolis, 1954, p. 153.

[32] New York Herald, 4 août 1856, p. 3.

[33] « The liveliest sympathy with the cause of the filibusters », « immense mass meeting, at which speeches denouncing the conduct of Commodore Paulding (…) were delivered », New York Herald, 1 janvier 1858, p. 4 ; New York Herald, 29 mai 1857, p. 8.

[34] « it would be a disgrace to lose it by domestic insurrection, or to be obliged to yield it up to some pitiful band of filibusters », New York Daily Tribune, 19 avril 1855, p. 4.

[35] « [had] played his part, and [had] failed », « turn his attention to some more useful pursuit », « as a filibuster he [was] played out », New York Herald, 28 janvier 1858, p. 4.

[36] May Robert, Manifest Destiny's Underworld, op. cit., p. xi.

[37] « From all extraordinary taxes or contributions », New York Herald, 24 décembre 1855, p. 1, 4.
[38] New York Herald, 28 février 1860, p. 6 ; New York Herald, 1 décembre 1855, p. 1 ; Leonard Thomas et al., « Central America Filibusters », Encyclopedia of U.S. – Latin American Relations, vol. 1, SAGE Publications, Los Angeles, 2012.

[39] « At the corner of Broadway and Leonard Street », New York Herald, 24 décembre 1855, p. 1.
[40] L’expression est empruntée à Robert May, voir May Robert, Manifest Destiny’s Underworld, op. cit., p. 69.
[41] Press and Tribune, 25 juin 1859, p. 2 ; Daily Dispatch, 11 janvier 1858, p. 2 ; New Orleans Daily Crescent, 9 mars 1860, p. 1.

[42] Beer Andreas, A Transnational Analysis of Representations of the US Filibusters in Nicaragua, Palgrave Macmillan, New York, 2016, p. 10 et 204.

[43] « Food [could] be had here without much trouble », New York Herald, 14 janvier 1856, p. 6.

[44] The New York Herald, 8 août 1857, p. 1 ; The New York Herald, 19 août 1857, p. 4 ; GREENBERG, Amy, « A Gray-Eyed Man: Character, Appearance, and Filibustering », Journal of the Early Republic, 20.4, 2000, p. 679.
[45] Selon une expression tirée de Truslow Adams, The Epic of America, Little, Brown and Company, Boston, 1931.

[46] Lazo Rodrigo, Writing to Cuba, Filibustering and Cuban Exiles in the United States, The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 2005, p. 113-115.
[47] « Brave among the braves », New Orleans Daily Crescent, 21 août 1857, p. 1 ; Southern Sentinel, 14 juin 1856, p. 3.

[48] « Handful of brave men », « many instances of heroism », Daily Union, 25 septembre 1851, p. 2.
[49] Nous empruntons l’expression « martial masculinity » à Franklin John, The Militant South, Belknap Press of Harvard University Press, Cambridge, 1970.

[50] Greenberg Amy, « A Gray-Eyed Man », op. cit., p. 679.

[51] « Devoured by the ambition of distinguishing themselves, of making a fortune or a sensation », « rarely without a redeeming love of glory », Evening Star,18 février 1858, p. 1.

[52] « [filibustering] serves as a vent for the natural tendency of Americans to conquest and expansion, and (…) apt to produce a conservative old age and an increased regard for law, order and regular authority », New York Herald, 4 janvier 1858, p. 1.
[53] « The order of wild heroes », Alexandria Gazette, 25 novembre 1856, p. 2.
[54] New York Herald, 4 février 1859, p. 5 ; Daily Exchange, 9 décembre 1858, p. 1.
[55] New Orleans Daily Crescent, 27 décembre 1855, p. 1.

[56] « Car of Juggernaut », New York Herald, 20 août 1857, p. 4.

[57] New York Herald, 2 mai 1857, p. 4.

[58] « The bare idea of the continuing expansion of the superficial area of The Republic, [was] ever associated with (…) filibusteroes », New York Herald, 9 avril 1853, p. 4.
[59] « The march of progress », Richmond Enquirer, 5 janvier 1858, p. 1.
[60] « The army of Manifest Destiny », National Era, 22 décembre 1853, p. 5.
[61] The New York Herald, 27 janvier 1857, p. 4.

[62] « An uncompromising advocate of territorial expansion », Crouthamel James, Bennett’s New York Herald and the Rise of the Popular Press, Syracuse University Press, Syracuse, 1989, p. 56.

[63] New York Herald, 22 septembre 1852, p. 2 ; Daily Union, 15 août 1849, p. 2.

[64] New York Herald, 30 décembre 1849, p. 2 ; Daily Union, 11 janvier 1850, p. 3 ; New York Herald, 4 août 1851, p. 3 ; Daily Union, 29 mai 1850, p. 2 ; Daily Union, 15 octobre 1845, p. 3.
[65] « An enemy of Manifest Destiny », « People viewed Spain as a backward, crude and despotic country », Cortada, James W, Spain and the American Civil War, The American Philosophical Society, Philadelphie, 1980, p. 9.
[66] Evening Star, 9 avril 1855, p. 2.
[67] « Came to aid a people struggling against a tyrant », « succeeded in putting him down and in restoring peace to the country », Daily Union, 12 décembre 1856, p. 2.
[68] « Liberator of Nicaragua », Empire County Argus, 8 mars 1856, p. 1.
[69] Shasta Courier, 9 février 1856, p. 1.
[70] New York Herald, 20 août 1857, p. 4 ; New York Herald, 2 mai 1857, p. 4 ; New York Herald, 7 janvier 1856, p. 4.

