Le Parti communiste espagnol clandestin et la section spéciale de la cour d’appel de Paris : l’affaire dite des Espagnols (1942)

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23 Sep
2024

Jacques Duret

Résumé

À la suite de la Retirada, de nombreux membres du Parti communiste espagnol réfugiés en France choisissent de poursuivre la lutte contre le fascisme et le nazisme au côté de leurs camarades français. Dans le cadre de la lutte anticommuniste menée en France, ils sont très tôt surveillés par la sûreté nationale et les renseignements généraux. En juin 1942, 119 membres du Parti communiste clandestin espagnol sont arrêtés, ce qui les conduit à cesser toute activité. À l’automne 1942, ceux qui se sont soustraits à la rafle policière tentent de reconstituer un nouveau mouvement plus particulièrement actif dans l’ouest de la France. En novembre 1942, 129 militants sont à nouveau inculpés. Ils sont jugés par la section spéciale de la cour d’appel de Paris. L’objet de cet article est de retracer les parcours individuels et les actions de ces communistes espagnols et plus généralement de questionner l’organisation du Parti communiste espagnol en France et ses relations avec le Parti communiste français clandestin.

Détails

Chronologie : XXe siècle
Lieux : France
Mots-clés : Seconde Guerre mondiale – Parti communiste – Espagnols – section spéciale de la cour d’appel de Paris

Chronology: XXth century
Location: France
Keywords: World War II – Communist Party – Spaniards – special section of the Paris Court of Appeal

Plan

I – Un Parti communiste espagnol clandestin en lutte avec la police français

II – Les arrestations de l’été et de l’automne 1942 ou la fin du Parti communiste espagnol clandestin en France ?

III – La section spéciale de la cour d’appel de Paris et le Parti communiste clandestin espagnol

Pour citer cet article

Référence électronique
Duret Jacques, “Le Parti communiste espagnol clandestin et la section spéciale de la cour d’appel de Paris : l’affaire dite des Espagnols (1942)", Revue de l’Association des Jeunes Chercheurs de l’Ouest [En ligne], n°4, 2024, mis en ligne le 23 septembre 2024, consulté le 18 octobre 2024 à 7h19, URL : https://ajco49.fr/2024/09/23/le-parti-communiste-espagnol-clandestin-et-la-section-speciale-de-la-cour-dappel-de-paris-laffaire-dite-des-espagnols-1942

L'Auteur

Jacques Duret

Docteur en histoire contemporaine, sa thèse soutenue à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) portait sur la répression politique par les juridictions parisiennes entre 1940-1944 sous la direction de Marc Olivier Baruch. Après trois années d’aterat, il enseigne aujourd’hui en Seine-Saint-Denis.

Droits d'auteur

Tous droits réservés à l'Association des Jeunes Chercheurs de l'Ouest.
Les propos tenus dans les travaux publiés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.

