Olivier Morice
Résumé
Dans la partie septentrionale du lagon vénitien repose l’une des premières colonies proto-vénitiennes : l’île de Torcello. Ce centre urbain se développera au point de devenir, au Xe siècle, l’entité lagunaire la plus importante de son époque. En tant que province périphérique byzantine semi-indépendante, Torcello se devra de parer ses lieux de culte orthodoxes d’une décoration religieuse appropriée. C’est à l’intérieur de la mosaïque pariétale de l’abside sud de l’ex-cathédrale Santa Maria Assunta que repose le sujet de cette étude. Dans la chapelle du Saint-Sacrement figure une représentation des Docteurs de l’Église latine, défilement incorporant saint Martin de Tours, l’évangélisateur des Gaules. Cette recherche s’applique à justifier la présence de cette entité romane par l’émission de différentes hypothèses cohérentes. Entre iconographie byzantine et figures romanes majeures, la cathédrale Santa Maria Assunta de Torcello soulève ainsi de multiples questionnements relatifs au contexte de réalisation de son décor religieux.
In the northern part of the Venetian lagoon lies one of the first settlements founded by refugees from the barbarian attacks of the 5th century : the island of Torcello. This proto-venetian colony develop itself to the point of becoming, in the 10th century, the most powerful lagoon’s entity of its time. As a semi-independent peripheral Byzantine province, Torcello will nevertheless have to adorn its Orthodox churches with an appropriate religious decoration. It’s inside the parietal mosaic of the south apse of the Santa Maria Assunta’s Cathedral that lies the subject of this study. Inside the chapel of the Blessed Sacrament stands a representation of the Doctors of the Latin Church incorporating Saint Martin of Tours, the evangelist of Gaul. In this study, our goal will be to justify this Romanesque presence by issuing different coherent hypotheses. Between Byzantine iconography and major Romanesque figures, the Cathedral Santa Maria Assunta di Torcello raises numerous questions related to the context of realization of its religious decoration.
Détails
Chronologie : XIe – XIIe siècle
Lieux : Vénétie, Italie
Mots-clés : Torcello (Italie) – Histoire – Venise, Lagune de (Italie) – Mosaïque médiévale – Mosaïque byzantine – Mosaïque – Cattedrale di Santa Maria Assunta – Moyen Âge
Chronology: XIth – XIIth century
Location: Veneto, Italy
Keywords: Torcello (Italy) – History – Venice, Lagoon of (Italy) – Medieval mosaic – Byzantine mosaic – Mosaic – Santa Maria Assunta (Church : Torcello, Italy) – Middle Ages
Plan
I – La cathédrale Santa Maria Assunta, une église orthodoxe répondant entièrement à l’iconographie byzantine ?
II – La datation nécessaire du décor religieux de Santa Maria Assunta afin de définir un contexte de réalisation
III – Le commanditaire responsable de la seconde phase de réalisation
IV – L’invasion carolingienne du lagon vénitien pendant le IXe siècle
V – La figure de saint Martin parmi les Docteurs de l’Église latine, une représentation torcellane légitime ?
VI – La représentation torcellane de saint Martin, une affirmation politique dévoilée ?
Conclusion
La découverte archéologique de Diego Calaon dans les combles de l’abside sud de Santa Maria Assunta
Pour citer cet article
Référence électronique
Morice Olivier, “La représentation de saint Martin de Tours parmi les Docteurs de l'Église latine ou la dualité iconographique de Venise durant le Moyen Âge central", Revue de l’Association des Jeunes Chercheurs de l’Ouest [En ligne], n°4, 2024, mis en ligne le 8 janvier 2024, consulté le 21 novembre 2024 à 11h06, URL : https://ajco49.fr/2024/01/08/la-representation-de-saint-martin-de-tours-parmi-les-docteurs-de-leglise-latine-ou-la-dualite-iconographique-de-venise-durant-le-moyen-age-central
L'Auteur
Olivier Morice
Diplômé d'un Master Sciences Historiques – Histoire de l'art à l'Université Ca'Foscari de Venise. Souhaitant rédiger des articles pour des revues spécialisées en Histoire de l'art byzantin et devenir un conférencier/consultant et journaliste spécialisé en art, il a lancé sa propre revue, intitulée Ibidem, après avoir travaillé pour la rédaction web de la revue Connaissance des Arts.
Son article, intitulé La représentation vénitienne de saint Martin de Tours parmi les Docteurs de l'Eglise latine, s'inscrit dans la continuité de son mémoire de recherche sur Les mosaïques pariétales de la cathédrale Santa Maria Assunta de Torcello, datées des XIe et XIIe siècles. Il permet de questionner, à travers l'étude de la représentation de saint Martin de Tours, la dualité iconographique de Venise durant le Moyen Âge et de montrer que le duché vénitien ne se caractérisait pas uniquement par la ville de Venise.
Droits d'auteur
Tous droits réservés à l'Association des Jeunes Chercheurs de l'Ouest.
Les propos tenus dans les travaux publiés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.
Nombreux sont les historiens à avoir travaillé sur l’art vénitien du Moyen Âge central, et cela depuis plus de deux siècles. Le lecteur aura ainsi très probablement accumulé de multiples connaissances sur l’art du Duché lagunaire, matrice de la Sérénissime République du doge. Cependant, peu de scientifiques se sont intéressés à ce que nous nommerons la « proto-Venise » : l’île de Torcello. Il est affirmé dans le récit historique du peuplement lagunaire, mis en place par les diverses chroniques de la cité de Venise[1], que le Duché s’est constitué à la suite des assauts barbares menés dès la fin de l’Antiquité. Cela serait dans ce belliqueux contexte que se forma les différents rassemblements humains du bassin, alors constitués majoritairement de réfugiés continentaux fuyant la barbarie païenne. Il est toutefois important de nuancer ces propos grâce aux recherches archéologiques de Diego Calaon de l’Université Ca’ Foscari de Venise. Ce dernier a démontré qu’il demeurait des signes d’habitation à Torcello avant la fin de la période antique[2]. Les marchands de la cité proche d’Altinum auraient déplacé le port principal de cette métropole romaine sur l’île de Torcello pour cause d’envasement, les imposants navires commerciaux ne pouvant alors plus circuler. Ce constat atteste du fort potentiel mercantile de Torcello, de sa future puissance économique considérable, en rapport avec sa position stratégique, située entre les routes commerciales maritimes et les marchés continentaux majeurs de la période médiévale.
La cathédrale Santa Maria Assunta, une église orthodoxe répondant entièrement à l’iconographie byzantine ?
L’objet de notre recherche prend place sur cette « proto-Venise » : Torcello dont la capacité financière était conséquente pendant le Moyen Âge central. Durant cette période, cette colonie fut l’un des grands points d’échange vénitiens, alimentant un rassemblement humain important[3]. Devenu comptoir commercial majeur entre l’Orient grec et arabe et l’Occident latin, Torcello est l’île la plus puissante et la plus riche de la lagune vénitienne durant le Xe siècle[4]. Grâce à sa haute fréquentation et à sa force économique relative, cette colonie était dotée de plusieurs lieux de culte dont un, primordial pour l’ensemble des communautés lagunaires : la cathédrale Santa Maria Assunta.
Fig. 1 : Schéma chronologique des différents travaux élargissements de la cathédrale Santa Maria Assunta de Torcello, TERWEN, Jacobus J., Torcello, Delft, éditions Delftsch bouwkundig Studenten, date non définie, collection Stylos, p. 17.
Le plan de cet édifice s’articule autour d’une nef centrale accompagnée de deux collatéraux orientés vers l’Est (fig. 1). Ces derniers aboutissent sur trois absides en cul-de-four permettant alors un large développement décoratif. La date précise d'édification de cette église demeure toutefois le sujet de nombreux débats parmi la communauté scientifique[5]. Il existe néanmoins une inscription lapidaire gravée sur une pierre de l’édifice attestant de la fondation de l’église par Isaac, exarque de Ravenne, en 639 de notre ère, lorsque l’évêché était mené par un ecclésiastique nommé Mauro[6].
« Au nom de l’empereur byzantin, sur ordre de l’exarque Isaac, par les soins du maître des soldats, gouverneur de la région, en 639, trois quarts de siècle après la migration, le grand sanctuaire de la lagune septentrionale aurait été fondé. »[7]
Malgré les discussions scientifiques relatives à cette inscription, elle nous permet néanmoins de relever le fort intérêt de l’Empire byzantin pour le bassin vénitien durant le VIIe siècle. Elle porte inscrite sur sa face les dénominations administratives byzantines ainsi que l’ordre d’élever des édifices religieux répondant à l’iconographie orthodoxe en Vénétie, cela dans le but de diffuser la religion impériale de Constantinople. La cathédrale Santa Maria Assunta de Torcello fut ainsi le premier lieu de culte du lagon à être paré d’une décoration religieuse complète[8].
La problématique principale de cette étude repose toutefois à l’intérieur de la mosaïque pariétale de la chapelle du Saint-Sacrement de cette cathédrale. Disposée dans le cul-de-four de l’abside sud, cette dernière expose le Christ en majesté, trônant entouré des archanges Michel et Gabriel (fig. 2).
Fig. 2 : Mosaïque de la chapelle du Saint-Sacrement (vue d'ensemble), abside sud, cathédrale Santa Maria Assunta, Torcello, Italie, XIe - XIIe siècle, Olivier MORICE.
Sous ce déploiement figuratif parfaitement byzantin repose une représentation des quatre Docteurs de l’Église latine : saint Ambroise, saint Augustin, saint Grégoire et enfin, là où aurait dû se tenir saint Jérôme, nous pouvons observer saint Martin de Tours, l’évangélisateur des Gaules (fig. 3, 4).
Aucune erreur d’interprétation n’est possible, une inscription latine nommant les personnages se trouve sur le flanc de chaque figuration. La place de saint Martin dans ce défilement doctoral est ainsi particulièrement sujette à interrogation car ce dernier n’est pas considéré comme l’un des Docteurs de l’Église latine. Ce défilement de saints n’a d’ailleurs pas d’équivalent dans le lagon vénitien pour la période des XIe et XIIe siècles[9]. D’après Irina Andreescu, notre auteur de référence sur la question torcellane, la représentation la plus proche géographiquement et iconographiquement de ce saint se tient dans la basilique homonyme Santa Maria Assunta de la cité d’Aquilée (fig. 5), au nord-est du bassin adriatique[10]. Une figure de saint Martin demeure également dans la coupole nord de la basilique Saint-Marc de Venise, dénommée cupola di San Giovanni, toutefois d’après une hypothèse d’Otto Demus, les mosaïques de cet espace furent refaites durant l’époque baroque et ne sont donc pas véritablement comparables[11]. Ce propos scientifique étant relevé, il est peu probable d’après I. Andreescu et É. Guilhem pour qu’une substitution de figures eut été opérée à Torcello : « Le choix de représenter saint Martin comme quatrième hiérarque est contemporain de la conception de la mosaïque. »[12]
Fig. 5 : Dale Thomas E. A., Relics, prayer and politics in medieval Venetia. Romanesque painting in the crypt of Aquileia cathedral, Princeton, Princeton University Press, 1997, fig. 49, p. 93.
Il est maintenant important de constater que très peu d’auteurs de la littérature spécialisée ont décelé et examiné la présence de saint Martin dans la cathédrale de Torcello. I. Andreescu analysa évidemment cette spécificité lors de ses recherches de doctorat. Elle expose ainsi que certains spécialistes, tel que Gian Piero Bognetti[13], accordent à la représentation torcellane de saint Martin le statut du pape Martin Ier, martyrisé par l’Église d’Orient entre 655 et 656[14]. Andreescu ne se positionne toutefois pas dans le sens de cette hypothèse, qu’elle juge spéculative et trop éloignée temporellement de la date de création de ce décor religieux[15]. Elle affirme également qu’il aurait été impossible que les habits sacerdotaux des quatre évêques représentés soient antérieurs au XIe siècle, par leur style et leur composition[16]. Andreescu n’est par ailleurs pas surprise de retrouver saint Martin de Tours dans une mosaïque italienne des environs de 1100, cette figure affirme particulièrement sa présence dans de multiples images d’institutions bénédictines sur la même période.