[71] Evening Star, 18 avril 1856, p. 2 ; New York Daily Tribune, 1 mai 1856, p. 4.

[72] New York Herald, 8 janvier 1849, p. 3 ; New York Herald, 19 mai 1853, p. 1.

[73] New York Tribune, 3 janvier 1897, p. 20 ; The Sun, 29 juillet 1896, p. 3 ; New York Tribune, 27 décembre 1897, p. 1.

[74] Mott Frank, American Journalism, The Macmillan Company, New York, 1942, p. 539.

           En 1851, la maison d’édition DeWitt et Davenport fit paraître un ouvrage intitulé Life of General Narciso López[1]. L’auteur anonyme, surnommé « un Filibustiero », y retraçait quatre expéditions organisées par Narciso López entre 1848 et 1851 à Cuba dans le but d’y chasser la monarchie espagnole. Pendant quatre ans, López tenta de provoquer une révolution populaire à Cuba dans le but de contraindre l’Espagne à déclarer l’indépendance de l’île et de permettre son annexion par les États-Unis. Ces expéditions avaient été condamnées par le président Zachary Taylor dès 1849. Il y voyait une violation des lois de neutralité de 1794 et 1818 et ordonna un renforcement de la surveillance des côtes est des États-Unis[2]. Les expéditions prirent fin lorsque les autorités espagnoles capturèrent López en septembre 1851 et le condamnèrent à mort[3]. L’auteur de Life of General Narciso López rendait alors hommage à celui que certains journalistes new-yorkais présentaient comme un martyr de la cause cubaine[4].

           Selon le « Filibustiero », Cuba avait commencé à attirer l’attention de la population étatsunienne au printemps 1847 grâce à une série d’articles publiés dans le New York Herald[5]. Le 3 mai 1847, les journalistes du Herald incitaient déjà à la création de troupes pour libérer Cuba et placer l’île sous protection des États-Unis[6], estimant que Cuba pourrait bientôt tomber sous l’influence de l’Angleterre si les États-Unis ne s’en emparaient pas[7]. Ces journalistes tiraient leurs informations de La Verdad, journal hispanophone publié par des exilés cubains vivant aux États-Unis. Ils y dénonçaient la tyrannie exercée par l’Espagne à l’encontre des autochtones cubains et en appelaient à une intervention des États-Unis[8]. Les articles et idées du Herald furent repris dans d’autres journaux new-yorkais comme le New York Sun et se diffusèrent dans les grandes villes de la côte est des États-Unis. Narciso López semblait donc répondre aux suggestions insistantes de la presse en organisant sa première expédition vers Cuba en 1848.

           Les journalistes new-yorkais s’intéressèrent de près à ceux qu’ils surnommèrent les « filibusters », ou flibustiers, dès 1849[9]. Descendant du néerlandais vribuiter et de l’espagnol filibustero, le mot « flibustier » était à l’origine synonyme de pirate[10]. En janvier 1851, un article du Daily Crescent expliquait que le terme désignait désormais tout individu engagé dans une campagne militaire non autorisée par le gouvernement et menée à l’encontre d’un pays avec lequel les États-Unis étaient en paix[11].

           La flibusterie fit l’objet de nombreux récits, articles d’opinion et discours retranscrits dans la presse, si bien que l’historiographie récente s’est intéressée au lien entre presse et flibusterie aux États-Unis. Dans Writing to Cuba, publié en 2005, Rodrigo Lazo a étudié El Filibustero, l’organe de presse employé par la Junta, un rassemblement d’immigrés cubains à New York militant pour l’annexion de Cuba aux États-Unis[12]. La thèse d’Andreas Beer, parue en 2016, a mis en avant l’influence de la presse produite par les flibustiers sur la représentation que les États-Unis se faisaient de l’Amérique Latine dans les années 1850[13]. Enfin, l’historien Tom Chaffin voua quelques pages de Fatal Glory, son ouvrage consacré à Narciso López, au soutien que la presse new-yorkaise prodigua aux expéditions[14].

           Cependant, ces historiens ont peu évoqué la relation des flibustiers à la penny press, ou presse à un sou, qui leur consacra une grande quantité d’articles dès la fin des années 1840. Vendus pour quelques centimes, les penny papers furent créés dans les années 1830 en réaction à la hausse de l’alphabétisation et de la demande en informations de la part des hommes d’affaires, commerçants et ouvriers des grands espaces urbains de la côte est[15]. Parmi les titres les plus célèbres figuraient le Sun, fondé par Benjamin Day en 1833 à New York, ainsi que le Herald, le Tribune et le Times. A cette liste s’ajoutent, entre autres, le Delta de la Nouvelle-Orléans et le Baltimore Sun de Philadelphie. Dès le début des années 1850, de nombreux journalistes et politiciens reprochèrent à la penny press d’avoir encouragé l’organisation d’expéditions. Dans une lettre adressée au secrétaire d’État des États-Unis, Daniel Webster, le président Millard Fillmore dit de la presse qu’elle était à l’origine de l’engouement manifesté par la population pour les expéditions de López. Il écrivait que « l’agitation et l’excitation [semblaient] régner dans toutes les grandes villes » et en concluait que la presse et le télégraphe formaient « un formidable moteur de méfaits[16] ». Les penny papers, en particulier, furent de plus en plus considérés comme une « presse flibustière[17] » par leurs concurrents. Le Daily Nashville décrivait le Sun comme le « journal quasi attitré des flibustiers[18] » ; le Delta était qualifié de la même façon par le Wheeling Daily Intelligencer en 1858[19]. Les journalistes du Wheeling accusaient les penny papers de faire naître un « esprit de flibusterie » au sein de la population, c’est-à-dire d’éveiller une sympathie pour les flibustiers favorisant la participation d’individus aux expéditions.