            « Jamais, nulle part ailleurs dans le monde, un conflit n’a attiré la totalité des nuances de la gamme idéologique, en passant du fascisme à l’anarchisme. Pour cette raison seule, la guerre d’Espagne reste unique[1] ». Elle est également unique par l’ampleur du mouvement migratoire entre l’Espagne et la France et des exodes qui ont cours du milieu des années 1930 à la fin du second conflit mondial. Son point culminant a lieu lors de la Retirada durant le mois de février 1939, où les républicains et leurs familles quittent massivement l’Espagne pour se réfugier en France.
            Parmi ceux-ci, beaucoup, anciens militants ou membres du Parti communiste espagnol, choisissent de poursuivre la lutte en agissant au côté des résistants français notamment communistes. Il s’agit pour ces rescapés espagnols de lutter contre un passé douloureux mais également et surtout contre le même ennemi qu’en 1936, le fascisme et le nazisme et son lot de violence.
            L’action des Espagnols et des Espagnoles[2] dans la Résistance française, notamment au sein des FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans de la Main-d’œuvre immigrée)[3], demeure encore peu connue des historiens notamment français[4]. L’organisation clandestine du Parti communiste espagnol en France sous l’Occupation l’est tout autant. Ce parti clandestin n’a pourtant pas cessé d’exister et a fait l’objet d’une répression importante par la police et la justice française.
            Certains de ses membres sont arrêtés à la fin de l’année 1942 et jugés devant la juridiction d’exception en charge de réprimer l’activité et la propagande communiste, la section spéciale de la cour d’appel de Paris. Le dossier de procédure de cette affaire dite des Espagnols a été conservé au sein du fonds de la section spéciale de la cour d’appel de Paris[5].
            Au travers de cette affaire, il s’agit de s’interroger sur les parcours individuels et les actions de ces communistes espagnols afin de mieux comprendre leur apport à la Résistance en France. Plus généralement, ce dossier permet aussi de questionner la continuité du Parti communiste espagnol en France et ses éventuels liens avec le Parti communiste français clandestin.
            La guerre d’Espagne, qui a fait l’objet d’une historiographie abondante, est centrale pour mieux appréhender ces questionnements[6]. Dans une économie et une société archaïque, les nouvelles idéologies du début du XXe siècle vont conduire à un conflit violent généralisé au sein d’une Seconde République en crise. Le Parti communiste espagnol y joue un rôle important avec plus de 340 000 adhérents à la fin de l’année 1937. La guerre civile débute par la tentative de coup d’État militaire du général Mola des 17 et 18 juillet 1936. Malgré l’échec de ce coup d’État, il provoque néanmoins l’effondrement du gouvernement de Madrid[7]. La Confédération nationale du travail, organisation syndicale anarchiste, et ses deux millions d’adhérents, devient le principal mouvement de résistance à ce coup d’État. Elle en profite pour mettre en œuvre sa « révolution espagnole », mouvement de collectivisation des terres et des industries. Accompagnés des soldats restés fidèles à la République et des militants marxistes, les communistes sont présents sur le front au sein des milices confédérales. La guerre s’enlise avec des protagonistes divisés, en particulier dans le camp républicain où s’opposent les républicains, les anarchistes et les communistes. Ces dissensions conduisent à la guerre civile. Dans le même temps, le conflit s’internationalise. Les nationalistes reçoivent l’appui déterminant de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste. Les républicains, quant à eux, bénéficient d’un soutien très mesuré des démocraties voisines en proie à une vague de pacifisme particulièrement importante à la suite de la Première Guerre mondiale. L’U.R.S.S. contribue à fournir des armes qui lui sont achetées. Si cette assistance ne permet pas de gagner le conflit, elle assure la prédominance du Parti communiste espagnol sur les autres formations politiques de gauche. L’appui des Brigades internationales et de ses plus de 32 000 hommes n’y est pas étranger non plus. Cette internationalisation conduit à une couverture médiatique importante de ce conflit qui connaît une résonance immense en Europe[8]. Les exactions commises durant la guerre civile (plus de 500 000 morts) notamment du côté nationaliste avec une politique répressive – voire de terreur – sont particulièrement relatées par les nombreux journalistes présents[9]. Les intellectuels s’emparent aussi de cette matière pour leurs romans à paraître.
            De 1936 à 1939, la conquête progressive du territoire national par les nationalistes conduit à des exodes vers la France, les exilés regagnant le plus souvent, l’Espagne par la suite. La chute de la Catalogne à la fin du mois de janvier 1939 engendre un exode, la Retirada. Plus de 450 000 personnes dont 200 000 combattants se massent à la frontière entre la France et l’Espagne au niveau des Pyrénées Orientales. Le gouvernement radical d’Édouard Daladier est totalement pris au dépourvu, ce qui le conduit à fermer la frontière puis à la rouvrir à plusieurs reprises entre les mois de janvier et février 1939. Madrid tombe le 28 mars et Franco proclame la fin de la guerre le 1er avril 1939.
            Les Espagnols sont accueillis en France suivant le statut « d’asilés » et non de réfugiés qui est paralysé du fait de la situation difficile de la Société des Nations, à l’origine de sa création. Rien n’étant prévu pour leur arrivée, ils sont dirigés, après avoir été triés à la frontière, vers des locaux divers dans de nombreux département français. Les hommes sont assignés à résidence dans des camps de concentration comme celui d’Argelès-sur-Mer[10]. Les familles tentent de survivre sans eau courante, sans électricité, sans chauffage. La promiscuité conduit à de nombreuses épidémies de dysenterie. Pour sortir de leur condition d’internés, les hommes doivent soit retourner en Espagne, soit partir vers un autre pays, soit rejoindre une compagnie de travailleurs étrangers utilisée pour des travaux de gros œuvre notamment sur la ligne Maginot.
À la suite de l’invasion allemande, les compagnies de travailleurs étrangers font l’objet d’une épuration sévère de la part de l’occupant, déportant de nombreux communistes vers des camps de concentration. Les autres sont utilisés massivement par la France pour combler les manques d’hommes partis à la guerre ou encore pour être engagés dans certains régiments de l’armée française. La défaite de la France plonge les « asilés » espagnols dans une situation à nouveau très difficile. Les hommes, mobilisés et travailleurs des compagnies de travailleurs étrangers, sont de nouveau internés par le régime de Vichy. Certains rejoignent les Groupements de travailleurs étrangers[11]. Les conditions de travail y sont particulièrement dures, la surveillance est accrue. Ces hommes se retrouvent le plus souvent employés pour l’occupant et son organisation Todt. Parmi ceux-ci, beaucoup, anciens militants ou membres du Parti communiste espagnol, choisissent de poursuivre la lutte en agissant au côté des résistants français notamment communistes.

I. Un Parti communiste espagnol clandestin en lutte avec la police française

            La législation anticommuniste s’inscrit dans une longue lutte à l’égard du Parti communiste français et par là même des Partis communistes étrangers présents sur le territoire national. La répression judiciaire s’est accrue durant l’Entre-deux-guerres. La signature du pacte de non-agression entre Hitler et Staline, le 23 août 1939, stupéfie le monde entier. Les dirigeants du Parti communiste français n'avaient même pas connaissance de ces tractations menées depuis des mois dans le plus grand secret. Même s’ils essaient d'articuler le pacte et la ligne antifasciste, des violentes critiques s'abattent sur les communistes, « complices involontaires, mais solidaires d'un pacte dont on ignore encore les clauses secrètes – le partage de la Pologne et l'attribution des États baltes, de la Benarabie et de la Bukovine à l'U.R.S.S. – mais dont chacun sent que, libérant Hitler de la menace à l'Est, il ouvre la voie à une guerre imminente[12] ». Profitant de cette brusque vague anticommuniste, le gouvernement Daladier saisit L'Humanité et Ce Soir dès le 26 août 1939. Le Parti communiste français est lui-même divisé sur la ligne politique à tenir. Il maintient pourtant celle de l'Internationale, à savoir la lutte anti-hitlérienne. Le 1er septembre, Hitler attaque la Pologne, la France honore ses engagements. Le lendemain, les communistes votent les crédits de guerre à la Chambre des députés. Entre-temps, à Moscou, Staline présente une analyse bouleversée des relations avec l'Allemagne. Considérant que la guerre à venir affaiblira les puissances capitalistes et offrira à l'U.R.S.S. une extension de son territoire au détriment de la Pologne, il qualifie la guerre « d'interimpérialiste » et demande l'atténuation de la guerre antifasciste, afin de ne pas provoquer l'Allemagne. Le 9 septembre, l'Internationale entérine ce changement doctrinal. Les événements accentuent ce revirement politique. L'entrée des troupes russes en Pologne, le 17 septembre, et la signature, le 28 septembre, d'un deuxième pacte germano-soviétique visant à sceller l'amitié entre les deux belligérants et à délimiter les nouvelles frontières, créent un véritable séisme au sein du Parti communiste français et de ses entités satellites. Dès le 18 septembre, le bureau de la C.G.T. décide l'exclusion des militants qui ne condamnent pas le pacte germano-soviétique. Tenant désormais les communistes pour alliés de l'ennemi hitlérien, le gouvernement décrète, le 26 septembre, la dissolution du Parti communiste français et de toutes les organisations liées à l'Internationale communiste.