La datation nécessaire du décor religieux de Santa Maria Assunta afin de définir un contexte de réalisation
La pertinence de cette étude réside alors dans une brève affirmation d’une correcte datation pour les mosaïques pariétales de Santa Maria Assunta. Cela afin nous permettra de comprendre le contexte historique lié à ce décor religieux. Il est tout d’abord important de considérer que la presque totalité de la littérature scientifique concernant les mosaïques de la cathédrale datait ces ensembles pariétaux entre le XIe et le XIIIe siècle[17]. Dans son ouvrage nommé The Mosaics of San Marco in Venice, O. Demus effectua un travail comparatif conséquent entre les édifices religieux de la lagune, les églises d’Europe centrale répondant à l’iconographie romane ottonienne ainsi que sur les décors des sanctuaires orthodoxes d’Istanbul encore préservés. Il date alors ce déploiement mural aux alentours du XIe siècle[18], datation à mettre en perspective avec une précédente étude rédigée en 1960 dans laquelle l’auteur faisait mention d’une période de réalisation aux environs des années 900[19]. Antonio Niero, dans son ouvrage nommé La basilique de Torcello et Santa Fosca, débute quant à lui sa description du Christ de la chapelle du Saint-Sacrement en nous expliquant que cette représentation du messie trônant est parfaitement semblable aux figures byzantines de l’an 1000[20]. Il émet alors l’hypothèse que ce programme iconographique daterait du XIe siècle et aurait été revu et réarrangé au cours du XIIe siècle.
Mais subsistait dans la communauté scientifique le questionnement relatif à la temporalité d’érection précise des mosaïques se développant dans la cathédrale Santa Maria Assunta. Lors de la rédaction de sa thèse, Andreescu arriva à établir une étude technique basée sur des recherches archéologiques et examinant en détail la stylistique des pièces et les matériaux utilisés. L’auteur affirme alors clairement que l’ensemble du style de la structure décorative de la chapelle de l’abside sud est une « preuve irréfutable qui souligne l’unité générale de la composition, unité de conception et du moment de l’exécution »[21]. Cela signifie pour Andreescu que l’unité recherchée pour la composition du décor de la cathédrale entière atteste d’une période de réalisation rapprochée pour l’ensemble des mosaïques de l’église et située entre le XIe et le XIIe siècle.
« S’il faut porter un jugement sur la date de la rangée des Docteurs, en partant du style (ou de ce qu’il en reste) les visages considérés, aux caractères “médio-byzantins” et non pas pré-iconoclastes, se rattachent […] aux environs de 1100. »[22]
Le docteur Andreescu définit ensuite dans son travail que l’ensemble du décor religieux de la cathédrale Santa Maria Assunta fut érigé sur une temporalité rapprochée mais en suivant deux phases de réalisation, tenue plus précisément au XIe siècle pour la première, puis durant la seconde moitié du XIIe siècle pour la deuxième[23]. Nous pourrons nommer cette seconde période de décoration « phase de complétion », car exécutée à la suite d’un important réarrangement architectural de l’édifice[24]. Ensuite, grâce aux recherches archéologiques menées par Andreescu nous savons que, comme dans tout grand ensemble de mosaïques pariétales, le travail débute au centre de l’œuvre avec l'exécution des figures principales, puis se développe simultanément de chaque côté grâce à au moins deux exécutants différents[25]. Nous pouvons alors définir que le déploiement des Docteurs de l'abside sud fut très probablement érigé lors de la seconde phase de réalisation, établissant les figures mineures et les registres non-centraux.
Le commanditaire responsable de la seconde phase de réalisation
Le travail d’Andreescu nous permet ainsi d’estimer une datation relativement précise concernant la réalisation de la mosaïque torcellane exposant les Docteurs de l’Église latine. Nous serions dorénavant en droit de nous questionner sur l’identité du commanditaire de cette pièce. La recherche documentaire approfondie d’Andreescu l’a poussé à établir que ce personnage se prénommait Leonardo Donato, membre d’une importante famille patricienne de Venise qui mena son épiscopat à Torcello entre les années 1172 et 1197.
« Un document du XIVesiècle qui reprenait un autre du XIIe, mentionne une donation de l’empereur Frédéric Barberousse au profit de la cathédrale de Torcello, à l’occasion de sa fameuse visite à Venise, lieu de sa rencontre avec le pape Alexandre III en 1177. À ce moment, justement, l’évêque de Torcello se trouvait être Donato. »[26]
Cette donation effectuée durant le dernier quart du XIIe siècle par le Saint-Empire romain germanique nous permet ainsi de définir l’identité de l’évêque en poste à Torcello. Nous venons de voir que c’est également durant cette période que la deuxième phase « de complétion » de la cathédrale s’effectua. Il devient alors possible d’affirmer que le commanditaire de l’extension et de l’achèvement des mosaïques pariétales de Torcello fut l’évêque Leonardo Donato, au pouvoir entre 1172 et 1197, qui missionna des ateliers-mosaïstes à la suite de la visite de l’empereur Barberousse, entre 1177 et 1197. La découverte de testaments vénitiens du XIIe siècle dans les fonds d’archives lagunaires justifie également que la décoration de Santa Maria Assunta fut exécutée grâce à l’aide financière d’un notable du clergé[27]. Cette affirmation repose sur des documents énonçant des donations au monastère de San Giovanni Evangelista, situé également sur l’île de Torcello mais aujourd’hui disparu. Mais pour quelle raison Leonardo Donato a fait le choix de représenter cette entité parfaitement romane au sein d’une décoration religieuse répondant pourtant originellement à l’iconographie de la Maison des Comnènes ?
L’invasion carolingienne du lagon vénitien pendant le IXe siècle
Lorsque les Lombards conquièrent Ravenne en 751, le pape est également assiégé à Rome par leur roi Désidérius[28]. Le souverain pontife sollicita alors l’aide du Royaume franc et recevra une réponse rapide de Pépin le Bref[29]. Ce dernier profitera de cette campagne militaire en Italie pour obtenir les territoires lombards proches du bassin vénitien, que les Francs ne rétrocèderont pas à Byzance aisément. À la fin du VIIIe siècle, l'Empire carolingien se développe dans le nord de la péninsule italienne et prend le contrôle du territoire enclavant la lagune vénitienne.
« L’arrivée en Italie des Francs, beaucoup plus forts et mieux organisés que les Lombards, a des répercussions immédiates dans les lagunes. Cittanova reste la place forte des fidèles de Byzance, Malamocco devient la base du parti qui voudrait faire entrer la province dans l’orbite du règne franc. »[30]
L’existence de sympathisants à l’Empire franc est ainsi attestée sur l’île de Malamocco durant la conquête carolingienne des débuts du IXe siècle. Ces derniers s’organisèrent afin de constituer une force politique encline au protectorat carolingien. Il en sera de même dans la cité continentale de Trévise qui verra également naître en 804 des factions politiques francophiles[31]. Ces « partis pro-carolingiens » furent soutenus par le patriarche Fortunato de Grado qui fut présenté à Charlemagne en 803, lors de son voyage à l’intérieur de l’Empire franc en compagnie de quelques notables de Malamocco[32].
Ces factions francophiles, tournées vers le Royaume carolingien et sa théologie catholique, renverseront le doge Giovanni Galbaio en 804 et lui substitueront deux personnages favorables à la politique de Charlemagne et présents durant la visite de Fortunato : Obelierius et son frère Beatus[33]. Les auteurs spécialisés supposent que de ce renversement politique émana une probable allégeance du Duché vénitien pour l’empereur d’Occident en 805[34]. De cet affront essuyé par Byzance découlera, en 809, un conflit naval à Comacchio entre l’Empire byzantin et l’Empire franc pour le transfert d’allégeance de la « Venise carolingienne »[35].
« La situation, pour cette portion extrême de l’Empire byzantin, devint délicate, lorsque le fils de Pépin, Charlemagne, ayant en 774 remporté une victoire définitive sur le roi des Lombards, devint le maître de toute la Terre Ferme jusqu’à l’Istrie : pour quatre siècles, la lagune allait se trouver à la frontière des deux Empires. »[36]
Il est alors envisageable de considérer que Leonardo Donato, probable commanditaire du défilement des Docteurs de l’Église latine incluant saint Martin, demeurait plus sensible à la foi catholique initialement menée dans le bassin par l’Empire franc au IXe siècle. L’évêque Leonardo Donato aura alors décidé d’incorporer pendant la seconde phase de décoration une figure tout à fait carolingienne, devenue porte-étendard de l’Empire de Charlemagne durant ses conquêtes et diffusant de ce fait la théologie de l’Église catholique.
« Au moment de l’invasion carolingienne, il [saint Martin] est devenu une figure militante permettant de servir la propagande des Carolingiens. »[37]
La figure de saint Martin parmi les Docteurs de l’Église latine, une représentation torcellane légitime ?
L’identité des quatre Docteurs de Santa Maria Assunta est attestée par les inscriptions qui entourent les figures représentées, nous l’avons vu. Cependant, saint Martin ne possède pas ce statut ecclésiastique si particulier, il prend la place de saint Jérôme de Stridon dans le défilement des quatre théologiens latins. Saint Martin n’est d’ailleurs présent à aucun moment dans la liste canonique des Docteurs de l’Église. Il est premièrement reconnu comme l’évangélisateur de la vallée de la Loire, avant que des auteurs contemporains tels que Sulpice Sévère ne le caractérise comme un « saint-guerrier », évangélisateur des Gaules durant la période médiévale[38].
Ces textes nous relatent que saint Martin fut soldat dans l’armée romaine pendant le IVe siècle. Il servit en Italie puis en Gaule où s’écrira son plus fameux épisode, celui de la Charité et du manteau[39]. Il deviendra l’évêque de Tours en 371 et sera considéré comme l’évangélisateur des Gaules[40], grâce aux diverses communautés monastiques qu’il fondera. La renommée intense de saint Martin durant le haut Moyen Âge portera les conquêtes de Charlemagne et se diffusera en Occident par ce biais. Il sera ainsi tant vénéré dans le Royaume carolingien qu’il en deviendra le saint-patron[41].
« À Venise, dès le haut Moyen Âge, saint Martin n’est pas seulement représenté comme le saint confesseur et évangélisateur des Gaules, mais aussi comme un saint militaire. »[42]
La vénération de saint Martin dans la zone adriatique demeure également un questionnement fondé pour concevoir cette présence romane dans les mosaïques de Santa Maria Assunta di Torcello. Nous l’avons vu, la figuration la plus proche et répondant à une temporalité similaire demeure dans la crypte de la basilique Santa Maria Assunta de la cité adriatique d’Aquilée. Durant le Moyen Âge central, cette cité demeurait un centre urbain important, facteur primordial pour la propagation de la Chrétienté[43]. Sa basilique sera consacrée en 1031 par le patriarche en exercice, un ecclésiastique dénommé Poppo[44]. Ce dernier fit représenter dans la crypte de l’édifice une figuration de saint Martin qui relate une confrontation séculaire, opposant les patriarches de Grado et d’Aquilée pour le siège épiscopal de la Vénétie au XIe siècle. Le premier patriarche accordait davantage de valeur à la théologie orthodoxe de Byzance tandis que Poppo d’Aquilée (1019 – 1042) considérait comme supérieure la spiritualité catholique menée par l’Empire carolingien et par son successeur, le Saint-Empire romain germanique[45].
Le patriarche de Grado, nous le connaissons il s’agit d’Orso Orseolo, évêque de Torcello pendant le XIe siècle et responsable de la première phase de réalisation du décor religieux[46]. Orso Orseolo fut nommé patriarche de Grado en 1018 grâce au soutien de son frère, le doge Ottone Orseolo, laissant à son plus jeune frère Vitale l’évêché de Torcello[47]. Ces nominations de l’entourage proche du doge Orseolo créèrent toutefois un soulèvement au sein des familles patriciennes de Venise. Ces revendications furent rejointes puis conduites par le puissant patriarche d’Aquilée Poppo qui fit bannir Ottone et Orso Orseolo en Istrie durant l’an 1022[48]. Poppo profita de l’éloignement du patriarche de Grado pour s’emparer de sa cité, voisine d’Aquilée[49]. Il disposait pour cela de l’accord du pape Jean XIX ce qui nous porte à croire qu’en plus de son origine germanique, Poppo demeurait proche de la papauté catholique de Rome. En 1023, les Vénitiens firent rappeler les deux frères Orseolo afin qu’ils réintègrent leurs fonctions communes, par crainte du développement des ambitions de Poppo. Ottone reconquit Grado et en chassa le patriarche d’Aquilée après son retour sur le siège ducal[50].