           On peut toutefois se demander si les accusations du Wheeling étaient justifiées. Existait-il véritablement une « presse flibustière », capable de provoquer ou d’alimenter un esprit de flibusterie aux États-Unis ? Pourquoi et comment les penny papers seraient-ils parvenus à susciter l’intérêt des populations urbaines pour les expéditions plus que d’autres journaux ?

L’émergence d’un journalisme sensationnaliste

           L’intérêt des journalistes pour les expéditions crût à la fin des années 1840, au moment où elles se multipliaient dans le pays. Les incursions de López n’étaient que le point de départ d’un âge d’or de la flibusterie aux États-Unis, alimenté par l’idée de « destinée manifeste » théorisée par John O’Sullivan dans le Democratic Review en 1845. Cette destinée prenait la forme d’une croyance messianique en un devoir des États-Unis d’imposer au monde la « grande expérience de la liberté[20] », c’est-à-dire des institutions républicaines. Cela ne pouvait s’accomplir qu’au travers de l’expansion territoriale du pays sur le « continent alloué par la Providence[21] ». La destinée manifeste encouragea donc des politiques expansionnistes débouchant sur l’annexion du Texas en 1845, de l’Oregon en 1846, de la moitié nord du Mexique en 1848[22]. Les ambitions hégémoniques des États-Unis étaient d’autant plus fortes que leurs voisins paraissaient fragiles. Les nations d’Amérique Latine, nées d’une vague de guerres d’indépendance dans les années 1820, étaient traversées par d’importantes crises politiques. Cuba était la dernière colonie américaine appartenant à l’Espagne en 1848 et la présence de la nation européenne était de plus en plus contestée par les Cubains et les pays voisins[23].

           Animé par l’idée de destinée manifeste, John A. Quitman tenta de reprendre l’entreprise de Narciso López et organisa lui aussi une expédition vers Cuba en 1854. Il espérait ainsi chasser l’Espagne d’Amérique et faire appliquer la doctrine Monroe, qui prônait la nécessité de limiter l’influence politique et militaire des Européens sur le continent en rejetant toute forme de colonisation[24]. Certains flibustiers profitèrent de l’instabilité politique des pays voisins pour y mener des incursions. Le français Gaston de Raousset-Boulbon mena une expédition vers la Sonore au Mexique en 1852 ; il fut rapidement suivi du journaliste William Walker, qui y fonda la République de Sonore en 1853[25]. Le régime de Walker fut renversé en quelques mois, mais il profita du déclenchement d’une guerre civile au Nicaragua en 1854 pour s’immiscer dans les hautes sphères du pouvoir du pays. Élu président en 1856, Walker fonda une nouvelle république flibustière et établit l’esclavage au Nicaragua. Ce faisant, il espérait attirer la sympathie des propriétaires terriens esclavagistes du Sud pour faciliter l’annexion de son territoire aux États-Unis. Son gouvernement fut renversé l’année suivante par une coalition de nations d’Amérique Latine qui souhaitaient limiter l’expansion territoriale des États-Unis[26]. Par la suite, Walker organisa chaque année de nouvelles expéditions vers le Nicaragua ou le Honduras avant d’y être arrêté en 1860. Walker mourut fusillé par l’armée hondurienne et sa mort fut retenue par l’historien W. O. Scroggs comme la fin du phénomène flibustier aux États-Unis[27].

           Ces expéditions firent l’objet de nombreux articles dans l’ensemble de la presse, mais ce furent les journalistes des penny papers qui publièrent la plus grande quantité d’écrits sur le sujet. Pour produire cette étude, 11 133 articles évoquant la flibusterie ont été recensés entre 1848 et 1860 dans l’ensemble de la presse étatsunienne[28]. Le Herald, le Tribune, le Sun et le Times de New York furent à l’origine de 18 % des articles de ce corpus à eux seuls. La surreprésentation du phénomène flibustier dans les penny papers par rapport au reste de la presse peut s’expliquer par la nature même de la penny press. L’invention de la presse cylindrique au début du XIXe siècle favorisa l’apparition de cette presse à bas coût et aux tirages importants. En 1850 le Sun vendait près de 55 000 copies par jour, le Herald plus de 32 000, là où d’autres journaux new-yorkais, comme le Journal of Commerce, n’excédaient pas les 5 000 copies[29]. Ces grands tirages permirent aux éditeurs de la penny press de développer un nouveau modèle économique fondé sur la publicité. Là où la majorité des journaux tiraient encore leurs principaux revenus d’abonnements, les éditeurs profitaient des grands tirages des penny papers pour vendre plus cher leurs encarts publicitaires tout en maintenant des prix de vente bas pour le lectorat[30]. L’information devint alors un véritable objet de consommation. Pour favoriser les ventes, la penny press se devait d’être la plus accessible possible à n’importe quelle catégorie de lecteur, tant sur la forme que sur le fond. Elle contenait des articles courts, rédigés dans un style simple et volontairement proche des œuvres de fiction. L’actualité politique y cédait la place aux faits divers et aux grands procès en cours, plus à même d’encourager le lectorat à acheter le numéro suivant pour découvrir la suite des événements[31]. Ainsi, du fait de leur caractère romanesque, les expéditions de López étaient particulièrement à même d’attirer l’intérêt des éditeurs. Les journalistes pouvaient en tirer des articles sensationnalistes pour attiser la curiosité du lectorat et favoriser une large diffusion du journal. Cette importante couverture médiatique permit rapidement aux flibustiers de jouir d’une certaine célébrité auprès de la population des grandes villes étatsuniennes au point que des parades[32], des fêtes étaient organisées pour célébrer le départ de nouvelles expéditions[33].