            « La manœuvre vise autant à affaiblir le Parti communiste français qu'à neutraliser la fraction pacifiste du Parlement qui, devant l'effondrement polonais, estime le moment déjà venu de signer la paix avec Hitler[13] ».

            Ce texte, relativement court, est signé par l’ensemble des membres du gouvernement pour lui donner toute l’importance qu’il revêt pour le pouvoir. L’article le plus important est le premier qui fixe de manière très large l’interdiction de toute activité communiste. Ainsi, « est interdite sous quelque forme qu'elle se présente, toute activité ayant directement ou indirectement pour objet de propager les mots d'ordre émanant ou relevant de la Troisième Internationale communiste ou d'organismes contrôlés en fait par cette Troisième Internationale[14] ». Cette interdiction conduit à la dissolution de plein droit du Parti communiste et de toutes les entités qui lui sont liées ou affiliées ou qui se conforment dans l’exercice de leur activité aux mots d’ordre de la Troisième Internationale ou d’organismes qu’elle contrôle. De ce fait, tout matériel visant à propager les mots d’ordre de la Troisième Internationale ou des organismes qui s’y rattachent est interdit. L’infraction visée est également très large, puisque toute activité de propagande est strictement prohibée. Ainsi, « la publication, la circulation, la distribution, l'offre publique, la mise en vente, l'exposition aux regards du public et la détention en vue de la distribution, de l'offre, de la vente ou de l'exposition des écrits, périodiques ou non, des dessins[15] » sont expressément proscrites. Les peines pouvant être prononcées sont un emprisonnement d'un an à cinq ans et une amende de 100 à 5 000 francs. C’est sur ce texte que s’appuie l’État français après l’armistice pour réprimer les communistes durant toute la guerre.
            Logiquement, les forces de l'ordre sont au cœur de la lutte anticommuniste. Ce sont elles qui traquent les sympathisants et les militants propagandistes, qui découvrent les infractions, procèdent aux arrestations, mettent à jour les connexions entre membres clandestins, démantèlent les réseaux. De multiples forces de police et de gendarmerie sont à l’œuvre parmi lesquelles les directions centrales de la sûreté nationale et des renseignements généraux. Celles-ci conduisent à l’arrestation de 119 membres du Parti communiste clandestin espagnol en juin 1942. Totalement désorganisé, il cesse toute activité. Pourtant, un certain nombre de militants communistes espagnols tentent à l’automne 1942 de reconstituer un nouveau mouvement clandestin notamment dans l’ouest de la France. La Direction Générale des Renseignements Généraux est rapidement informée de cette situation et procède immédiatement à des surveillances dans les milieux espagnols à Paris. Ces dernières confirment la tentative de reconstitution d’un groupement communiste espagnol clandestin dont les meneurs ont réussi à se soustraire à la précédente rafle policière de juin 1942. La police évoquant des liens avec des « terroristes » espagnols notoires, une information est immédiatement ouverte au sein du tribunal de la Seine. La brigade spéciale n° 2 de la direction des renseignements généraux de la Préfecture de police qui est chargée de la répression à l’égard des terroristes, conduit les investigations[16]. Ces dernières mèneront à 129 inculpations de militants et militantes communistes espagnols principalement dans l’ouest de la France à Nantes, Saint-Nazaire et Montoir-de-Bretagne (notamment au sein du Campo Franco) mais aussi à Rennes, Lorient, Bourges, Tours, au camp de Voves et à Paris. Ils sont tous poursuivis pour participation au mouvement communiste clandestin espagnol ou présomption d’activité communiste en infraction au décret-loi du 26 septembre 1939.