Le puissant patriarche Poppo est par ailleurs défini par O. Demus comme appartenant « au monde nordique et occidental »[51]. Il demeurait un ancien noble du Saint-Empire romain germanique, valorisant ainsi davantage l’iconographie romane pour la décoration des lieux de culte qu’il administrait. Les affinités de Poppo avec Rome et le Saint-Empire romain germanique s’affirme par son choix de représenter dans sa basilique saint Martin (fig. 5), une figure romane majeure introduite dans le lagon par les Carolingiens durant le IXe siècle. Orso Orseolo quant à lui, était un homme de foi orthodoxe, il estimait plus favorablement l’art impérial de Constantinople pour la décoration des édifices sacrés de la lagune. Ce dernier demeurait, toujours d’après les termes de Demus, fortement dirigé par « le monde byzantin-oriental »[52]. Cela nous permet toutefois de définir que le culte de saint Martin était déjà présent dans la zone adriatique durant le Moyen Âge central et cela confirme la légitimité de sa représentation torcellane.
La représentation torcellane de saint Martin, une affirmation politique dévoilée ?
La présence de saint Martin de Tours, l’évangélisateur des Gaules, dans le décor religieux de la cathédrale de Torcello soutiendrait-elle une affirmation politique intrinsèque ? Tout d’abord, nous savons que demeuraient dans le bassin vénitien des factions politiques « pro-carolingiennes » depuis l’arrivée des Francs au début du IXe siècle. Cet élan politique en faveur du protectorat de Charlemagne s’effectua même quelques années avant l’invasion menée par Pépin d’Italie en 810[53]. La création de partis francophiles, advenue peu de temps après le voyage diplomatique de Fortunato à l’intérieur de l’Empire carolingien, fut très probablement soutenue par le patriarche de Grado en personne. D’autres aristocrates réaltins durant les générations suivantes, disposant d’une vision politique et théologique identique, ont alors également pu supporter ces partis en faveur d’une administration tournée vers l’Occident.
Car le Duché se trouvait, au IXe siècle, étroitement cerclé entre l’Empire carolingien posté sur le continent et les Byzantins le long des routes commerciales vers l’Orient. Les deux puissances réclamaient l'allégeance de Venise, possédant d’ores-et-déjà un potentiel commercial considérable. Une partie de la population lagunaire préférait une alliance avec l’Occident de Charlemagne, l'autre s’en remettait à Constantinople et se refusait à une certaine émancipation du Duché vénitien. Un équilibre politique interne précaire donc, permettant à certaines familles patriciennes de Rialto de prendre position en faveur de l’Empire franc, de l’idéologie catholique de Rome et de l’ambition de se développer commercialement vers l’Occident.
Nous avons vu que ces débats théologiques sont finalement devenus des conflits politiques violents avant même l’arrivée des Carolingiens puisqu’un coup d’état renversa le pouvoir en 804. Ce type d’aristocrates pro-francs favorables à l’idéologie catholique disposaient de moyens suffisants pour rémunérer les factions politiques enclines à leur vision de l’administration du lagon. Cette partie de la noblesse réaltine aura également pu se joindre à l’action impulsée à Torcello au XIIe siècle par l’évêque Leonardo Donato afin de financer l’incorporation de la figure du saint-guerrier de l’Empire carolingien.
Conclusion
Pour répondre à la problématique principale lancée par cette étude, en effet les mosaïques pariétales de la cathédrale Santa Maria Assunta de Torcello ne répondent pas entièrement au programme iconographique byzantin émis par la cour impériale durant le Moyen Âge central. Les mosaïques présentes dans le cul-de-four de l’abside sud, et exposant les Docteurs de l’Église latine accompagnés de saint Martin de Tours, en sont le meilleur exemple. Cette partie du décor religieux propose ainsi, par le choix des figures représentées, une nouvelle lecture du récit historique de Torcello. Il serait alors aisé d’expliquer la présence de l’iconographie romane dans la chapelle du Saint-Sacrement de Torcello par le désir d’émancipation du lagon à l’égard de Byzance. Toutefois, un autre raisonnement demeure envisageable afin de répondre à la problématique de cette recherche.
Certes l’hypothèse selon laquelle saint Martin serait présent dans la mosaïque de la chapelle du Saint-Sacrement car l’évêque responsable de son érection demeurait proche de la foi catholique demeure parfaitement probable. Seulement, cette dernière était en expansion dans la zone lagunaire grâce à la diffusion du courant bénédictin durant le Moyen Âge central[54]. Les couvents de Saint-Antoine-abbé de Torcello, Saint-Vite et Saint-Maure de Burano pour ne citer qu’eux, tous appartenaient à l’ordre de saint Benoît et la dévotion de saint Martin dans la lagune vénitienne est ainsi portée et avérée par ces institutions depuis l’an mille[55]. La place de saint Martin dans ce déploiement doctoral n’en serait pas davantage expliquée. Mais ce saint fut également un adversaire des hérésies, et de l’arianisme tout particulièrement. D’après sa légende, il s’illustre contre sa propagation et convertit les populations dans les provinces septentrionales de l’Italie[56]. À la suite de la promulgation de l’édit de Justinien contre l’arianisme en 561 et, grâce à la prise de position de Martin contre cette hérésie durant le IVe siècle, il devint le saint patron de l’église Saint-Apollinaire-le-Neuf de Ravenne entre le milieu du VIe siècle et le milieu du IXe siècle[57]. Une étude comparative entre la décoration de l’abside principale de la basilique Saint-Vital de Ravenne et celle de l’abside sud de la cathédrale Santa Maria Assunta de Torcello est par ailleurs tout à fait envisageable[58]. Ces faits nous permettent ainsi de proposer une nouvelle hypothèse : et si le décor liturgique de la chapelle du Saint-Sacrement de Torcello avait pour but une affirmation de la lutte contre l’arianisme ?
Au-dessus du défilement des Docteurs, et servant à séparer les registres, l’on trouve une inscription latine qui court sur l’ensemble de l’abside :
PERSONIS TRIPLEX DEVS EST ET NVMINE SIMPLEX HERBIDAT HIC TERRAM MARE FVNDIT LUMINAT AETHERAM
« Dieu est triple quant à la personne mais unique quant à l’Essence. Il recouvre cette terre d’herbe, fait s’étendre les mers et illumine le ciel. »[59]
Cette épigraphie est intéressante pour notre étude car elle permettrait également de justifier la présence de saint Martin dans notre décoration torcellane. Elle affirme pleinement la Trinité nicéenne de Dieu, répandue autant dans le Christ que dans le divin. Ce dogme réfute ainsi la doctrine arianiste établissant que le Christ est le fils de Dieu, créé par ce dernier et faisant de lui son subordonné[60]. Cette inscription serait alors une attestation dogmatique établissant un lien entre les figures des trois Docteurs de l’Église et celle de saint Martin. Car la doctrine des Trois Entités pleinement et également divines fut défendue par trois des quatre personnages présents de la chapelle du Saint-Sacrement : saint Martin, saint Augustin et saint Ambroise. Ainsi, une autre hypothèse s’impose d’elle-même : est-il possible que la figure de saint Grégoire ne représente pas Grégoire 1er le Grand, Docteur de l’Église catholique mais bien Grégoire de Nazianze, Père cappadocien et Docteur de l’Église orthodoxe qui réfuta fermement l’hérésie arianiste durant le IVe siècle[61] ? Ce défilement doctoral pourrait alors soutenir une logique figurative différente : saint Martin, tout comme les autres personnages représentés, prirent part à la lutte contre l’arianisme[62] et ce registre pourrait alors être une affirmation de la Sainte Trinité nicéenne.
La mixité iconographique de Torcello pourrait également résulter des relations entre la Venise insulaire et la Vénétie continentale. En effet, la cité de Vérone se distingue par la richesse de ses éléments décoratifs et architecturaux romans[63]. Les caractéristiques occidentales présentes dans les mosaïques pariétales de Torcello pourraient alors être une intervention stylistique en rapport avec ce qui se faisait dans un environnement proche de la Venise insulaire. Comme l’explique l’auteur Gianpaolo Trevisan, c’est à la suite de la conquête du royaume lombard par les Francs au début du IXe siècle que les relations diplomatiques entre Byzantins et Carolingiens se dégradent plus qu’elles ne l’étaient[64]. Il faudra attendre les accords d’Aix-la-Chapelle en 812 – 814 pour que se mette en place une subdivision de l’ancienne province Venetia Istria, à la fois Terre Ferme et territoire insulaire, vers une séparation Regnum Italicum comme espace continental au profit de l’Empire carolingien ainsi qu’une Venetia lagunaire, toujours administrativement dépendante de l’empereur byzantin. Ainsi Vérone, cité relevant de la Venetia continentale, restera évidemment fortement influencée par l’iconographie romane relative à la présence franque sur les anciens territoires vénètes[65]. De cela découlera un échange stylistique entre deux aires géographiques proches, aboutissant à Torcello à une réunion des iconographies de chaque entités.
Il nous semble maintenant important de rappeler au lecteur que le registre exposant les Docteurs de l’Église latine accompagnés de saint Martin de Tours fut très probablement réalisé durant la seconde phase de réalisation du décor religieux, celle parachevant le réarrangement architectural subi par l’église pendant la deuxième partie du XIIe siècle. Cette phase de décoration répondait à un besoin de complétion des cycles décoratifs de Santa Maria Assunta dont les registres majeurs avaient déjà été érigés par ce que nous pensons être des maîtres-mosaïstes constantinopolitains[66], maîtrisant parfaitement le style de cour de la Maison des Comnènes. Il est également important de définir que des mosaïstes locaux ont très certainement participés à la première phase de réalisation en s’employant pour l’aide des maîtres-artisans grecs[67]. Ils pouvaient ainsi acquérir des techniques émanant des plus grands, tout en remplissant une charge de travail rémunérée. L’apprentissage de ces techniques les rendaient davantage familiers avec le répertoire iconographique orthodoxe. Ils se rendaient par ailleurs aptes à décorer d’autres édifices religieux de la zone adriatique, saisissant ainsi la charge de travail originellement octroyée aux mosaïstes byzantins.
« Assurément, la plus grande partie des créations de ces peintres byzantins émigrés appartient à l’art de Byzance. Mais des aides occidentaux participaient fréquemment à la réalisation des travaux des peintres grecs ; en bien des cas, ils eurent tôt fait de remplacer et supplanter leurs maîtres étrangers. À quoi il convient d’ajouter que ceux des artistes grecs qui s’étaient établis en Italie ont fréquemment perdu leur caractère original. Ils se sont occidentalisés d’autant plus facilement et d’autant plus vite qu’à cette époque la notion “d’appartenance nationale” était pratiquement inexistante. »[68]
Dans son ouvrage nommé Les grands siècles de la peinture byzantine, André Grabar définit les mosaïques de Santa Maria Assunta de Torcello comme étant « de goût byzantin mais d’exécution locale » car l’ensemble des œuvres de la zone adriatique « sont toutes plus ou moins apparentées les unes aux autres, ce qui suppose l’existence dans la région, à Venise probablement, d’ateliers actifs de mosaïstes acquis aux techniques et au goût byzantin »[69]. Il pense ainsi que le recourt à des ateliers-mosaïstes locaux était possible pour réaliser une décoration liturgique orthodoxe durant la période qui nous intéresse, au moins en partie. Des ajouts purent donc être conduits par des ateliers-mosaïstes italiens, fortement initiés aux techniques et à l’iconographie byzantine. Ils reproduisirent le courant stylistique orthodoxe mais utilisèrent également un autre répertoire pour les registres mineures. Cette iconographie, plus familière car géographiquement plus proche d’eux, est l’iconographie romane dans laquelle la Terraferma baignait depuis les invasions carolingiennes du IXe siècle et l’expansion de la stylistique du Saint-Empire romain germanique au Xe – XIe siècle. L’appel à des représentations romanes pour les éléments non-essentiels de la fresque du Jugement Dernier et pour le cas qui nous intéresse : la figure de saint Martin de Tours parmi les Docteurs de l’Église latine, pourrait ainsi attester de l’origine italienne des ateliers exécutants la seconde phase « de complétion » du XIIe siècle.
La découverte archéologique de Diego Calaon dans les combles de l’abside sud de Santa Maria Assunta
Fig. 6 : Partie rouge : découverte archéologique récente, partie jaune : voute de l'arc situé devant la chapelle de l'abside sud, infographie produite par Diego Calaon pour sa conférence illustrant les découvertes archéologiques de 2019 - 2020.
Une découverte archéologique importante fut réalisée en 2019 sur l’île de Torcello. À la suite d’intempéries historiques, de nouvelles fresques murales furent mises au jour dans les combles de la cathédrale. L'espace au-dessus du plafond de l’abside sud fut alors dégagé afin d’évaluer les dégâts et c’est ainsi que l’on découvrit des peintures murales dans la partie supérieure des murs latéraux de la chapelle (fig. 6). Ces fresques, relevant encore du domaine archéologique, seraient datées par Diego Calaon, archéologue de l’Université Ca’ Foscari de Venise, de la fin du VIIIe siècle ou du début du IXe siècle.