           Si la quantité d’articles produite sur la flibusterie atteste de l’intérêt des journalistes pour le sujet, elle n’est pas pour autant le signe d’un soutien sans faille pour les expéditions. Le Tribune, dirigé par Horace Greeley, publia bien des articles présentant la flibusterie comme une solution envisageable pour permettre l’acquisition de Cuba si le président ne parvenait pas à racheter l’île à l’Espagne. Cependant, lorsque le gouvernement espagnol évoqua la possibilité qu’une guerre se déclenche avec les États-Unis si les expéditions ne cessaient pas, le Tribune changea d’avis, avançant qu’il « serait une honte de [perdre Cuba] à cause d’une insurrection nationale ou d’être obligé de la céder à une pitoyable bande de flibustiers[34] ». Même le Herald, de loin le journal aux tendances pro-flibustières les plus affirmées, se désintéressa des expéditions répétées et infructueuses de Walker. En 1858, le Herald disait de Walker qu’il « [avait] joué son rôle, et [avait] échoué » et qu’il « ne ferait plus carrière en tant que flibustier[35] ». Ainsi, qualifier la penny press de « presse flibustière » comme le faisait le Wheeling ferait oublier l’opportunisme économique dont faisaient preuve les penny papers en exploitant les histoires des flibustiers.

La flibusterie, une opportunité d’élévation sociale ?

           Il n’en demeure pas moins que la penny press joua un rôle dans l’apparition de l’esprit de flibusterie aux États-Unis, essentiellement parce qu’elle s’adressait aux publics que les flibustiers cherchaient à recruter. L’historien Robert E. May a démontré que la majorité des recrues était jeune, immigrée, ou issue des classes ouvrières urbaines[36]. La présence des flibustiers dans les grandes villes côtières des États-Unis pouvait donc s’expliquer tant par leur proximité avec les espaces convoités que par le fait qu’elles constituaient des bassins de recrutement pour leurs expéditions. En effet, les classes ouvrières et les immigrés, socialement défavorisés, représentaient un public particulièrement à même de participer aux incursions : ils pouvaient être plus facilement convaincus par les promesses des flibustiers de leur offrir une solde ou une parcelle du territoire conquis en échange de leur participation. Or les journalistes n’omettaient pas de faire étalage des récompenses promises aux recrues. Le Herald soulignait que William Walker promettait une solde de 25 dollars et 250 acres de terrain à ses soldats, ainsi qu’une exemption « de tout impôt ou contribution extraordinaire » s’ils s’installaient au Nicaragua[37]. Ainsi, le lectorat ouvrier des penny papers était particulièrement susceptible de considérer les expéditions comme une opportunité d’enrichissement[38].

           En cela, les penny papers pouvaient faciliter les recrutements, d’autant plus qu’ils faisaient circuler de grandes quantités d’informations portant sur l’organisation des expéditions. Sans doute dans l’espoir de satisfaire la curiosité de leur lectorat, les journalistes faisaient régulièrement état de l’avancée des préparations des flibustiers. Le recrutement d’hommes pour une expédition de William Walker fit les gros titres du Herald en décembre 1855 : on trouvait en première page l’adresse à laquelle les flibustiers se réunissaient pour recruter de nouveaux soldats, « à l’angle de Broadway et de Leonard Street[39] ». Les penny papers publiaient aussi de courts paragraphes appelés « cards[40] » indiquant à la population la date et le lieu d’un recrutement : ils étaient imprimés et diffusés par les flibustiers eux-mêmes puis recopiés par les journalistes[41]. Sans même afficher de soutien explicite aux expéditions, la circulation de ces informations pouvait servir de publicité aux flibustiers auprès des populations les plus à même de s’engager.