II. Les arrestations de l’été et de l’automne 1942 ou la fin du Parti communiste espagnol clandestin en France ?

            Près de 250 militants et dirigeants du Parti communiste espagnol clandestin en France sont inculpés en moins de six mois. De manière classique, les forces de l’ordre suivent un individu suspecté d’appartenir à ce parti clandestin et procèdent à l’arrestation de tous ceux et celles qui entrent en contact avec lui. C’est ainsi que de nombreux militants sont appréhendés. Le 30 novembre 1942, Francisco Ferramon-Ducasi est ainsi arrêté en raison de « son activité politique extrémiste[17] ». Ancien combattant de l’armée républicaine espagnole, il entre en France par le poste frontière du Perthus après la retraite de la Catalogne. Il est interné au camp de Saint-Cyprien puis à celui de Sept Fonds en juillet 1939. Il est libéré au mois de mai 1940 et travaille à Bordeaux pour le compte des autorités allemandes comme mécanicien jusqu’en mai 1942. Il est responsable de la région du Sud-Ouest pour le Parti communiste espagnol en France. À la suite de la vague d’arrestations de juin 1942 et se sachant recherché, il quitte Bordeaux pour Paris. Dès son arrivée, il se met en rapport avec les réfugiés politiques espagnols du Parti communiste. Il est désigné par le responsable du Parti communiste espagnol en France comme archiviste, trésorier et secrétaire[18] Une visite domiciliaire effectuée à son domicile permet la découverte d’un vaste matériel de propagande (machine à ronéotyper, stencils, tracts) ainsi que des archives du Parti communiste espagnol clandestin et de multiples cartes d’identité françaises falsifiées.
            Deux autres militants communistes sont arrêtés alors qu’ils sortent de chez Francisco Perramon-Ducasi. Ramon Garrido (alias Léon Carrero-Mestres), responsable de la région Bretagne pour le Parti communiste espagnol et son adjoint Rafael Salazar (alias Raphaël Laborda), sont appréhendés étant porteurs de carnets d’adresses et de feuilles dactylographiées. Lors des visites domiciliaires qui suivent, la police découvre des notes manuscrites relatives à la propagande communiste et à un projet de sabotage[19]. D’autres militants et militantes sont également arrêtés de la même manière comme Joaquin Barrio (alias Ricardo Diaz), responsable pour la région parisienne et son adjoint Julio Marba Planas. Le rôle de ce dernier dans l’organisation est celui de statisticien. Il ne prend pas part aux opérations de propagande mais recueille de ses compatriotes des informations économiques, politiques et sociales[20].
            Josep Miret i Musté, ancien ministre aux approvisionnements et directeur général des transports dans le gouvernement de la Generalitat de Catalogne d’avril à mai 1937, connaît un sort similaire. Il intègre l’armée républicaine espagnole où il obtient le grade de commandant. Il est commissaire politique d’une division de l’armée populaire puis commissaire général des blindés pour une partie de l’armée. Après la Retirada, il intègre l’organisation clandestine du Parti communiste espagnol en France et en assure à partir d’avril 1941 la direction. Partisan de la résistance contre l’occupant en dépit du pacte germano-soviétique, son positionnement n’est pas suivi. Il est arrêté le 30 novembre 1942 ainsi que sa compagne Julienne Brumenhurst. Son frère, Conrad Miret i Musté, crée à sa demande l’organisation spéciale de la Main d'œuvre immigrée (MOI). Il organise des groupes armés et œuvre à l’organisation d’opérations de sabotage contre l’occupant allemand et son matériel. Il participe à l’édition clandestine de tracts communistes avec Lluis Marassé. Il est arrêté par la police française en février 1942. Livré aux Allemands, il meurt sous la torture[21].
            Lluis Marassé (parfois écrit Louis Marrasé) fait partie de la direction de la Résistance espagnole communiste pour la zone occupée. Il a la charge de l’impression et de la diffusion du matériel de propagande. Cela le conduit à être en relation avec l’ensemble des groupes espagnols clandestins de Paris et de l’ouest de la France. Il est arrêté en juin 1942 comme nombre de militants du Parti communiste clandestin dans l’ouest de la France. Une perquisition à son domicile mais surtout dans un local qu’il loue à Villejuif mène à la découverte d’un important matériel de propagande[22].
            Les arrestations de juin 1942 dans le milieu espagnol communiste clandestin visent surtout ce réseau de propagande particulièrement présent dans l’ouest de la France. La direction du Parti communiste espagnol clandestin y échappe hormis Lluis Marassé. Elle sera visée plus particulièrement par la vague d’arrestations de novembre 1942 qui conduit à l’appréhension de 34 cadres dirigeants de ce parti clandestin dont son directeur Josep Miret i Musté. Si les personnes arrêtées en juin 1942 sont largement jugées par la section spéciale de la cour d’appel de Paris, celles qui le sont en novembre 1942 y échappent dans leur grande majorité.