Elles représentent saint Martin, identifiable grâce à une inscription latine « Sanctvs Martinvs » qui nous assure de la correcte interprétation d’une peinture murale aussi dégradée (fig. 7). Cette fresque demeure il est vrai très peu figurative mais nous pouvons toutefois observer clairement la tête d’une figure auréolée aux côtés de l’inscription. Face à ces vestiges archéologiques se tient une peinture bien plus représentative de la Vierge Marie, figurée pour sa part d’après le thème de l’Annonciation (fig. 8). Un fragment d’inscription demeure encore visible à côté de cette figure, il s’agit d’un « AR » correspondant au nom de Marie. La figure demeure elle-aussi auréolée et porte un voile incrusté de gemmes. Par le style de la fresque figurant la Mère de Dieu et la couleur utilisée, les experts rapprochent très favorablement cela de l’iconographie carolingienne[70].
Il demeure important de relever que D. Calaon identifie fondamentalement cette représentation à saint Martin de Tours, l’évangélisateur des Gaules. Il théorise également le fait que la chapelle du Saint-Sacrement aurait probablement été dédiée à saint Martin pendant le IXe siècle. Cela positionne ainsi le saint de l’Empire carolingien sur un plan spirituel majeur pour les communautés lagunaires. La rencontre avec les Francs développa la foi catholique dans le lagon et l’orthodoxie de Byzance avait très sûrement déjà été remise en question par les notables du clergé local.
Dans l’ouvrage collaboratif Torcello Il Millennio, Basilica di Santa Maria Assunta, des spécialistes nous dévoilent que les mosaïques de Santa Maria Assunta suivraient des schémas élaborés durant le IXe siècle[71]. D’autre part, durant ses recherches notre auteur de référence I. Andreescu a découvert que l'autel présent dans la crypte de l'édifice était lui-aussi dédié à saint Martin au cours de ce même siècle[72]. Il devient alors possible de théoriser le fait que les fresques découvertes en 2019 furent une sorte de « brouillon préparatoire » pour le décor de la chapelle du Saint-Sacrement, originellement dédiée à saint Martin de Tours tout comme l’était la crypte de l’église. Toutefois, l’avancée des recherches archéologiques de Diego Calaon saura nous en apprendre davantage sur le récit historique contenu dans l’iconographie de la cathédrale Santa Maria Assunta.
[1] Voir Giovanni da Venezia, Chronicon Sagornini, Chronicon Venetum usque ad annum 1008, La Cronaca Veneziana di Giovanni Diacono, traduit par di Bianchi N. G., de Biasi M., Venise, Comune di Venezia, 1988 ; Martin da Canale, Les Estoires de Venise, Cronaca veneziana in lingua francese dalle origini al 1275, Florence, éditions Alberto Limentani, L. S. Olschki, 1972 ; Auteur anonyme, Origo civitatum Italie seu Venetiarum : Chronicon altinate et Chronicon gradense, par Cessi R., Rome, Tipografia del Senato, 1933.
[2] Calaon Diego, Ca’ Foscari News, Radio Ca’ Foscari, publié le 20 juin 2022, https://unive.it/pag/16584/?tx_news_pi1%5Bnews%5D=12844&cHash=341c7f6729d2efe3ea93f2affc180155%20 (consulté le 17/07/2023).
[3] Nicol Donald M., Byzantium and Venice, A study in diplomatic and cultural relations, Cambridge, Cambridge university press, 1988, p. 19.
[4] Constantin Porphyrogénète, De administrando imperio, traduit par Moravcsik G. et Jenkins R., éditions Dumbarton Oaks Texts, tome I, Washington D.C., 1967, tome II, Commentary, Londres, 1962 ; Crouzet-Pavan Élisabeth, La mort lente de Torcello : histoire d’une cité disparue, Paris, Fayard, 1995, p. 42 ; Braunstein Philippe, Delort Robert, Venise, portrait historique d’une cité, Paris, éditions du Seuil, 1971, p. 33.
[5] Pour davantage d’explications sur la datation de cet édifice, voir Pertusi Agostino, « L'iscrizione torcellana dei tempi di Eraclio », Bollettino dell’Istituto di Storia della Società e dello Stato veneziano, Venise, Istituto di storia della società e dello stato veneziano della Fondazione Giorgio Cini, volume IV, 1962, p. 9 ; Braunstein Philippe, Delort Robert, Venise, op. cit., p. 27 ; Crouzet-Pavan Élisabeth, La mort lente de Torcello, op. cit., p. 90.
[6] Caputo Gianmatteo, Galifi Irene, Niero Antonio, Torcello Il Millennio, Basilica di Santa Maria Assunta, Saonara Padoue, éditions Il Prato, 2008, p. 8.
[7] Crouzet-Pavan Élisabeth, La mort lente de Torcello, op. cit., p. 91 ; Braunstein Philippe, Delort Robert, Venise, op. cit., p. 27.
[8] Le Trésor de Saint-Marc de Venise, catalogue d’exposition tenue du 24 mars au 25 juin 1984, Galeries nationales du Grand Palais, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 1984, p. 15.
[9] Andreescu Irina, Les mosaïques de Torcello, Thèse de doctorat préparée à l’École Pratique des Hautes Études sous la direction de Jean Lassus, Lille, Atelier de Reproduction des Thèses, 1975, p. 221 – 226.
[10] Dale Thomas E. A., Relics, prayer and politics in medieval Venetia. Romanesque painting in the crypt of Aquileia cathedral, Princeton, Princeton University Press, 1997, p. 93.
[11] Andreescu Irina, Les mosaïques de Torcello, Thèse de doctorat, op. cit., p. 222.
[12] Guilhem Élodie, « Un saint inattendu dans le diakonikon », Mélanges Catherine Jolivet-Lévy, volume 20/2, Paris, Association des Amis du Centre d’Histoire et Civilisation de Byzance, 2016, p. 186.
[13] Bognetti Gian Piero, « Una campagna di scavi a Torcello per chiarire problemi inerenti alle origini di Venezia », Bollettino dell'Istituto di storia della società e dello stato veneziano, volume 3, Venise, Fondation Giorgio Cini, 1961, p. 3 – 27.
[14] Andreescu Irina, Les mosaïques de Torcello, Thèse de doctorat, op. cit., p. 221.
[15] Ibid., p. 226.
[16] Ibid., p. 230.
[17] Andreescu Irina, « Torcello III : la chronologie relative des mosaïques pariétales », Dumbarton Oaks Papers, Washington D.C., éditions Dumbarton Oaks Center for Byzantine Studies, Trustees for Harvard University, 1976, p. 251.
[18] Demus Otto, The Mosaics of San Marco in Venice, The Eleventh and Twelfth Centuries, tome 1, volume 1, Dumbarton Oaks, Washington D.C., The University of Chicago Press, Chicago and London, 1984, p. 279.
[19] Demus Otto, The church of San Marco in Venice, History, Architecture, Sculpture, Dumbarton Oaks Studies VI, Washington D.C., Dumbarton Oaks, 1960, p. 154.
[20] Niero Antonio, La basilique de Torcello et Santa Fosca, op. cit., p. 20 ; Caputo Gianmatteo, Galifi Irene, Niero Antonio, Torcello Il Millennio, op. cit., p. 38.
[21] Andreescu Irina, Les mosaïques de Torcello, Thèse de doctorat, op. cit., p. 231.
[22] Ibid., p. 230.
[23] Andreescu Irina, « Torcello III : la chronologie relative des mosaïques pariétales », op. cit., p. 248.
[24] Ibid..
[25] Andreescu-Treadgold Irina, « The Mosaics of Venice and the Venetian Lagoon: Thirty-five Years of Research at Torcello », Arte Medievale, IV serie, anno III, Milan, Silvana Editoriale, 2013, p. 201.
[26] Andreescu Irina, Les mosaïques de Torcello, Thèse de doctorat, op. cit., p. 201.
[27] Ibid., p. 202, p. 38.
[28] Barni Gianluigi, La conquête de l'Italie par les Lombards, Paris, Albin Michel, 1975, p. 427.
[29] Braunstein Philippe, Delort Robert, Venise, op. cit., p. 29 ; Annuario pontificio, Notizie per l’anno M.DCCC.XXII., Église Catholique, Cura Romana, Rome, éditions Stamperia Cracas, 1822, p. 6.
[30] Zorzi Alvise, La République du lion, Histoire de Venise, traduit par Roque J., Paris, Grande Bibliothèque Payot, 1996, p. 19.
[31] Lot Ferdinand, Ganshof François-Louis, Histoire du Moyen Âge, Les destinées de l’Empire en Occident de 768 à 888, Paris, Presses Universitaires de France, 1941, p. 482.
[32] Paris Alexis P., De l’origine et du développement des romans de la table ronde, Le saint Graal, Romania, volume 1, Genève, Suisse, Librairie Droz, 1872, p. 457 ; Zorzi Alvise, La République du lion, op. cit., p. 19.
[33] Lot Ferdinand, Ganshof François-Louis, Histoire du Moyen Âge, op. cit., p. 482 ; Crouzet-Pavan Élisabeth, Venise, VIe – XXIe siècle, Paris, éditions Belin, 2021, p. 33.
[34] Braunstein Philippe, Delort Robert, Venise, op. cit., p. 35.
[35] Ibid., p. 10 ; Armingaud Jean, Venise et le Bas-Empire, Histoire des relations de Venise avec l’Empire d’orient, tome IV, série II, Paris, Imprimerie impériale, 1865, p. 21.
[36] Braunstein Philippe, Delort Robert, Venise, op. cit., p. 29.
[37] Guilhem Élodie, « Un saint inattendu dans le diakonikon », op. cit., p. 179.
[38] Ibid., p. 180 ; Voir Sulpice-Sévère, Vie de saint Martin, Vita sancti Martini, traduit par Viot R., Tours, imprimerie Mame, 1861 ; Duchet-Sucheaux Gaston, Pastoureau Michel, La Bible et les saints, guide iconographique, Paris, Flammarion, 1994, p. 240.
[39] Giorgi Rosa, Les saints, repères iconographiques, Paris, Hazan, 2004, p. 264.
[40] Pour cette discussion, voir Pietri Luce, La ville de Tours du IVe au VIe siècle : naissance d’une cité chrétienne, Rome, École française de Rome, 1983, p. VII ; Pietri Luce, « La Gaule chrétienne au IVe siècle », Vita Latina, n° 172, 2005, p. 60 – 71.
[41] Duchet-Sucheaux Gaston, Pastoureau Michel, La Bible et les saints, op. cit., p. 240.
[42] Guilhem Élodie, « Un saint inattendu dans le diakonikon », op. cit., p. 180.
[43] Norwich John Julius, Histoire de Venise, Paris, Payot, 1986, p. 18 – 19.
[44] Ou Poppon, ou parfois Poppone, mais son nom d’origine serait Wolfgang von Treffen.
[45] Demus Otto, La peinture murale romane, op. cit., p. 58.
[46] Niero Antonio, La basilique de Torcello et Santa Fosca, op. cit., p. 24.
[47] Murat Zuleika, Vedovetto Paola, Il patriarcato di Aquileia : identità, liturgia e arte, secoli V – XV, Rome, éditions Viella, 2021, p. 90.
[48] Ibid., p. 91.
[49] Ibid., p. 88.
[50] Ibid., p. 91.
[51] Demus Otto, La peinture murale romane, op. cit., p. 58.
[52] Ibid..
[53] Lot Ferdinand, Ganshof François-Louis, Histoire du Moyen Âge, op. cit., p. 483.
[54] Guilhem Élodie, « Un saint inattendu dans le diakonikon », op. cit., p. 179.
[55] Niero Antonio, La basilique de Torcello et Santa Fosca, op. cit., p. 20 ; Corner Flaminio, Notizie storiche delle chiese e dalle monasteri di Venezia, e di Torcello, tratte dalle chiese veneziane, e torcellane, Padoue, 1758, réédition Sala Bolognese 1990, p. 560.
[56] Guilhem Élodie, « Un saint inattendu dans le diakonikon », op. cit., p. 179 – 180.
[57] Ibid., p. 178.
[58] Voir Niero Antonio, La basilique de Torcello et Santa Fosca, Venise, op. cit., p. 24 ; Bettini Sergio, La decorazione musiva a Torcello, Venise, éditions Brunetti, 1940, p. 73 ; Vecchi Maurizia, Torcello, nuove ricerche, Rome, éditions L’Erma di Bretschneider, 1982, p. 37 ; Vantaggi Rosella, Ravenne et ses trésors d’art, Narni, éditions Plurigraf, 1987, p. 12 ; Guilhem Élodie, « Un saint inattendu dans le diakonikon », op. cit., p. 174.