           À cela s’ajoutait l’habitude prise par les journalistes d’utiliser la presse produite par les flibustiers comme source de leurs articles. Ils s’appuyaient notamment sur El Nicaraguense, le journal du gouvernement de William Walker, pour s’informer sur l’état des relations diplomatiques entre les États-Unis et la république flibustière[42]. Les penny papers contribuaient à la diffusion d’articles de propagande issus du Nicaraguense, propageant une représentation positive du gouvernement de Walker auprès des Étatsuniens. Les journalistes recopiaient des témoignages attribués aux recrues des flibustiers dans lesquels le Nicaragua était présenté comme une terre d’abondance et de richesse. En janvier 1856, le Herald retranscrit un rapport, signé « Edmond Bowley », rédigé à la demande de Walker, mettant en avant les importantes ressources du pays. Le rapport faisait état de la présence de mines d’or et d’argent, d’importantes productions de riz, de sucre et de bois et prétendait que les flibustiers « [pouvaient] se procurer de la nourriture sans trop de difficulté[43] ». On peut douter de la véracité de ce rapport : de nombreux témoignages laissés par les recrues de Walker évoquent la faim dont souffraient les membres des expéditions[44]. Pourtant, en retranscrivant les articles paraissant dans le Nicaraguense, les journalistes présentaient la flibusterie comme un moyen d’enrichissement accessible à tous les hommes étatsuniens. Elle apparaissait alors comme un premier « rêve américain[45] », une opportunité d’accès à la propriété foncière auquel chaque citoyen pouvait avoir accès grâce à son courage et sa persévérance.

La flibusterie comme affirmation d’une « masculinité martiale »

           Dans Writings to Cuba, Rodrigo Lazo a étudié la façon dont Narciso López était pris comme modèle de masculinité par la presse, cité pour son ardeur au combat et sa passion patriotique exemplaire pour Cuba[46]. La bravoure constituait en effet une valeur fondamentale du portrait du flibustier dans les penny papers, notamment pour William Walker qui hérita du surnom de « brave entre les braves[47] ». Dans un article intitulé « The Narrative of the Cuban Expedition », paru le 25 septembre 1851 dans le Daily Union, le mot « courageux » fut employé neuf fois pour caractériser les flibustiers de López, une « poignée d’hommes valeureux » qui avaient fait preuve de « nombreux exemples d’héroïsme[48] ». Les flibustiers incarnaient ainsi une forme de masculinité martiale[49] fondée sur le courage, la capacité à se battre et l’engagement en tant que citoyen. Amy Greenberg prouva que ces idées se retrouvaient bien chez les jeunes recrues en prenant l’exemple de David Deaderick qui a publié le récit de sa participation à plusieurs campagnes de Walker. Selon elle, Deaderick espérait prouver sa valeur par le biais de la flibusterie, qu’il décrivait comme une activité virile[50]. Ainsi, en érigeant au rang de héros patriotes des hommes d’apparence ordinaire par recherche de sensationnalisme, les journalistes contribuaient à rendre la flibusterie plus attractive pour de jeunes hommes. Ces derniers pouvaient y voir une occasion de démontrer leur courage, leur force physique et de s’affirmer dans leur masculinité.

           Les journalistes des penny papers s’adressaient d’autant mieux à leur public masculin qu’ils présentaient la flibusterie comme un moyen de découvrir un nouveau monde, inconnu et sauvage. Certains journalistes n’hésitaient pas à qualifier les flibustiers « d’aventuriers », et un article de l’Evening Star les décrivait comme des individus « dévorés par l’ambition de se distinguer, de faire fortune ou sensation » et « généralement dotés d’un amour salvateur pour la gloire[51] ». Les journalistes du Herald disaient de la flibusterie qu’elle était un « exutoire à la tendance naturelle des Américains à conquérir et à s’étendre », capable d’inspirer chez les jeunes hommes « un respect accru de la loi, de l’ordre et de l’autorité[52] ». En 1856, l’Alexandria Gazette comparait même les flibustiers à Robin des Bois[53]. Les journalistes exagéraient l’aspect romanesque des expéditions, sans doute dans le but d’intriguer et de fidéliser le lectorat. Ce faisant, ils contribuaient à relier la pratique de la flibusterie à l’idée de frontière, en utilisant de plus en plus le mot « flibustier » comme un synonyme de « pionnier » dans leurs articles[54]. Cette idée se retrouvait essentiellement dans le Daily Crescent dont les journalistes disaient que les expéditions de Walker étaient une forme d’émigration, et non d’invasion, puisque les États-Unis et le Nicaragua n’étaient pas en guerre[55]. Quelques articles du Herald contenaient aussi l’idée que la flibusterie était un « Juggernaut[56] », une force inarrêtable, vouée à jouer un rôle fondamental dans l’américanisation du continent[57]. La flibusterie comme la frontière étaient présentées comme deux composantes inhérentes de l’identité des États-Unis. De ce fait, la flibusterie pouvait trouver une forme de légitimité dans la penny press, encourageant l’engagement de jeunes hommes désireux d’affirmer leur indépendance et leur virilité.

« The Army of Manifest Destiny »

           En 1853, un article du Herald affirmait que « l’idée d’une expansion progressive du territoire de la République [était] toujours associée (…) aux flibustiers[58] ». Le Herald n’était pas le seul journal à contenir ce genre de propos, puisque les flibustiers furent souvent décrits comme des agents de la « marche du progrès[59] » en Amérique Centrale, ou comme formant « l’armée de la destinée manifeste[60] ». C’est aussi dans la penny press que l’on trouvait le surnom de « manifest destinarians[61] » pour désigner les flibustiers.