III. La section spéciale de la cour d’appel de Paris et le Parti communiste clandestin espagnol

            Dès le début de l'année 1941, l'État français adopte une position répressive stricte à l'égard de ses opposants et en particulier des communistes, soit bien en amont de l'évolution internationale et de l'entrée du Parti communiste français dans la lutte armée contre l'occupant. L'initiative apparaît bien française, même si l'occupant y a clairement son intérêt dans le cadre de sa politique de maintien de l'ordre.
            Les journées d'août 1941 et en particulier celle du 21 août, avec l'attentat commis par Pierre Georges contre l'aspirant Alfonz Moser dans une station du métro parisien, servent d'élément déclencheur à l’État français pour la mise en place d'une juridiction d'exception en charge de juger les communistes. La loi sur les sections spéciales est écrite le 22 août et promulguée le 23. Elle est antidatée au 14 août pour éviter tout rapprochement avec l'attentat contre l'aspirant Moser et pour apparaître comme la réponse française à une manifestation communiste du 13 août réprimée par l'occupant. Ce texte contraire à de nombreux principes généraux du droit pénal en France prévoit une répression particulièrement sévère à l’égard des communistes. Ces derniers peuvent dorénavant être condamnés, et ce pour des faits antérieurs à la promulgation de cette loi, à la peine de mort. Lors de sa première audience, la section spéciale de la cour d’appel de Paris doit — à la demande des Allemands — condamner à mort six militants communistes. Néanmoins, seules trois condamnations à mort sont prononcées sur des cas de propagande, dont un non avéré. La magistrature paraît dès lors partagée entre des magistrats refusant toute compromission dans le cadre fixé par cette nouvelle loi et ceux qui pour diverses raisons (opinion, carriérisme…) n'hésitent pas à participer et à s'arranger quelque peu avec les réalités factuelles. À l'exception de ces trois peines de mort, cette juridiction sera finalement dans l'ensemble relativement « clémente », en particulier à partir de septembre 1942 et encore plus à compter d’octobre 1943. Plus de 700 affaires y sont jugées pour 2 045 détenus déférés, pour des peines allant de la relaxe à la peine de mort.
            Le 11 décembre 1943, 61 résistants communistes espagnols arrêtés en juin 1942 et mis en détention début juillet 1942 sont jugés par cette juridiction. L’autre moitié des personnes arrêtées en juin 1942 n’est pas poursuivie faute de preuves[23], elles sont donc libérées. Deux autres individus arrêtés en novembre 1942 sont également déférés à cette date. En décembre 1943, la section spéciale de la cour d’appel de Paris fait preuve d’une sévérité bien moindre que lors de sa première année d’existence. La logique en est simple. Les magistrats convaincus que l’issue de la guerre est incertaine se montrent plus complaisants envers les résistants pour éviter les représailles. Ils les condamnent donc à des peines peu importantes, mais suffisantes pour éviter que les autorités allemandes ne s’en saisissent.
            À l’issue de l’audience, 19 prévenus sont relaxés dont José Parraz, chef de la cellule 19 à Campo-Franco et Christobal Rioz-Perez, chef de la cellule à Saint-Nazaire. Manuel Acuna-Lopez, secrétaire général de la cellule n° 921 est relaxé par un arrêt de la section spéciale de la cour d’appel de Paris en date du 2 mars 1944. La peine la plus lourde est prononcée à l’encontre de Lluis Marassé et de Celso Diaz, responsables de l’organisation et des finances pour la zone occupée et Juan Martin Numez, membre de la cellule de La Rochelle du Parti communiste. Il est condamné à cinq ans d’emprisonnement et 1 200 francs d’amende. Il s’agit d’une peine correctionnelle à la hauteur de celles pouvant être prononcées pour infraction au décret-loi du 26 septembre 1939 à sa création. Baptiste Lopez-Quiroga, dirigeant la 2e cellule du Parti communiste à Nantes, Roméro Parra, responsable de toute l’organisation communiste espagnole pour Nantes, Saint-Nazaire et Montoir-de-Bretagne, José Turon-Jimeno, secrétaire général de l’organisation syndicale et à l’agitation, écopent d’une peine de quatre ans d’emprisonnement et de 1 200 francs d’amende. D’autres dirigeants du Parti communiste espagnol clandestin, comme Manuel Cabarello-Montes, chef de la cellule n° 3 à Nantes, Pedro Cerrada-Puente et Baptiste Lopez-Quieroga, chefs de la cellule n° 2 à Nantes, Vincente Laso-Julia, responsable de la région Saint-Lazare-Montoir avant de devenir secrétaire général de la région Ouest, sont condamnés à trois ans d’emprisonnement et de 1 200 francs d’amende. Il en est de même pour Julio Marba Planas, responsable adjoint pour la région parisienne. Son responsable, Joaquin Barrio ainsi que Ramon Garrido, responsable de la région Bretagne pour le Parti communiste espagnol et son adjoint Rafael Salazar sont frappés, comme d’autres militants, d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 1 200 francs d’amende. Douze autres prévenus sont condamnés à 18 mois d’emprisonnement et 1 200 francs d’amende. Plusieurs disjonctions et renvois sine die sont prononcés à l’encontre notamment de Josep Miret i Musté et Luis Montero-Alvarez, secrétaire de l’action communiste pour toute la zone occupée, membre des FTP-MOI. Tous deux sont remis aux autorités allemandes et déportés en mars et août 1943 au camp de concentration de Mauthausen. Le premier est tué par les Allemands le 17 novembre 1944 après avoir été blessé par un bombardement allié. Le second y échappe et rentre en France en mai 1945. Il poursuit son engagement en occupant la direction du bureau politique du Parti communiste espagnol. Enfin, Francesco Perramon-Ducasi est condamné à trois ans d’emprisonnement et 1 200 francs d’amende le 16 mars 1944. Après avoir été transféré pour exécuter sa peine dans plusieurs prisons françaises, il est déporté dans trois camps de concentration avant d’être libéré par l’armée rouge à Malchow le 2 mai 1945. Il rentre en France peu après.
            Beaucoup de ces condamnés sont transférés à la prison d’Eysses (Villeneuve-sur-Lot). Cela ne les empêche pas de poursuivre leur lutte et d’organiser la résistance dans cette prison[24]. Le 19 février 1944, ils organisent une mutinerie, prenant en otages le directeur de la prison et un inspecteur de l’administration pénitentiaire. Une fusillade éclate entre les prévenus et les gardes mobiles de réserve qui dure toute la nuit. Les détenus doivent néanmoins se rendre. La répression est sévère, douze résistants sont condamnés à mort par une cour martiale et exécutés quelques jours plus tard. Les autres détenus demeurés dans la prison sont livrés aux autorités allemandes. Ils sont déportés à Dachau, près de 400 d’entre eux y meurent. Certains reviennent en France et continuent leurs carrières syndicales et politiques au sein des organisations communistes.
            L’action des étrangers dans la Résistance en France a longtemps été occultée. En dépit de rares études[25], il faut attendre l’entrée des époux Manouchian au Panthéon le 21 février 2024 pour qu’elle soit réellement mise en lumière. L’affaire dite des Espagnols permet de mieux appréhender le rôle du Parti communiste espagnol clandestin au sein de la Résistance. L’arrestation de près de 250 membres en juin et novembre 1942 et les nombreuses actions notamment de propagande auxquelles ces militants et militantes ont pu prendre part démontrent son importance tant quantitative que qualitative. Certains de ses membres sont jugés par la section spéciale de la cour d’appel de Paris en décembre 1943, les autres ayant été libérés faute de preuves. Profitant de l’issue de la guerre qui ne fait plus guère de doute, certains sont relaxés, les autres sont condamnés à des peines correctionnelles, bien loin des sanctions arbitraires qu’a pu prononcer cette juridiction en août 1941.
            Les dossiers de procédure permettent de retracer le parcours de ces hommes et femmes qui à la suite du traumatisme de la guerre d’Espagne choisissent de continuer la lutte contre le fascisme et le nazisme en France. Les trajectoires suivies par Josep Miret i Musté et Lluis Marassé sont saisissantes à cet égard.
            Il est plus difficile à la lecture de cette documentation de mesurer les interactions entre les Partis communistes clandestins et les éventuelles concertations entre ces mouvements. Si elles existent sans aucun doute, l’action du Parti communiste espagnol paraît pour autant principalement portée vers les hispanophones vivant en France et relativement isolée. La participation de certains de ces membres aux FTP-MOI permet toutefois de nuancer cette assertion. Seule une étude historiographique d’ampleur sur le Parti communiste espagnol clandestin en France permettrait de mieux mesurer son action et son rôle au sein de la Résistance.