[59] Caputo Gianmatteo, Galifi Irene, Torcello Il Millennio, op. cit., p. 38.
[60] Boularand Éphrem, L’hérésie d’Arius et la « foi » de Nicée, Paris, éditions Letouzey & Ané, 1972, p. 81.
[61] Rizzardi Clementina, « La basilica di Santa Maria Assunta di Torcello fra Ravenna e Bisanzio : note sui mosaici dell’abside destra », Florilegium Artium. Scritti in memoria di Renato Polacco, Padoue, éditions G. Trovabene, 2006, p. 155.
[62] Sulpice-Sévère, Vie de saint Martin, op. cit., p. 24.
[63] Trevisan Gianpaolo, « L’art roman en Vénétie aux XIe et XIIe siècle. État des questions », traduit par Arnauld F., Vergnolle É., Bulletin Monumental, tome 174, numéro 1, éditions Tosco, 2016, p. 92.
[64] Ibid..
[65] Howard Deborah, The architectural history of Venice, Londres, B.T. Batsford, 1980, p. 19.
[66] Andreescu-Treadgold Irina, « The Mosaics of Venice and the Venetian Lagoon: Thirty-five Years of Research at Torcello », op. cit., p. 199.
[67] Demus Otto, La peinture murale romane, op. cit., p. 9 ; Grabar André, Les grands siècles de la peinture du haut Moyen Âge du quatrième au onzième siècle, Genève, éditions d’art Albert Skira, 1957, p. 119.
[68] Demus Otto, La peinture murale romane, op. cit., p. 9.
[69] Grabar André, Les grands siècles de la peinture byzantine, Genève, éditions d’art Albert Skira, 1953, p. 119.
[70] Ondarza Paolo, Vatican news, publié le 27 juillet 2020, https://www.vaticannews.va/fr/eglise/news/2020-07/culture-decouverte-fresques-torcello-venise-histoire-chretienne.html (consulté le 28/07/2023).
[71] Caputo Gianmatteo, Galifi Irene, Torcello Il Millennio, op. cit., p. 38.
[72] Andreescu-Treadgold Irina, « A ninth-century chapel in the Basilica's crypt at Torcello », Estratto da per l'arte da Venezia All'Europa, Studi in onore di Giuseppe Maria Pilo, dir. Piantoni Mario, de Rossi Laura, Venise, Edizioni della Laguna, 2001, p. 61 – 62.
Nombreux sont les historiens à avoir travaillé sur l’art vénitien du Moyen Âge central, et cela depuis plus de deux siècles. Le lecteur aura ainsi très probablement accumulé de multiples connaissances sur l’art du Duché lagunaire, matrice de la Sérénissime République du doge. Cependant, peu de scientifiques se sont intéressés à ce que nous nommerons la « proto-Venise » : l’île de Torcello. Il est affirmé dans le récit historique du peuplement lagunaire, mis en place par les diverses chroniques de la cité de Venise[1], que le Duché s’est constitué à la suite des assauts barbares menés dès la fin de l’Antiquité. Cela serait dans ce belliqueux contexte que se forma les différents rassemblements humains du bassin, alors constitués majoritairement de réfugiés continentaux fuyant la barbarie païenne. Il est toutefois important de nuancer ces propos grâce aux recherches archéologiques de Diego Calaon de l’Université Ca’ Foscari de Venise. Ce dernier a démontré qu’il demeurait des signes d’habitation à Torcello avant la fin de la période antique[2]. Les marchands de la cité proche d’Altinum auraient déplacé le port principal de cette métropole romaine sur l’île de Torcello pour cause d’envasement, les imposants navires commerciaux ne pouvant alors plus circuler. Ce constat atteste du fort potentiel mercantile de Torcello, de sa future puissance économique considérable, en rapport avec sa position stratégique, située entre les routes commerciales maritimes et les marchés continentaux majeurs de la période médiévale.
La cathédrale Santa Maria Assunta, une église orthodoxe répondant entièrement à l’iconographie byzantine ?
L’objet de notre recherche prend place sur cette « proto-Venise » : Torcello dont la capacité financière était conséquente pendant le Moyen Âge central. Durant cette période, cette colonie fut l’un des grands points d’échange vénitiens, alimentant un rassemblement humain important[3]. Devenu comptoir commercial majeur entre l’Orient grec et arabe et l’Occident latin, Torcello est l’île la plus puissante et la plus riche de la lagune vénitienne durant le Xe siècle[4]. Grâce à sa haute fréquentation et à sa force économique relative, cette colonie était dotée de plusieurs lieux de culte dont un, primordial pour l’ensemble des communautés lagunaires : la cathédrale Santa Maria Assunta.
Fig. 1 : Schéma chronologique des différents travaux élargissements de la cathédrale Santa Maria Assunta de Torcello, TERWEN, Jacobus J., Torcello, Delft, éditions Delftsch bouwkundig Studenten, date non définie, collection Stylos, p. 17.
Le plan de cet édifice s’articule autour d’une nef centrale accompagnée de deux collatéraux orientés vers l’Est (fig. 1). Ces derniers aboutissent sur trois absides en cul-de-four permettant alors un large développement décoratif. La date précise d'édification de cette église demeure toutefois le sujet de nombreux débats parmi la communauté scientifique[5]. Il existe néanmoins une inscription lapidaire gravée sur une pierre de l’édifice attestant de la fondation de l’église par Isaac, exarque de Ravenne, en 639 de notre ère, lorsque l’évêché était mené par un ecclésiastique nommé Mauro[6].
« Au nom de l’empereur byzantin, sur ordre de l’exarque Isaac, par les soins du maître des soldats, gouverneur de la région, en 639, trois quarts de siècle après la migration, le grand sanctuaire de la lagune septentrionale aurait été fondé. »[7]
Malgré les discussions scientifiques relatives à cette inscription, elle nous permet néanmoins de relever le fort intérêt de l’Empire byzantin pour le bassin vénitien durant le VIIe siècle. Elle porte inscrite sur sa face les dénominations administratives byzantines ainsi que l’ordre d’élever des édifices religieux répondant à l’iconographie orthodoxe en Vénétie, cela dans le but de diffuser la religion impériale de Constantinople. La cathédrale Santa Maria Assunta de Torcello fut ainsi le premier lieu de culte du lagon à être paré d’une décoration religieuse complète[8].
La problématique principale de cette étude repose toutefois à l’intérieur de la mosaïque pariétale de la chapelle du Saint-Sacrement de cette cathédrale. Disposée dans le cul-de-four de l’abside sud, cette dernière expose le Christ en majesté, trônant entouré des archanges Michel et Gabriel (fig. 2).
Fig. 2 : Mosaïque de la chapelle du Saint-Sacrement (vue d'ensemble), abside sud, cathédrale Santa Maria Assunta, Torcello, Italie, XIe - XIIe siècle, Olivier MORICE.
Sous ce déploiement figuratif parfaitement byzantin repose une représentation des quatre Docteurs de l’Église latine : saint Ambroise, saint Augustin, saint Grégoire et enfin, là où aurait dû se tenir saint Jérôme, nous pouvons observer saint Martin de Tours, l’évangélisateur des Gaules (fig. 3, 4).
Aucune erreur d’interprétation n’est possible, une inscription latine nommant les personnages se trouve sur le flanc de chaque figuration. La place de saint Martin dans ce défilement doctoral est ainsi particulièrement sujette à interrogation car ce dernier n’est pas considéré comme l’un des Docteurs de l’Église latine. Ce défilement de saints n’a d’ailleurs pas d’équivalent dans le lagon vénitien pour la période des XIe et XIIe siècles[9]. D’après Irina Andreescu, notre auteur de référence sur la question torcellane, la représentation la plus proche géographiquement et iconographiquement de ce saint se tient dans la basilique homonyme Santa Maria Assunta de la cité d’Aquilée (fig. 5), au nord-est du bassin adriatique[10]. Une figure de saint Martin demeure également dans la coupole nord de la basilique Saint-Marc de Venise, dénommée cupola di San Giovanni, toutefois d’après une hypothèse d’Otto Demus, les mosaïques de cet espace furent refaites durant l’époque baroque et ne sont donc pas véritablement comparables[11]. Ce propos scientifique étant relevé, il est peu probable d’après I. Andreescu et É. Guilhem pour qu’une substitution de figures eut été opérée à Torcello : « Le choix de représenter saint Martin comme quatrième hiérarque est contemporain de la conception de la mosaïque. »[12]
Fig. 5 : Dale Thomas E. A., Relics, prayer and politics in medieval Venetia. Romanesque painting in the crypt of Aquileia cathedral, Princeton, Princeton University Press, 1997, fig. 49, p. 93.
Il est maintenant important de constater que très peu d’auteurs de la littérature spécialisée ont décelé et examiné la présence de saint Martin dans la cathédrale de Torcello. I. Andreescu analysa évidemment cette spécificité lors de ses recherches de doctorat. Elle expose ainsi que certains spécialistes, tel que Gian Piero Bognetti[13], accordent à la représentation torcellane de saint Martin le statut du pape Martin Ier, martyrisé par l’Église d’Orient entre 655 et 656[14]. Andreescu ne se positionne toutefois pas dans le sens de cette hypothèse, qu’elle juge spéculative et trop éloignée temporellement de la date de création de ce décor religieux[15]. Elle affirme également qu’il aurait été impossible que les habits sacerdotaux des quatre évêques représentés soient antérieurs au XIe siècle, par leur style et leur composition[16]. Andreescu n’est par ailleurs pas surprise de retrouver saint Martin de Tours dans une mosaïque italienne des environs de 1100, cette figure affirme particulièrement sa présence dans de multiples images d’institutions bénédictines sur la même période.
La datation nécessaire du décor religieux de Santa Maria Assunta afin de définir un contexte de réalisation
La pertinence de cette étude réside alors dans une brève affirmation d’une correcte datation pour les mosaïques pariétales de Santa Maria Assunta. Cela afin nous permettra de comprendre le contexte historique lié à ce décor religieux. Il est tout d’abord important de considérer que la presque totalité de la littérature scientifique concernant les mosaïques de la cathédrale datait ces ensembles pariétaux entre le XIe et le XIIIe siècle[17]. Dans son ouvrage nommé The Mosaics of San Marco in Venice, O. Demus effectua un travail comparatif conséquent entre les édifices religieux de la lagune, les églises d’Europe centrale répondant à l’iconographie romane ottonienne ainsi que sur les décors des sanctuaires orthodoxes d’Istanbul encore préservés. Il date alors ce déploiement mural aux alentours du XIe siècle[18], datation à mettre en perspective avec une précédente étude rédigée en 1960 dans laquelle l’auteur faisait mention d’une période de réalisation aux environs des années 900[19]. Antonio Niero, dans son ouvrage nommé La basilique de Torcello et Santa Fosca, débute quant à lui sa description du Christ de la chapelle du Saint-Sacrement en nous expliquant que cette représentation du messie trônant est parfaitement semblable aux figures byzantines de l’an 1000[20]. Il émet alors l’hypothèse que ce programme iconographique daterait du XIe siècle et aurait été revu et réarrangé au cours du XIIe siècle.
Mais subsistait dans la communauté scientifique le questionnement relatif à la temporalité d’érection précise des mosaïques se développant dans la cathédrale Santa Maria Assunta. Lors de la rédaction de sa thèse, Andreescu arriva à établir une étude technique basée sur des recherches archéologiques et examinant en détail la stylistique des pièces et les matériaux utilisés. L’auteur affirme alors clairement que l’ensemble du style de la structure décorative de la chapelle de l’abside sud est une « preuve irréfutable qui souligne l’unité générale de la composition, unité de conception et du moment de l’exécution »[21]. Cela signifie pour Andreescu que l’unité recherchée pour la composition du décor de la cathédrale entière atteste d’une période de réalisation rapprochée pour l’ensemble des mosaïques de l’église et située entre le XIe et le XIIe siècle.
« S’il faut porter un jugement sur la date de la rangée des Docteurs, en partant du style (ou de ce qu’il en reste) les visages considérés, aux caractères “médio-byzantins” et non pas pré-iconoclastes, se rattachent […] aux environs de 1100. »[22]
Le docteur Andreescu définit ensuite dans son travail que l’ensemble du décor religieux de la cathédrale Santa Maria Assunta fut érigé sur une temporalité rapprochée mais en suivant deux phases de réalisation, tenue plus précisément au XIe siècle pour la première, puis durant la seconde moitié du XIIe siècle pour la deuxième[23]. Nous pourrons nommer cette seconde période de décoration « phase de complétion », car exécutée à la suite d’un important réarrangement architectural de l’édifice[24]. Ensuite, grâce aux recherches archéologiques menées par Andreescu nous savons que, comme dans tout grand ensemble de mosaïques pariétales, le travail débute au centre de l’œuvre avec l'exécution des figures principales, puis se développe simultanément de chaque côté grâce à au moins deux exécutants différents[25]. Nous pouvons alors définir que le déploiement des Docteurs de l'abside sud fut très probablement érigé lors de la seconde phase de réalisation, établissant les figures mineures et les registres non-centraux.