           Les penny papers new-yorkais étaient les plus enclins à présenter le recours à la flibusterie comme une nécessité pour annexer de nouveaux territoires. En cela, ils se faisaient le reflet des opinions politiques de leurs éditeurs. James Gordon Bennett, fervent démocrate, avait soutenu les candidatures de présidents à la politique expansionniste affirmée comme James Polk ou Franklin Pierce et était « un défenseur intransigeant de l’expansion territoriale[62] ». On comprend ainsi pourquoi le Herald était le journal le plus favorable aux flibustiers et que l’élévation de la flibusterie au rang de bras armé de la destinée manifeste traduisait davantage l’opinion politique des grands éditeurs plutôt qu’un avis unanimement partagé entre tous les journalistes de la penny press.

           Un point commun semble toutefois unir ces journaux : tous jouèrent de l’hispanophobie ambiante pour légitimer les expéditions et dénoncer l’exécution de Narciso López en Espagne, perçue comme un outrage à la liberté[63]. Aux yeux de certains journalistes, la flibusterie constituait l’ultime moyen de libérer des peuples opprimés du joug des nations européennes qui continuaient à occuper des territoires américains[64]. L’Espagne, en particulier, était souvent désignée comme une « ennemie de la destinée manifeste », décrite comme « un pays arriéré, grossier et despotique, caractérisé par sa cruauté[65] ». Certains journalistes disaient même de la flibusterie qu’elle s’imposait comme une pratique légitime face au refus de l’Espagne de vendre Cuba aux États-Unis[66]. La même rhétorique fut reprise du temps de Walker : le Daily Union du 12 décembre 1856 disait de lui qu’il « vint aider un peuple qui luttait contre un tyran », en allant se battre au Nicaragua et qu’il « réussit à le faire tomber et à restaurer la paix dans le pays[67] ». Walker, au nom du droit des peuples à se gouverner eux-mêmes, était devenu le « libérateur du Nicaragua[68] ». Des journalistes défendaient l’idée que les flibustiers avaient agi pour protéger leur continent de l’influence européenne, notamment auprès de nations considérées comme trop faibles pour assurer leur propre indépendance[69]. La flibusterie constituait donc une façon de soutenir l’expansion des États-Unis tout en libérant des peuples perçus comme opprimés[70].

Conclusion

           En jouant de la dimension romantique et romanesque des expéditions pour attirer des lecteurs, les journalistes des penny papers renvoyèrent une image globalement positive de la flibusterie. Ils lui donnaient l’apparence d’une pratique noble et patriotique, permettant aux recrues de gagner en statut social et virilité. Dans les journaux les plus pro-flibustiers, la flibusterie paraissait être un outil d’ascension sociale et un service rendu à des populations étrangères opprimées, pour le plus grand bien commun. Les journalistes étaient pourtant loin de nier les difficultés rencontrées par les flibustiers lors de leurs expéditions. De nombreux articles décrivaient l’état dans lequel revenaient les recrues aux États-Unis, souvent affamées et affaiblies par le trajet du retour, parfois contaminées par le choléra qui circulait en Amérique Latine[71].

           Il n’en demeure pas moins que le lien fort établi entre flibusterie, frontière et expansion territoriale dans les penny papers contribua à faire des flibustiers le visage de la destinée manifeste auprès du lectorat ouvrier. Cette étude illustre le rôle que pouvaient jouer les journaux pour soutenir l’expansion des États-Unis, dans ce cas en favorisant l’engagement des citoyens étatsuniens dans les expéditions. Toutefois, le rôle des penny papers ne se limitait pas à la promotion, plus ou moins accidentelle, de la flibusterie. Les journalistes du Herald, pour ne prendre qu’un exemple, n’avaient de cesse d’évoquer l’affaiblissement de l’autorité espagnole sur Cuba et la possibilité de profiter des expéditions pour contraindre l’Espagne à vendre l’île[72]. Ce faisant, les journalistes appelaient à la colonisation et à l’expansion des États-Unis, deux pratiques dépeintes comme légitimes, et même nécessaires pour favoriser le développement de l’Amérique.

           En prenant les flibustiers comme support de ce message expansionniste, les éditeurs misaient sur le sensationnalisme pour provoquer l’engouement de la population et favoriser l’alignement de l’opinion publique sur leurs positions. Les techniques éditoriales employées dans les penny papers ont refait surface lors de la guerre hispano-américaine pour renforcer l’enrôlement d’hommes dans l’armée. En 1895, Cuba entama une révolution contre la monarchie espagnole. Les journaux new-yorkais à bas coût, dont le Herald, s’empressèrent de faire le récit détaillé des atrocités subies par les autochtones dans leur lutte contre leur oppresseur[73]. Frank Mott identifiait là les racines du Yellow Journalism : mettre en avant la condition d’une population jugée opprimée de façon romanesque pour mieux attiser la curiosité du lectorat[74]. Ce journalisme poussait l’opinion publique à soutenir l’entrée en guerre des États-Unis avec l’Espagne, davantage pour imposer leur autorité sur Cuba que pour faciliter l’accès à l’indépendance. Ainsi, les journaux firent de nouveau naître un « esprit » impérialiste au sein de la population étatsunienne, donnant corps à la destinée manifeste. Cette étude nous permet de constater que le journalisme jaune expansionniste n’est pas apparu dans les années 1890, mais bien avant la guerre de Sécession avec l’émergence du phénomène flibustier.

[1] A Filibustiero, Life of General Narciso López; Together with a Detailed History of the Attempted Revolution in Cuba, from its First Invasion at Cardinas, Down to the Death of López, at Havana, DeWitt & Davenport, New York, 1851.