[1] Pike David Wingeate, « Les anarchistes et la guerre d’Espagne : apports nouveaux », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 247, no. 3, 2012, p. 67.

[2] Maugendre Maëlle, « Lutter et résister dans les centres d'hébergement et les camps d'internement français : l'exemple des femmes espagnoles anarchistes (1939-1942) », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 19 | 2017, mis en ligne le 28 décembre 2017, consulté le 08 juillet 2022.
[3] Voir notamment Pike David Wingeate, Jours de gloire, jours de honte. Le parti communiste d’Espagne en France depuis son arrivée en 1939 jusqu’à son départ en 1950, SEDES, Paris, 1984.
[4] Sans Miguel, « La mémoire de la participation des Espagnols à la Résistance française : une construction difficile », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 25 | 2021, mis en ligne le 26 janvier 2021, consulté le 08 juillet 2022 ; Dreyfus-Armand Geneviève, « Les oubliés », Hommes et Migrations, n°1 148, novembre 1991. Aux soldats méconnus. Etrangers, immigrés, colonisés au service de la France (1914-1918 et 1939-1945) p. 36-44 ; Celaya Diego Gaspar, « D’un mythe à l’autre. Mémoire et histoire des espagnols dans la Résistance  », Conserveries mémorielles [En ligne], 20 | 2017, mis en ligne le 01 avril 2017, consulté le 08 juillet 2022.
[5] Archives Nationales (A.N.), Z/4/101 à 104.
[6] Voir notamment les synthèses de Paul Preston (Preston Paul, Une guerre d’extermination, Espagne, 1936-1945, Belin, Paris, collection « Contemporaines », 2016), d’Antony Beevor (Beevor Antony, La guerre d’Espagne, Calmann-Lévy, Paris, 2008) ou encore de Bartolomé Bennassar (Bennassar Bartolomé, La guerre d’Espagne et ses lendemains, Perrin, Paris, 2004 et 2006 (collection tempus)).
[7] Bennassar Bartolomé, La guerre d’Espagne et ses lendemains, op. cit., p. 92 et suivantes.

[8] Id., p. 130 et suivantes.

[9] Voir particulièrement l’ouvrage de Preston Paul, Une guerre d’extermination, Espagne, 1936-1945, op. cit.

[10] Bennassar Bartolomé, La guerre d’Espagne et ses lendemains, op. cit., p. 365 et suivantes.

[11] Loi du 27 septembre 1940 « relative à la situation des étrangers en surnombre dans l'économie nationale », Journal Officiel de la République Française (J.O.R.F.), 1er octobre 1940, p. 5 198.

[12] Courtois Stéphane, Lazar Marc, Histoire du Parti Communiste français, Presses Universitaires de France, Paris, 1995, p. 171 et suivantes.

[13] Courtois Stéphane, Lazar Marc, Histoire du Parti Communiste français, op. cit., p. 173.

[14] Article premier du décret-loi du 26 septembre 1939 « portant dissolution des organisations communistes », J.O.R.F., 27 septembre 1939, p. 11 770.

[15] Article 3 du décret-loi du 26 septembre 1939, J.O.R.F., 27 septembre 1939, p. 11 770.

[16] AN, Z/4/104, rapport des inspecteurs de la brigade spéciale 2 au commissaire principal, chef de la troisième section de la direction des renseignements généraux en charge des étrangers et des juifs en date du 30 novembre 1942.

[17] AN, Z/4/91, dossier 610, lettre d’un inspecteur spécial au commissaire principal, chef de la troisième section de la direction des renseignements généraux de janvier 1943.

[18] AN, Z/4/91, dossier 610, procès-verbal d’audition de Francisco Ferramon-Ducasi devant le juge d’instruction Pommeray en date du 6 janvier 1943.

[19] AN, Z/4/91, dossier 610, réquisitoire définitif en date du 8 octobre 1943, p. 3.

[20] AN, Z/4/91, dossier 610, réquisitoire définitif en date du 8 octobre 1943, p. 16.

[21] MAITRON Jean (dir.), dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, édition en ligne, notice MIRET i MUSTÉ Conrad [Conrado, en espagnol], alias “Lucien" et “Miralcap" dans la Résistance, “Alonso" dans ses relations avec le PCE clandestin par André Balent, Claude Pennetier, version mise en ligne le 15 septembre 2014, dernière modification le 20 juin 2021, consultée le 9 juillet 2022.

[22] AN, Z/4/91, dossier 610, réquisitoire définitif en date du 8 octobre 1943, p. 57 et 58.

[23] AN, Z/4/91, dossier 610, réquisitoire définitif en date du 8 octobre 1943, p. 79.

[24] Jaladieu Corinne, « Eysses. Une prison dans la Résistance », Musée Criminocorpus, publié le 14 octobre 2010, consulté le 10 juillet 2022.

[25] Par exemple, Annette Wieviorka, Ils étaient juifs, résistants, communistes, Denoël, 1986.