Le commanditaire responsable de la seconde phase de réalisation
Le travail d’Andreescu nous permet ainsi d’estimer une datation relativement précise concernant la réalisation de la mosaïque torcellane exposant les Docteurs de l’Église latine. Nous serions dorénavant en droit de nous questionner sur l’identité du commanditaire de cette pièce. La recherche documentaire approfondie d’Andreescu l’a poussé à établir que ce personnage se prénommait Leonardo Donato, membre d’une importante famille patricienne de Venise qui mena son épiscopat à Torcello entre les années 1172 et 1197.
« Un document du XIVesiècle qui reprenait un autre du XIIe, mentionne une donation de l’empereur Frédéric Barberousse au profit de la cathédrale de Torcello, à l’occasion de sa fameuse visite à Venise, lieu de sa rencontre avec le pape Alexandre III en 1177. À ce moment, justement, l’évêque de Torcello se trouvait être Donato. »[26]
Cette donation effectuée durant le dernier quart du XIIe siècle par le Saint-Empire romain germanique nous permet ainsi de définir l’identité de l’évêque en poste à Torcello. Nous venons de voir que c’est également durant cette période que la deuxième phase « de complétion » de la cathédrale s’effectua. Il devient alors possible d’affirmer que le commanditaire de l’extension et de l’achèvement des mosaïques pariétales de Torcello fut l’évêque Leonardo Donato, au pouvoir entre 1172 et 1197, qui missionna des ateliers-mosaïstes à la suite de la visite de l’empereur Barberousse, entre 1177 et 1197. La découverte de testaments vénitiens du XIIe siècle dans les fonds d’archives lagunaires justifie également que la décoration de Santa Maria Assunta fut exécutée grâce à l’aide financière d’un notable du clergé[27]. Cette affirmation repose sur des documents énonçant des donations au monastère de San Giovanni Evangelista, situé également sur l’île de Torcello mais aujourd’hui disparu. Mais pour quelle raison Leonardo Donato a fait le choix de représenter cette entité parfaitement romane au sein d’une décoration religieuse répondant pourtant originellement à l’iconographie de la Maison des Comnènes ?
L’invasion carolingienne du lagon vénitien pendant le IXe siècle
Lorsque les Lombards conquièrent Ravenne en 751, le pape est également assiégé à Rome par leur roi Désidérius[28]. Le souverain pontife sollicita alors l’aide du Royaume franc et recevra une réponse rapide de Pépin le Bref[29]. Ce dernier profitera de cette campagne militaire en Italie pour obtenir les territoires lombards proches du bassin vénitien, que les Francs ne rétrocèderont pas à Byzance aisément. À la fin du VIIIe siècle, l'Empire carolingien se développe dans le nord de la péninsule italienne et prend le contrôle du territoire enclavant la lagune vénitienne.
« L’arrivée en Italie des Francs, beaucoup plus forts et mieux organisés que les Lombards, a des répercussions immédiates dans les lagunes. Cittanova reste la place forte des fidèles de Byzance, Malamocco devient la base du parti qui voudrait faire entrer la province dans l’orbite du règne franc. »[30]
L’existence de sympathisants à l’Empire franc est ainsi attestée sur l’île de Malamocco durant la conquête carolingienne des débuts du IXe siècle. Ces derniers s’organisèrent afin de constituer une force politique encline au protectorat carolingien. Il en sera de même dans la cité continentale de Trévise qui verra également naître en 804 des factions politiques francophiles[31]. Ces « partis pro-carolingiens » furent soutenus par le patriarche Fortunato de Grado qui fut présenté à Charlemagne en 803, lors de son voyage à l’intérieur de l’Empire franc en compagnie de quelques notables de Malamocco[32].
Ces factions francophiles, tournées vers le Royaume carolingien et sa théologie catholique, renverseront le doge Giovanni Galbaio en 804 et lui substitueront deux personnages favorables à la politique de Charlemagne et présents durant la visite de Fortunato : Obelierius et son frère Beatus[33]. Les auteurs spécialisés supposent que de ce renversement politique émana une probable allégeance du Duché vénitien pour l’empereur d’Occident en 805[34]. De cet affront essuyé par Byzance découlera, en 809, un conflit naval à Comacchio entre l’Empire byzantin et l’Empire franc pour le transfert d’allégeance de la « Venise carolingienne »[35].
« La situation, pour cette portion extrême de l’Empire byzantin, devint délicate, lorsque le fils de Pépin, Charlemagne, ayant en 774 remporté une victoire définitive sur le roi des Lombards, devint le maître de toute la Terre Ferme jusqu’à l’Istrie : pour quatre siècles, la lagune allait se trouver à la frontière des deux Empires. »[36]
Il est alors envisageable de considérer que Leonardo Donato, probable commanditaire du défilement des Docteurs de l’Église latine incluant saint Martin, demeurait plus sensible à la foi catholique initialement menée dans le bassin par l’Empire franc au IXe siècle. L’évêque Leonardo Donato aura alors décidé d’incorporer pendant la seconde phase de décoration une figure tout à fait carolingienne, devenue porte-étendard de l’Empire de Charlemagne durant ses conquêtes et diffusant de ce fait la théologie de l’Église catholique.
« Au moment de l’invasion carolingienne, il [saint Martin] est devenu une figure militante permettant de servir la propagande des Carolingiens. »[37]
La figure de saint Martin parmi les Docteurs de l’Église latine, une représentation torcellane légitime ?
L’identité des quatre Docteurs de Santa Maria Assunta est attestée par les inscriptions qui entourent les figures représentées, nous l’avons vu. Cependant, saint Martin ne possède pas ce statut ecclésiastique si particulier, il prend la place de saint Jérôme de Stridon dans le défilement des quatre théologiens latins. Saint Martin n’est d’ailleurs présent à aucun moment dans la liste canonique des Docteurs de l’Église. Il est premièrement reconnu comme l’évangélisateur de la vallée de la Loire, avant que des auteurs contemporains tels que Sulpice Sévère ne le caractérise comme un « saint-guerrier », évangélisateur des Gaules durant la période médiévale[38].
Ces textes nous relatent que saint Martin fut soldat dans l’armée romaine pendant le IVe siècle. Il servit en Italie puis en Gaule où s’écrira son plus fameux épisode, celui de la Charité et du manteau[39]. Il deviendra l’évêque de Tours en 371 et sera considéré comme l’évangélisateur des Gaules[40], grâce aux diverses communautés monastiques qu’il fondera. La renommée intense de saint Martin durant le haut Moyen Âge portera les conquêtes de Charlemagne et se diffusera en Occident par ce biais. Il sera ainsi tant vénéré dans le Royaume carolingien qu’il en deviendra le saint-patron[41].
« À Venise, dès le haut Moyen Âge, saint Martin n’est pas seulement représenté comme le saint confesseur et évangélisateur des Gaules, mais aussi comme un saint militaire. »[42]
La vénération de saint Martin dans la zone adriatique demeure également un questionnement fondé pour concevoir cette présence romane dans les mosaïques de Santa Maria Assunta di Torcello. Nous l’avons vu, la figuration la plus proche et répondant à une temporalité similaire demeure dans la crypte de la basilique Santa Maria Assunta de la cité adriatique d’Aquilée. Durant le Moyen Âge central, cette cité demeurait un centre urbain important, facteur primordial pour la propagation de la Chrétienté[43]. Sa basilique sera consacrée en 1031 par le patriarche en exercice, un ecclésiastique dénommé Poppo[44]. Ce dernier fit représenter dans la crypte de l’édifice une figuration de saint Martin qui relate une confrontation séculaire, opposant les patriarches de Grado et d’Aquilée pour le siège épiscopal de la Vénétie au XIe siècle. Le premier patriarche accordait davantage de valeur à la théologie orthodoxe de Byzance tandis que Poppo d’Aquilée (1019 – 1042) considérait comme supérieure la spiritualité catholique menée par l’Empire carolingien et par son successeur, le Saint-Empire romain germanique[45].
Le patriarche de Grado, nous le connaissons il s’agit d’Orso Orseolo, évêque de Torcello pendant le XIe siècle et responsable de la première phase de réalisation du décor religieux[46]. Orso Orseolo fut nommé patriarche de Grado en 1018 grâce au soutien de son frère, le doge Ottone Orseolo, laissant à son plus jeune frère Vitale l’évêché de Torcello[47]. Ces nominations de l’entourage proche du doge Orseolo créèrent toutefois un soulèvement au sein des familles patriciennes de Venise. Ces revendications furent rejointes puis conduites par le puissant patriarche d’Aquilée Poppo qui fit bannir Ottone et Orso Orseolo en Istrie durant l’an 1022[48]. Poppo profita de l’éloignement du patriarche de Grado pour s’emparer de sa cité, voisine d’Aquilée[49]. Il disposait pour cela de l’accord du pape Jean XIX ce qui nous porte à croire qu’en plus de son origine germanique, Poppo demeurait proche de la papauté catholique de Rome. En 1023, les Vénitiens firent rappeler les deux frères Orseolo afin qu’ils réintègrent leurs fonctions communes, par crainte du développement des ambitions de Poppo. Ottone reconquit Grado et en chassa le patriarche d’Aquilée après son retour sur le siège ducal[50].
Le puissant patriarche Poppo est par ailleurs défini par O. Demus comme appartenant « au monde nordique et occidental »[51]. Il demeurait un ancien noble du Saint-Empire romain germanique, valorisant ainsi davantage l’iconographie romane pour la décoration des lieux de culte qu’il administrait. Les affinités de Poppo avec Rome et le Saint-Empire romain germanique s’affirme par son choix de représenter dans sa basilique saint Martin (fig. 5), une figure romane majeure introduite dans le lagon par les Carolingiens durant le IXe siècle. Orso Orseolo quant à lui, était un homme de foi orthodoxe, il estimait plus favorablement l’art impérial de Constantinople pour la décoration des édifices sacrés de la lagune. Ce dernier demeurait, toujours d’après les termes de Demus, fortement dirigé par « le monde byzantin-oriental »[52]. Cela nous permet toutefois de définir que le culte de saint Martin était déjà présent dans la zone adriatique durant le Moyen Âge central et cela confirme la légitimité de sa représentation torcellane.
La représentation torcellane de saint Martin, une affirmation politique dévoilée ?
La présence de saint Martin de Tours, l’évangélisateur des Gaules, dans le décor religieux de la cathédrale de Torcello soutiendrait-elle une affirmation politique intrinsèque ? Tout d’abord, nous savons que demeuraient dans le bassin vénitien des factions politiques « pro-carolingiennes » depuis l’arrivée des Francs au début du IXe siècle. Cet élan politique en faveur du protectorat de Charlemagne s’effectua même quelques années avant l’invasion menée par Pépin d’Italie en 810[53]. La création de partis francophiles, advenue peu de temps après le voyage diplomatique de Fortunato à l’intérieur de l’Empire carolingien, fut très probablement soutenue par le patriarche de Grado en personne. D’autres aristocrates réaltins durant les générations suivantes, disposant d’une vision politique et théologique identique, ont alors également pu supporter ces partis en faveur d’une administration tournée vers l’Occident.
Car le Duché se trouvait, au IXe siècle, étroitement cerclé entre l’Empire carolingien posté sur le continent et les Byzantins le long des routes commerciales vers l’Orient. Les deux puissances réclamaient l'allégeance de Venise, possédant d’ores-et-déjà un potentiel commercial considérable. Une partie de la population lagunaire préférait une alliance avec l’Occident de Charlemagne, l'autre s’en remettait à Constantinople et se refusait à une certaine émancipation du Duché vénitien. Un équilibre politique interne précaire donc, permettant à certaines familles patriciennes de Rialto de prendre position en faveur de l’Empire franc, de l’idéologie catholique de Rome et de l’ambition de se développer commercialement vers l’Occident.