[2] Daily National Intelligencer, 14 août 1849, p. 3.

[3] May Robert, Manifest Destiny’s Underworld: Filibustering in Antebellum America, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 2004, p. 21-32.
[4] New York Herald, 31 août 1852, p. 3.

[5] A Filibustiero, Life of General Narciso López, op. cit., p. 1.

[6] New York Herald, 3 mai 1857, p. 1.

[7] New York Herald, 12 août 1847, p. 2.

[8] Caldwell Robert, The López Expeditions to Cuba, Rice Institution, Princeton, 1915, p. 48 ; A Filibustiero, Life of General Narciso López, op. cit., p. 3.

[9] Feipel Louis Nicholas, « The Navy and Filibustering in the Fifties », United States Naval Institute Proceedings, 44, 1918, p. 769.

[10] Lipski John, « Filibustero: Origin and development », Journal of Hispanic Philology, 6, 1982, p. 213‑38.

[11] Daily Crescent, 14 janvier 1851.

[12] Lazo Rodrigo, Writing to Cuba, Filibustering and Cuban Exiles in the United States, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 2005.

[13] Beer Andreas, A Transnational Analysis of Representations of the US Filibusters in Nicaragua, Palgrave Macmillan, New York, 2016.

[14] Chaffin Tom, Fatal Glory: Narciso López and the First Clandestine U.S. War Against Cuba, University Press of Virginia, Charlottesville, 1996.

[15] Kaspi André, et al, La Civilisation américaine, Presses Universitaires de France, Paris, 2004, p. 260-263 ; Brazeal Donald K, « Precursor to Modern Media Hype: The 1830s Penny Press », The Journal of American Culture, 28.4, 2005, p. 405.

[16] « A tremendous engine for mischief », « agitation and excitement seem to pervade all the large cities », Fillmore, Millard Millard Fillmore Papers, Éd. par Frank H. Severance, The Buffalo Historical Society, Buffalo, 1907, p. 351.

[17] « Fillibuster press of the Union », The Weekly Lancaster Gazette, 3 février 1853, p. 4.

[18] « semi-official organ of the filibusters », The Daily Nashville True Whig, 4 juillet 1855, p. 2 ; The Daily Dispatch, Richmond, 20 avril 1859, p. 1.

[19] Wheeling Daily Intelligencer, 17 mai 1858, p. 2.

[20] Lacroix Jean-Michel, Histoire des États-Unis, Presses Universitaires de France, Paris, 2013, p. 176.

[21] « Continent allotted by Providence », O’Sullivan John L. « Annexation ». The United States Democratic Review, vol. 7, J. L. O’Sullivan & O. C, New York, 1846.

[22] Lacroix, Jean-Michel, Histoire des États-Unis, op. cit., p. 145-147, 175-181.

[23] Chevalier François, L’Amérique Latine de l’Indépendance à nos Jours, Presses Universitaires de France, Paris, 1993, p. 93-95.

[24] May Robert, John A. Quitman: Old South Crusader, Louisiana State University Press, Bâton Rouge, 1994, p. 147-206, 292-295 ; Herring George, From Colony to Superpower: U.S. Foreign Relations since 1776, Oxford University Press, New York, 2011, p. 154-156, 325-329, 253, 257-258.

[25] Wyllys Rufus Kay, « The French of California and Sonora ». Pacific Historical Review, vol. 1, 1932, p. 345-352.

[26] May Robert, Manifest Destiny’s Underworld, op. cit., p. 46-51.

[27] Nicaise Auguste, Les Flibustiers Américains, Walker et l’Amérique Centrale, L. Hachette, Paris, 1861, p. 37-104 ; Scroggs William, Filibusters and Financier, The Macmillan Company, New York, 1916, p. 395-396.

[28] Notre corpus est tiré de National Digital Newspaper Program, site Chronicling America, American Newspapers, 2007. URL : https://chroniclingamerica.loc.gov/ [consulté le 04/03/2023].

[29] Schwarzlose Richard, The Nation’s Newsbrokers: The Formative Years, from Pretelegraph to 1865, vol. 1, Northwestern University Press, Evanston, 1898, p. 125.

[30] Spencer David R, The Yellow Journalism: The Press and America’s Emergence as a World Power, Northwestern University Press, Evanston, 2007, p. 22–28.

[31] Bird, Elisabeth, For Enquiring Minds: A Cultural Study of Supermarket Tabloids, University of Tennessee, Knoxville, 1992, p. 12-17 ; Emery, Edwin, Ford, Edwin, Highlights in the History of the American Press, University of Minnesota Press, Minneapolis, 1954, p. 153.

[32] New York Herald, 4 août 1856, p. 3.

[33] « The liveliest sympathy with the cause of the filibusters », « immense mass meeting, at which speeches denouncing the conduct of Commodore Paulding (…) were delivered », New York Herald, 1 janvier 1858, p. 4 ; New York Herald, 29 mai 1857, p. 8.

[34] « it would be a disgrace to lose it by domestic insurrection, or to be obliged to yield it up to some pitiful band of filibusters », New York Daily Tribune, 19 avril 1855, p. 4.
[35] « [had] played his part, and [had] failed », « turn his attention to some more useful pursuit », « as a filibuster he [was] played out », New York Herald, 28 janvier 1858, p. 4.

[36] May Robert, Manifest Destiny's Underworld, op. cit., p. xi.