            « Jamais, nulle part ailleurs dans le monde, un conflit n’a attiré la totalité des nuances de la gamme idéologique, en passant du fascisme à l’anarchisme. Pour cette raison seule, la guerre d’Espagne reste unique[1] ». Elle est également unique par l’ampleur du mouvement migratoire entre l’Espagne et la France et des exodes qui ont cours du milieu des années 1930 à la fin du second conflit mondial. Son point culminant a lieu lors de la Retirada durant le mois de février 1939, où les républicains et leurs familles quittent massivement l’Espagne pour se réfugier en France.
            Parmi ceux-ci, beaucoup, anciens militants ou membres du Parti communiste espagnol, choisissent de poursuivre la lutte en agissant au côté des résistants français notamment communistes. Il s’agit pour ces rescapés espagnols de lutter contre un passé douloureux mais également et surtout contre le même ennemi qu’en 1936, le fascisme et le nazisme et son lot de violence.
            L’action des Espagnols et des Espagnoles[2] dans la Résistance française, notamment au sein des FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans de la Main-d’œuvre immigrée)[3], demeure encore peu connue des historiens notamment français[4]. L’organisation clandestine du Parti communiste espagnol en France sous l’Occupation l’est tout autant. Ce parti clandestin n’a pourtant pas cessé d’exister et a fait l’objet d’une répression importante par la police et la justice française.
            Certains de ses membres sont arrêtés à la fin de l’année 1942 et jugés devant la juridiction d’exception en charge de réprimer l’activité et la propagande communiste, la section spéciale de la cour d’appel de Paris. Le dossier de procédure de cette affaire dite des Espagnols a été conservé au sein du fonds de la section spéciale de la cour d’appel de Paris[5].
            Au travers de cette affaire, il s’agit de s’interroger sur les parcours individuels et les actions de ces communistes espagnols afin de mieux comprendre leur apport à la Résistance en France. Plus généralement, ce dossier permet aussi de questionner la continuité du Parti communiste espagnol en France et ses éventuels liens avec le Parti communiste français clandestin.
            La guerre d’Espagne, qui a fait l’objet d’une historiographie abondante, est centrale pour mieux appréhender ces questionnements[6]. Dans une économie et une société archaïque, les nouvelles idéologies du début du XXe siècle vont conduire à un conflit violent généralisé au sein d’une Seconde République en crise. Le Parti communiste espagnol y joue un rôle important avec plus de 340 000 adhérents à la fin de l’année 1937. La guerre civile débute par la tentative de coup d’État militaire du général Mola des 17 et 18 juillet 1936. Malgré l’échec de ce coup d’État, il provoque néanmoins l’effondrement du gouvernement de Madrid[7]. La Confédération nationale du travail, organisation syndicale anarchiste, et ses deux millions d’adhérents, devient le principal mouvement de résistance à ce coup d’État. Elle en profite pour mettre en œuvre sa « révolution espagnole », mouvement de collectivisation des terres et des industries. Accompagnés des soldats restés fidèles à la République et des militants marxistes, les communistes sont présents sur le front au sein des milices confédérales. La guerre s’enlise avec des protagonistes divisés, en particulier dans le camp républicain où s’opposent les républicains, les anarchistes et les communistes. Ces dissensions conduisent à la guerre civile. Dans le même temps, le conflit s’internationalise. Les nationalistes reçoivent l’appui déterminant de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste. Les républicains, quant à eux, bénéficient d’un soutien très mesuré des démocraties voisines en proie à une vague de pacifisme particulièrement importante à la suite de la Première Guerre mondiale. L’U.R.S.S. contribue à fournir des armes qui lui sont achetées. Si cette assistance ne permet pas de gagner le conflit, elle assure la prédominance du Parti communiste espagnol sur les autres formations politiques de gauche. L’appui des Brigades internationales et de ses plus de 32 000 hommes n’y est pas étranger non plus. Cette internationalisation conduit à une couverture médiatique importante de ce conflit qui connaît une résonance immense en Europe[8]. Les exactions commises durant la guerre civile (plus de 500 000 morts) notamment du côté nationaliste avec une politique répressive – voire de terreur – sont particulièrement relatées par les nombreux journalistes présents[9]. Les intellectuels s’emparent aussi de cette matière pour leurs romans à paraître.
            De 1936 à 1939, la conquête progressive du territoire national par les nationalistes conduit à des exodes vers la France, les exilés regagnant le plus souvent, l’Espagne par la suite. La chute de la Catalogne à la fin du mois de janvier 1939 engendre un exode, la Retirada. Plus de 450 000 personnes dont 200 000 combattants se massent à la frontière entre la France et l’Espagne au niveau des Pyrénées Orientales. Le gouvernement radical d’Édouard Daladier est totalement pris au dépourvu, ce qui le conduit à fermer la frontière puis à la rouvrir à plusieurs reprises entre les mois de janvier et février 1939. Madrid tombe le 28 mars et Franco proclame la fin de la guerre le 1er avril 1939.
            Les Espagnols sont accueillis en France suivant le statut « d’asilés » et non de réfugiés qui est paralysé du fait de la situation difficile de la Société des Nations, à l’origine de sa création. Rien n’étant prévu pour leur arrivée, ils sont dirigés, après avoir été triés à la frontière, vers des locaux divers dans de nombreux département français. Les hommes sont assignés à résidence dans des camps de concentration comme celui d’Argelès-sur-Mer[10]. Les familles tentent de survivre sans eau courante, sans électricité, sans chauffage. La promiscuité conduit à de nombreuses épidémies de dysenterie. Pour sortir de leur condition d’internés, les hommes doivent soit retourner en Espagne, soit partir vers un autre pays, soit rejoindre une compagnie de travailleurs étrangers utilisée pour des travaux de gros œuvre notamment sur la ligne Maginot.
            À la suite de l’invasion allemande, les compagnies de travailleurs étrangers font l’objet d’une épuration sévère de la part de l’occupant, déportant de nombreux communistes vers des camps de concentration. Les autres sont utilisés massivement par la France pour combler les manques d’hommes partis à la guerre ou encore pour être engagés dans certains régiments de l’armée française. La défaite de la France plonge les « asilés » espagnols dans une situation à nouveau très difficile. Les hommes, mobilisés et travailleurs des compagnies de travailleurs étrangers, sont de nouveau internés par le régime de Vichy. Certains rejoignent les Groupements de travailleurs étrangers[11]. Les conditions de travail y sont particulièrement dures, la surveillance est accrue. Ces hommes se retrouvent le plus souvent employés pour l’occupant et son organisation Todt. Parmi ceux-ci, beaucoup, anciens militants ou membres du Parti communiste espagnol, choisissent de poursuivre la lutte en agissant au côté des résistants français notamment communistes.