Nous avons vu que ces débats théologiques sont finalement devenus des conflits politiques violents avant même l’arrivée des Carolingiens puisqu’un coup d’état renversa le pouvoir en 804. Ce type d’aristocrates pro-francs favorables à l’idéologie catholique disposaient de moyens suffisants pour rémunérer les factions politiques enclines à leur vision de l’administration du lagon. Cette partie de la noblesse réaltine aura également pu se joindre à l’action impulsée à Torcello au XIIe siècle par l’évêque Leonardo Donato afin de financer l’incorporation de la figure du saint-guerrier de l’Empire carolingien.
Conclusion
Pour répondre à la problématique principale lancée par cette étude, en effet les mosaïques pariétales de la cathédrale Santa Maria Assunta de Torcello ne répondent pas entièrement au programme iconographique byzantin émis par la cour impériale durant le Moyen Âge central. Les mosaïques présentes dans le cul-de-four de l’abside sud, et exposant les Docteurs de l’Église latine accompagnés de saint Martin de Tours, en sont le meilleur exemple. Cette partie du décor religieux propose ainsi, par le choix des figures représentées, une nouvelle lecture du récit historique de Torcello. Il serait alors aisé d’expliquer la présence de l’iconographie romane dans la chapelle du Saint-Sacrement de Torcello par le désir d’émancipation du lagon à l’égard de Byzance. Toutefois, un autre raisonnement demeure envisageable afin de répondre à la problématique de cette recherche.
Certes l’hypothèse selon laquelle saint Martin serait présent dans la mosaïque de la chapelle du Saint-Sacrement car l’évêque responsable de son érection demeurait proche de la foi catholique demeure parfaitement probable. Seulement, cette dernière était en expansion dans la zone lagunaire grâce à la diffusion du courant bénédictin durant le Moyen Âge central[54]. Les couvents de Saint-Antoine-abbé de Torcello, Saint-Vite et Saint-Maure de Burano pour ne citer qu’eux, tous appartenaient à l’ordre de saint Benoît et la dévotion de saint Martin dans la lagune vénitienne est ainsi portée et avérée par ces institutions depuis l’an mille[55]. La place de saint Martin dans ce déploiement doctoral n’en serait pas davantage expliquée. Mais ce saint fut également un adversaire des hérésies, et de l’arianisme tout particulièrement. D’après sa légende, il s’illustre contre sa propagation et convertit les populations dans les provinces septentrionales de l’Italie[56]. À la suite de la promulgation de l’édit de Justinien contre l’arianisme en 561 et, grâce à la prise de position de Martin contre cette hérésie durant le IVe siècle, il devint le saint patron de l’église Saint-Apollinaire-le-Neuf de Ravenne entre le milieu du VIe siècle et le milieu du IXe siècle[57]. Une étude comparative entre la décoration de l’abside principale de la basilique Saint-Vital de Ravenne et celle de l’abside sud de la cathédrale Santa Maria Assunta de Torcello est par ailleurs tout à fait envisageable[58]. Ces faits nous permettent ainsi de proposer une nouvelle hypothèse : et si le décor liturgique de la chapelle du Saint-Sacrement de Torcello avait pour but une affirmation de la lutte contre l’arianisme ?
Au-dessus du défilement des Docteurs, et servant à séparer les registres, l’on trouve une inscription latine qui court sur l’ensemble de l’abside :
PERSONIS TRIPLEX DEVS EST ET NVMINE SIMPLEX HERBIDAT HIC TERRAM MARE FVNDIT LUMINAT AETHERAM
« Dieu est triple quant à la personne mais unique quant à l’Essence. Il recouvre cette terre d’herbe, fait s’étendre les mers et illumine le ciel. »[59]
Cette épigraphie est intéressante pour notre étude car elle permettrait également de justifier la présence de saint Martin dans notre décoration torcellane. Elle affirme pleinement la Trinité nicéenne de Dieu, répandue autant dans le Christ que dans le divin. Ce dogme réfute ainsi la doctrine arianiste établissant que le Christ est le fils de Dieu, créé par ce dernier et faisant de lui son subordonné[60]. Cette inscription serait alors une attestation dogmatique établissant un lien entre les figures des trois Docteurs de l’Église et celle de saint Martin. Car la doctrine des Trois Entités pleinement et également divines fut défendue par trois des quatre personnages présents de la chapelle du Saint-Sacrement : saint Martin, saint Augustin et saint Ambroise. Ainsi, une autre hypothèse s’impose d’elle-même : est-il possible que la figure de saint Grégoire ne représente pas Grégoire 1er le Grand, Docteur de l’Église catholique mais bien Grégoire de Nazianze, Père cappadocien et Docteur de l’Église orthodoxe qui réfuta fermement l’hérésie arianiste durant le IVe siècle[61] ? Ce défilement doctoral pourrait alors soutenir une logique figurative différente : saint Martin, tout comme les autres personnages représentés, prirent part à la lutte contre l’arianisme[62] et ce registre pourrait alors être une affirmation de la Sainte Trinité nicéenne.
La mixité iconographique de Torcello pourrait également résulter des relations entre la Venise insulaire et la Vénétie continentale. En effet, la cité de Vérone se distingue par la richesse de ses éléments décoratifs et architecturaux romans[63]. Les caractéristiques occidentales présentes dans les mosaïques pariétales de Torcello pourraient alors être une intervention stylistique en rapport avec ce qui se faisait dans un environnement proche de la Venise insulaire. Comme l’explique l’auteur Gianpaolo Trevisan, c’est à la suite de la conquête du royaume lombard par les Francs au début du IXe siècle que les relations diplomatiques entre Byzantins et Carolingiens se dégradent plus qu’elles ne l’étaient[64]. Il faudra attendre les accords d’Aix-la-Chapelle en 812 – 814 pour que se mette en place une subdivision de l’ancienne province Venetia Istria, à la fois Terre Ferme et territoire insulaire, vers une séparation Regnum Italicum comme espace continental au profit de l’Empire carolingien ainsi qu’une Venetia lagunaire, toujours administrativement dépendante de l’empereur byzantin. Ainsi Vérone, cité relevant de la Venetia continentale, restera évidemment fortement influencée par l’iconographie romane relative à la présence franque sur les anciens territoires vénètes[65]. De cela découlera un échange stylistique entre deux aires géographiques proches, aboutissant à Torcello à une réunion des iconographies de chaque entités.
Il nous semble maintenant important de rappeler au lecteur que le registre exposant les Docteurs de l’Église latine accompagnés de saint Martin de Tours fut très probablement réalisé durant la seconde phase de réalisation du décor religieux, celle parachevant le réarrangement architectural subi par l’église pendant la deuxième partie du XIIe siècle. Cette phase de décoration répondait à un besoin de complétion des cycles décoratifs de Santa Maria Assunta dont les registres majeurs avaient déjà été érigés par ce que nous pensons être des maîtres-mosaïstes constantinopolitains[66], maîtrisant parfaitement le style de cour de la Maison des Comnènes. Il est également important de définir que des mosaïstes locaux ont très certainement participés à la première phase de réalisation en s’employant pour l’aide des maîtres-artisans grecs[67]. Ils pouvaient ainsi acquérir des techniques émanant des plus grands, tout en remplissant une charge de travail rémunérée. L’apprentissage de ces techniques les rendaient davantage familiers avec le répertoire iconographique orthodoxe. Ils se rendaient par ailleurs aptes à décorer d’autres édifices religieux de la zone adriatique, saisissant ainsi la charge de travail originellement octroyée aux mosaïstes byzantins.
« Assurément, la plus grande partie des créations de ces peintres byzantins émigrés appartient à l’art de Byzance. Mais des aides occidentaux participaient fréquemment à la réalisation des travaux des peintres grecs ; en bien des cas, ils eurent tôt fait de remplacer et supplanter leurs maîtres étrangers. À quoi il convient d’ajouter que ceux des artistes grecs qui s’étaient établis en Italie ont fréquemment perdu leur caractère original. Ils se sont occidentalisés d’autant plus facilement et d’autant plus vite qu’à cette époque la notion “d’appartenance nationale” était pratiquement inexistante. »[68]
Dans son ouvrage nommé Les grands siècles de la peinture byzantine, André Grabar définit les mosaïques de Santa Maria Assunta de Torcello comme étant « de goût byzantin mais d’exécution locale » car l’ensemble des œuvres de la zone adriatique « sont toutes plus ou moins apparentées les unes aux autres, ce qui suppose l’existence dans la région, à Venise probablement, d’ateliers actifs de mosaïstes acquis aux techniques et au goût byzantin »[69]. Il pense ainsi que le recourt à des ateliers-mosaïstes locaux était possible pour réaliser une décoration liturgique orthodoxe durant la période qui nous intéresse, au moins en partie. Des ajouts purent donc être conduits par des ateliers-mosaïstes italiens, fortement initiés aux techniques et à l’iconographie byzantine. Ils reproduisirent le courant stylistique orthodoxe mais utilisèrent également un autre répertoire pour les registres mineures. Cette iconographie, plus familière car géographiquement plus proche d’eux, est l’iconographie romane dans laquelle la Terraferma baignait depuis les invasions carolingiennes du IXe siècle et l’expansion de la stylistique du Saint-Empire romain germanique au Xe – XIe siècle. L’appel à des représentations romanes pour les éléments non-essentiels de la fresque du Jugement Dernier et pour le cas qui nous intéresse : la figure de saint Martin de Tours parmi les Docteurs de l’Église latine, pourrait ainsi attester de l’origine italienne des ateliers exécutants la seconde phase « de complétion » du XIIe siècle.
La découverte archéologique de Diego Calaon dans les combles de l’abside sud de Santa Maria Assunta
Fig. 6 : Partie rouge : découverte archéologique récente, partie jaune : voute de l'arc situé devant la chapelle de l'abside sud, infographie produite par Diego Calaon pour sa conférence illustrant les découvertes archéologiques de 2019 - 2020.
Une découverte archéologique importante fut réalisée en 2019 sur l’île de Torcello. À la suite d’intempéries historiques, de nouvelles fresques murales furent mises au jour dans les combles de la cathédrale. L'espace au-dessus du plafond de l’abside sud fut alors dégagé afin d’évaluer les dégâts et c’est ainsi que l’on découvrit des peintures murales dans la partie supérieure des murs latéraux de la chapelle (fig. 6). Ces fresques, relevant encore du domaine archéologique, seraient datées par Diego Calaon, archéologue de l’Université Ca’ Foscari de Venise, de la fin du VIIIe siècle ou du début du IXe siècle.
Elles représentent saint Martin, identifiable grâce à une inscription latine « Sanctvs Martinvs » qui nous assure de la correcte interprétation d’une peinture murale aussi dégradée (fig. 7). Cette fresque demeure il est vrai très peu figurative mais nous pouvons toutefois observer clairement la tête d’une figure auréolée aux côtés de l’inscription. Face à ces vestiges archéologiques se tient une peinture bien plus représentative de la Vierge Marie, figurée pour sa part d’après le thème de l’Annonciation (fig. 8). Un fragment d’inscription demeure encore visible à côté de cette figure, il s’agit d’un « AR » correspondant au nom de Marie. La figure demeure elle-aussi auréolée et porte un voile incrusté de gemmes. Par le style de la fresque figurant la Mère de Dieu et la couleur utilisée, les experts rapprochent très favorablement cela de l’iconographie carolingienne[70].
Il demeure important de relever que D. Calaon identifie fondamentalement cette représentation à saint Martin de Tours, l’évangélisateur des Gaules. Il théorise également le fait que la chapelle du Saint-Sacrement aurait probablement été dédiée à saint Martin pendant le IXe siècle. Cela positionne ainsi le saint de l’Empire carolingien sur un plan spirituel majeur pour les communautés lagunaires. La rencontre avec les Francs développa la foi catholique dans le lagon et l’orthodoxie de Byzance avait très sûrement déjà été remise en question par les notables du clergé local.
Dans l’ouvrage collaboratif Torcello Il Millennio, Basilica di Santa Maria Assunta, des spécialistes nous dévoilent que les mosaïques de Santa Maria Assunta suivraient des schémas élaborés durant le IXe siècle[71]. D’autre part, durant ses recherches notre auteur de référence I. Andreescu a découvert que l'autel présent dans la crypte de l'édifice était lui-aussi dédié à saint Martin au cours de ce même siècle[72]. Il devient alors possible de théoriser le fait que les fresques découvertes en 2019 furent une sorte de « brouillon préparatoire » pour le décor de la chapelle du Saint-Sacrement, originellement dédiée à saint Martin de Tours tout comme l’était la crypte de l’église. Toutefois, l’avancée des recherches archéologiques de Diego Calaon saura nous en apprendre davantage sur le récit historique contenu dans l’iconographie de la cathédrale Santa Maria Assunta.