[37] « From all extraordinary taxes or contributions », New York Herald, 24 décembre 1855, p. 1, 4.

[38] New York Herald, 28 février 1860, p. 6 ; New York Herald, 1 décembre 1855, p. 1 ; Leonard Thomas et al., « Central America Filibusters », Encyclopedia of U.S. – Latin American Relations, vol. 1, SAGE Publications, Los Angeles, 2012.

[39] « At the corner of Broadway and Leonard Street », New York Herald, 24 décembre 1855, p. 1.

[40] L’expression est empruntée à Robert May, voir May Robert, Manifest Destiny’s Underworld, op. cit., p. 69.

[41] Press and Tribune, 25 juin 1859, p. 2 ; Daily Dispatch, 11 janvier 1858, p. 2 ; New Orleans Daily Crescent, 9 mars 1860, p. 1.

[42] Beer Andreas, A Transnational Analysis of Representations of the US Filibusters in Nicaragua, Palgrave Macmillan, New York, 2016, p. 10 et 204.

[43] « Food [could] be had here without much trouble », New York Herald, 14 janvier 1856, p. 6.

[44] The New York Herald, 8 août 1857, p. 1 ; The New York Herald, 19 août 1857, p. 4 ; GREENBERG, Amy, « A Gray-Eyed Man: Character, Appearance, and Filibustering », Journal of the Early Republic, 20.4, 2000, p. 679.

[45] Selon une expression tirée de Truslow Adams, The Epic of America, Little, Brown and Company, Boston, 1931.

[46] Lazo Rodrigo, Writing to Cuba, Filibustering and Cuban Exiles in the United States, The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 2005, p. 113-115.

[47] « Brave among the braves », New Orleans Daily Crescent, 21 août 1857, p. 1 ; Southern Sentinel, 14 juin 1856, p. 3.

[48] « Handful of brave men », « many instances of heroism », Daily Union, 25 septembre 1851, p. 2.

[49] Nous empruntons l’expression « martial masculinity » à Franklin John, The Militant South, Belknap Press of Harvard University Press, Cambridge, 1970.

[50] Greenberg Amy, « A Gray-Eyed Man », op. cit., p. 679.

[51] « Devoured by the ambition of distinguishing themselves, of making a fortune or a sensation », « rarely without a redeeming love of glory », Evening Star,18 février 1858, p. 1.

[52] « [filibustering] serves as a vent for the natural tendency of Americans to conquest and expansion, and (…) apt to produce a conservative old age and an increased regard for law, order and regular authority », New York Herald, 4 janvier 1858, p. 1.

[53] « The order of wild heroes », Alexandria Gazette, 25 novembre 1856, p. 2.

[54] New York Herald, 4 février 1859, p. 5 ; Daily Exchange, 9 décembre 1858, p. 1.

[55] New Orleans Daily Crescent, 27 décembre 1855, p. 1.

[56] « Car of Juggernaut », New York Herald, 20 août 1857, p. 4.

[57] New York Herald, 2 mai 1857, p. 4.

[58] « The bare idea of the continuing expansion of the superficial area of The Republic, [was] ever associated with (…) filibusteroes », New York Herald, 9 avril 1853, p. 4.

[59] « The march of progress », Richmond Enquirer, 5 janvier 1858, p. 1.

[60] « The army of Manifest Destiny », National Era, 22 décembre 1853, p. 5.

[61] The New York Herald, 27 janvier 1857, p. 4.

[62] « An uncompromising advocate of territorial expansion », Crouthamel James, Bennett’s New York Herald and the Rise of the Popular Press, Syracuse University Press, Syracuse, 1989, p. 56.

[63] New York Herald, 22 septembre 1852, p. 2 ; Daily Union, 15 août 1849, p. 2.

[64] New York Herald, 30 décembre 1849, p. 2 ; Daily Union, 11 janvier 1850, p. 3 ; New York Herald, 4 août 1851, p. 3 ; Daily Union, 29 mai 1850, p. 2 ; Daily Union, 15 octobre 1845, p. 3.

[65] « An enemy of Manifest Destiny », « People viewed Spain as a backward, crude and despotic country », Cortada, James W, Spain and the American Civil War, The American Philosophical Society, Philadelphie, 1980, p. 9.

[66] Evening Star, 9 avril 1855, p. 2.

[67] « Came to aid a people struggling against a tyrant », « succeeded in putting him down and in restoring peace to the country », Daily Union, 12 décembre 1856, p. 2.

[68] « Liberator of Nicaragua », Empire County Argus, 8 mars 1856, p. 1.

[69] Shasta Courier, 9 février 1856, p. 1.

[70] New York Herald, 20 août 1857, p. 4 ; New York Herald, 2 mai 1857, p. 4 ; New York Herald, 7 janvier 1856, p. 4.

[71] Evening Star, 18 avril 1856, p. 2 ; New York Daily Tribune, 1 mai 1856, p. 4.

[72] New York Herald, 8 janvier 1849, p. 3 ; New York Herald, 19 mai 1853, p. 1.

[73] New York Tribune, 3 janvier 1897, p. 20 ; The Sun, 29 juillet 1896, p. 3 ; New York Tribune, 27 décembre 1897, p. 1.

[74] Mott Frank, American Journalism, The Macmillan Company, New York, 1942, p. 539.

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