[1] Voir Giovanni da Venezia, Chronicon Sagornini, Chronicon Venetum usque ad annum 1008, La Cronaca Veneziana di Giovanni Diacono, traduit par di Bianchi N. G., de Biasi M., Venise, Comune di Venezia, 1988 ; Martin da Canale, Les Estoires de Venise, Cronaca veneziana in lingua francese dalle origini al 1275, Florence, éditions Alberto Limentani, L. S. Olschki, 1972 ; Auteur anonyme, Origo civitatum Italie seu Venetiarum : Chronicon altinate et Chronicon gradense, par Cessi R., Rome, Tipografia del Senato, 1933.
[2] Calaon Diego, Ca’ Foscari News, Radio Ca’ Foscari, publié le 20 juin 2022, https://unive.it/pag/16584/?tx_news_pi1%5Bnews%5D=12844&cHash=341c7f6729d2efe3ea93f2affc180155%20 (consulté le 17/07/2023).
[3] Nicol Donald M., Byzantium and Venice, A study in diplomatic and cultural relations, Cambridge, Cambridge university press, 1988, p. 19.
[4] Constantin Porphyrogénète, De administrando imperio, traduit par Moravcsik G. et Jenkins R., éditions Dumbarton Oaks Texts, tome I, Washington D.C., 1967, tome II, Commentary, Londres, 1962 ; Crouzet-Pavan Élisabeth, La mort lente de Torcello : histoire d’une cité disparue, Paris, Fayard, 1995, p. 42 ; Braunstein Philippe, Delort Robert, Venise, portrait historique d’une cité, Paris, éditions du Seuil, 1971, p. 33.
[5] Pour davantage d’explications sur la datation de cet édifice, voir Pertusi Agostino, « L'iscrizione torcellana dei tempi di Eraclio », Bollettino dell’Istituto di Storia della Società e dello Stato veneziano, Venise, Istituto di storia della società e dello stato veneziano della Fondazione Giorgio Cini, volume IV, 1962, p. 9 ; Braunstein Philippe, Delort Robert, Venise, op. cit., p. 27 ; Crouzet-Pavan Élisabeth, La mort lente de Torcello, op. cit., p. 90.
[6] Caputo Gianmatteo, Galifi Irene, Niero Antonio, Torcello Il Millennio, Basilica di Santa Maria Assunta, Saonara Padoue, éditions Il Prato, 2008, p. 8.
[7] Crouzet-Pavan Élisabeth, La mort lente de Torcello, op. cit., p. 91 ; Braunstein Philippe, Delort Robert, Venise, op. cit., p. 27.
[8] Le Trésor de Saint-Marc de Venise, catalogue d’exposition tenue du 24 mars au 25 juin 1984, Galeries nationales du Grand Palais, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 1984, p. 15.
[9] Andreescu Irina, Les mosaïques de Torcello, Thèse de doctorat préparée à l’École Pratique des Hautes Études sous la direction de Jean Lassus, Lille, Atelier de Reproduction des Thèses, 1975, p. 221 – 226.
[10] Dale Thomas E. A., Relics, prayer and politics in medieval Venetia. Romanesque painting in the crypt of Aquileia cathedral, Princeton, Princeton University Press, 1997, p. 93.
[11] Andreescu Irina, Les mosaïques de Torcello, Thèse de doctorat, op. cit., p. 222.
[12] Guilhem Élodie, « Un saint inattendu dans le diakonikon », Mélanges Catherine Jolivet-Lévy, volume 20/2, Paris, Association des Amis du Centre d’Histoire et Civilisation de Byzance, 2016, p. 186.
[13] Bognetti Gian Piero, « Una campagna di scavi a Torcello per chiarire problemi inerenti alle origini di Venezia », Bollettino dell'Istituto di storia della società e dello stato veneziano, volume 3, Venise, Fondation Giorgio Cini, 1961, p. 3 – 27.
[14] Andreescu Irina, Les mosaïques de Torcello, Thèse de doctorat, op. cit., p. 221.
[15] Ibid., p. 226.
[16] Ibid., p. 230.
[17] Andreescu Irina, « Torcello III : la chronologie relative des mosaïques pariétales », Dumbarton Oaks Papers, Washington D.C., éditions Dumbarton Oaks Center for Byzantine Studies, Trustees for Harvard University, 1976, p. 251.
[18] Demus Otto, The Mosaics of San Marco in Venice, The Eleventh and Twelfth Centuries, tome 1, volume 1, Dumbarton Oaks, Washington D.C., The University of Chicago Press, Chicago and London, 1984, p. 279.
[19] Demus Otto, The church of San Marco in Venice, History, Architecture, Sculpture, Dumbarton Oaks Studies VI, Washington D.C., Dumbarton Oaks, 1960, p. 154.
[20] Niero Antonio, La basilique de Torcello et Santa Fosca, op. cit., p. 20 ; Caputo Gianmatteo, Galifi Irene, Niero Antonio, Torcello Il Millennio, op. cit., p. 38.
[21] Andreescu Irina, Les mosaïques de Torcello, Thèse de doctorat, op. cit., p. 231.
[22] Ibid., p. 230.
[23] Andreescu Irina, « Torcello III : la chronologie relative des mosaïques pariétales », op. cit., p. 248.
[24] Ibid..
[25] Andreescu-Treadgold Irina, « The Mosaics of Venice and the Venetian Lagoon: Thirty-five Years of Research at Torcello », Arte Medievale, IV serie, anno III, Milan, Silvana Editoriale, 2013, p. 201.
[26] Andreescu Irina, Les mosaïques de Torcello, Thèse de doctorat, op. cit., p. 201.
[27] Ibid., p. 202, p. 38.
[28] Barni Gianluigi, La conquête de l'Italie par les Lombards, Paris, Albin Michel, 1975, p. 427.
[29] Braunstein Philippe, Delort Robert, Venise, op. cit., p. 29 ; Annuario pontificio, Notizie per l’anno M.DCCC.XXII., Église Catholique, Cura Romana, Rome, éditions Stamperia Cracas, 1822, p. 6.
[30] Zorzi Alvise, La République du lion, Histoire de Venise, traduit par Roque J., Paris, Grande Bibliothèque Payot, 1996, p. 19.
[31] Lot Ferdinand, Ganshof François-Louis, Histoire du Moyen Âge, Les destinées de l’Empire en Occident de 768 à 888, Paris, Presses Universitaires de France, 1941, p. 482.
[32] Paris Alexis P., De l’origine et du développement des romans de la table ronde, Le saint Graal, Romania, volume 1, Genève, Suisse, Librairie Droz, 1872, p. 457 ; Zorzi Alvise, La République du lion, op. cit., p. 19.
[33] Lot Ferdinand, Ganshof François-Louis, Histoire du Moyen Âge, op. cit., p. 482 ; Crouzet-Pavan Élisabeth, Venise, VIe – XXIe siècle, Paris, éditions Belin, 2021, p. 33.
[34] Braunstein Philippe, Delort Robert, Venise, op. cit., p. 35.
[35] Ibid., p. 10 ; Armingaud Jean, Venise et le Bas-Empire, Histoire des relations de Venise avec l’Empire d’orient, tome IV, série II, Paris, Imprimerie impériale, 1865, p. 21.
[36] Braunstein Philippe, Delort Robert, Venise, op. cit., p. 29.
[37] Guilhem Élodie, « Un saint inattendu dans le diakonikon », op. cit., p. 179.
[38] Ibid., p. 180 ; Voir Sulpice-Sévère, Vie de saint Martin, Vita sancti Martini, traduit par Viot R., Tours, imprimerie Mame, 1861 ; Duchet-Sucheaux Gaston, Pastoureau Michel, La Bible et les saints, guide iconographique, Paris, Flammarion, 1994, p. 240.
[39] Giorgi Rosa, Les saints, repères iconographiques, Paris, Hazan, 2004, p. 264.
[40] Pour cette discussion, voir Pietri Luce, La ville de Tours du IVe au VIe siècle : naissance d’une cité chrétienne, Rome, École française de Rome, 1983, p. VII ; Pietri Luce, « La Gaule chrétienne au IVe siècle », Vita Latina, n° 172, 2005, p. 60 – 71.
[41] Duchet-Sucheaux Gaston, Pastoureau Michel, La Bible et les saints, op. cit., p. 240.
[42] Guilhem Élodie, « Un saint inattendu dans le diakonikon », op. cit., p. 180.
[43] Norwich John Julius, Histoire de Venise, Paris, Payot, 1986, p. 18 – 19.
[44] Ou Poppon, ou parfois Poppone, mais son nom d’origine serait Wolfgang von Treffen.
[45] Demus Otto, La peinture murale romane, op. cit., p. 58.
[46] Niero Antonio, La basilique de Torcello et Santa Fosca, op. cit., p. 24.
[47] Murat Zuleika, Vedovetto Paola, Il patriarcato di Aquileia : identità, liturgia e arte, secoli V – XV, Rome, éditions Viella, 2021, p. 90.
[48] Ibid., p. 91.
[49] Ibid., p. 88.
[50] Ibid., p. 91.
[51] Demus Otto, La peinture murale romane, op. cit., p. 58.
[52] Ibid..
[53] Lot Ferdinand, Ganshof François-Louis, Histoire du Moyen Âge, op. cit., p. 483.
[54] Guilhem Élodie, « Un saint inattendu dans le diakonikon », op. cit., p. 179.
[55] Niero Antonio, La basilique de Torcello et Santa Fosca, op. cit., p. 20 ; Corner Flaminio, Notizie storiche delle chiese e dalle monasteri di Venezia, e di Torcello, tratte dalle chiese veneziane, e torcellane, Padoue, 1758, réédition Sala Bolognese 1990, p. 560.
[56] Guilhem Élodie, « Un saint inattendu dans le diakonikon », op. cit., p. 179 – 180.
[57] Ibid., p. 178.
[58] Voir Niero Antonio, La basilique de Torcello et Santa Fosca, Venise, op. cit., p. 24 ; Bettini Sergio, La decorazione musiva a Torcello, Venise, éditions Brunetti, 1940, p. 73 ; Vecchi Maurizia, Torcello, nuove ricerche, Rome, éditions L’Erma di Bretschneider, 1982, p. 37 ; Vantaggi Rosella, Ravenne et ses trésors d’art, Narni, éditions Plurigraf, 1987, p. 12 ; Guilhem Élodie, « Un saint inattendu dans le diakonikon », op. cit., p. 174.
[59] Caputo Gianmatteo, Galifi Irene, Torcello Il Millennio, op. cit., p. 38.
[60] Boularand Éphrem, L’hérésie d’Arius et la « foi » de Nicée, Paris, éditions Letouzey & Ané, 1972, p. 81.
[61] Rizzardi Clementina, « La basilica di Santa Maria Assunta di Torcello fra Ravenna e Bisanzio : note sui mosaici dell’abside destra », Florilegium Artium. Scritti in memoria di Renato Polacco, Padoue, éditions G. Trovabene, 2006, p. 155.
[62] Sulpice-Sévère, Vie de saint Martin, op. cit., p. 24.
[63] Trevisan Gianpaolo, « L’art roman en Vénétie aux XIe et XIIe siècle. État des questions », traduit par Arnauld F., Vergnolle É., Bulletin Monumental, tome 174, numéro 1, éditions Tosco, 2016, p. 92.
[64] Ibid..
[65] Howard Deborah, The architectural history of Venice, Londres, B.T. Batsford, 1980, p. 19.
[66] Andreescu-Treadgold Irina, « The Mosaics of Venice and the Venetian Lagoon: Thirty-five Years of Research at Torcello », op. cit., p. 199.
[67] Demus Otto, La peinture murale romane, op. cit., p. 9 ; Grabar André, Les grands siècles de la peinture du haut Moyen Âge du quatrième au onzième siècle, Genève, éditions d’art Albert Skira, 1957, p. 119.
[68] Demus Otto, La peinture murale romane, op. cit., p. 9.
[69] Grabar André, Les grands siècles de la peinture byzantine, Genève, éditions d’art Albert Skira, 1953, p. 119.
[70] Ondarza Paolo, Vatican news, publié le 27 juillet 2020, https://www.vaticannews.va/fr/eglise/news/2020-07/culture-decouverte-fresques-torcello-venise-histoire-chretienne.html (consulté le 28/07/2023).
[71] Caputo Gianmatteo, Galifi Irene, Torcello Il Millennio, op. cit., p. 38.
[72] Andreescu-Treadgold Irina, « A ninth-century chapel in the Basilica's crypt at Torcello », Estratto da per l'arte da Venezia All'Europa, Studi in onore di Giuseppe Maria Pilo, dir. Piantoni Mario, de Rossi Laura, Venise, Edizioni della Laguna, 2001, p. 61 – 62.
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