I. Un Parti communiste espagnol clandestin en lutte avec la police française

            La législation anticommuniste s’inscrit dans une longue lutte à l’égard du Parti communiste français et par là même des Partis communistes étrangers présents sur le territoire national. La répression judiciaire s’est accrue durant l’Entre-deux-guerres. La signature du pacte de non-agression entre Hitler et Staline, le 23 août 1939, stupéfie le monde entier. Les dirigeants du Parti communiste français n'avaient même pas connaissance de ces tractations menées depuis des mois dans le plus grand secret. Même s’ils essaient d'articuler le pacte et la ligne antifasciste, des violentes critiques s'abattent sur les communistes, « complices involontaires, mais solidaires d'un pacte dont on ignore encore les clauses secrètes – le partage de la Pologne et l'attribution des États baltes, de la Benarabie et de la Bukovine à l'U.R.S.S. – mais dont chacun sent que, libérant Hitler de la menace à l'Est, il ouvre la voie à une guerre imminente[12] ». Profitant de cette brusque vague anticommuniste, le gouvernement Daladier saisit L'Humanité et Ce Soir dès le 26 août 1939. Le Parti communiste français est lui-même divisé sur la ligne politique à tenir. Il maintient pourtant celle de l'Internationale, à savoir la lutte anti-hitlérienne. Le 1er septembre, Hitler attaque la Pologne, la France honore ses engagements. Le lendemain, les communistes votent les crédits de guerre à la Chambre des députés. Entre-temps, à Moscou, Staline présente une analyse bouleversée des relations avec l'Allemagne. Considérant que la guerre à venir affaiblira les puissances capitalistes et offrira à l'U.R.S.S. une extension de son territoire au détriment de la Pologne, il qualifie la guerre « d'interimpérialiste » et demande l'atténuation de la guerre antifasciste, afin de ne pas provoquer l'Allemagne. Le 9 septembre, l'Internationale entérine ce changement doctrinal. Les événements accentuent ce revirement politique. L'entrée des troupes russes en Pologne, le 17 septembre, et la signature, le 28 septembre, d'un deuxième pacte germano-soviétique visant à sceller l'amitié entre les deux belligérants et à délimiter les nouvelles frontières, créent un véritable séisme au sein du Parti communiste français et de ses entités satellites. Dès le 18 septembre, le bureau de la C.G.T. décide l'exclusion des militants qui ne condamnent pas le pacte germano-soviétique. Tenant désormais les communistes pour alliés de l'ennemi hitlérien, le gouvernement décrète, le 26 septembre, la dissolution du Parti communiste français et de toutes les organisations liées à l'Internationale communiste.

            « La manœuvre vise autant à affaiblir le Parti communiste français qu'à neutraliser la fraction pacifiste du Parlement qui, devant l'effondrement polonais, estime le moment déjà venu de signer la paix avec Hitler[13] ».

            Ce texte, relativement court, est signé par l’ensemble des membres du gouvernement pour lui donner toute l’importance qu’il revêt pour le pouvoir. L’article le plus important est le premier qui fixe de manière très large l’interdiction de toute activité communiste. Ainsi, « est interdite sous quelque forme qu'elle se présente, toute activité ayant directement ou indirectement pour objet de propager les mots d'ordre émanant ou relevant de la Troisième Internationale communiste ou d'organismes contrôlés en fait par cette Troisième Internationale[14] ». Cette interdiction conduit à la dissolution de plein droit du Parti communiste et de toutes les entités qui lui sont liées ou affiliées ou qui se conforment dans l’exercice de leur activité aux mots d’ordre de la Troisième Internationale ou d’organismes qu’elle contrôle. De ce fait, tout matériel visant à propager les mots d’ordre de la Troisième Internationale ou des organismes qui s’y rattachent est interdit. L’infraction visée est également très large, puisque toute activité de propagande est strictement prohibée. Ainsi, « la publication, la circulation, la distribution, l'offre publique, la mise en vente, l'exposition aux regards du public et la détention en vue de la distribution, de l'offre, de la vente ou de l'exposition des écrits, périodiques ou non, des dessins[15] » sont expressément proscrites. Les peines pouvant être prononcées sont un emprisonnement d'un an à cinq ans et une amende de 100 à 5 000 francs. C’est sur ce texte que s’appuie l’État français après l’armistice pour réprimer les communistes durant toute la guerre.
            Logiquement, les forces de l'ordre sont au cœur de la lutte anticommuniste. Ce sont elles qui traquent les sympathisants et les militants propagandistes, qui découvrent les infractions, procèdent aux arrestations, mettent à jour les connexions entre membres clandestins, démantèlent les réseaux. De multiples forces de police et de gendarmerie sont à l’œuvre parmi lesquelles les directions centrales de la sûreté nationale et des renseignements généraux. Celles-ci conduisent à l’arrestation de 119 membres du Parti communiste clandestin espagnol en juin 1942. Totalement désorganisé, il cesse toute activité. Pourtant, un certain nombre de militants communistes espagnols tentent à l’automne 1942 de reconstituer un nouveau mouvement clandestin notamment dans l’ouest de la France. La Direction Générale des Renseignements Généraux est rapidement informée de cette situation et procède immédiatement à des surveillances dans les milieux espagnols à Paris. Ces dernières confirment la tentative de reconstitution d’un groupement communiste espagnol clandestin dont les meneurs ont réussi à se soustraire à la précédente rafle policière de juin 1942. La police évoquant des liens avec des « terroristes » espagnols notoires, une information est immédiatement ouverte au sein du tribunal de la Seine. La brigade spéciale n° 2 de la direction des renseignements généraux de la Préfecture de police qui est chargée de la répression à l’égard des terroristes, conduit les investigations[16]. Ces dernières mèneront à 129 inculpations de militants et militantes communistes espagnols principalement dans l’ouest de la France à Nantes, Saint-Nazaire et Montoir-de-Bretagne (notamment au sein du Campo Franco) mais aussi à Rennes, Lorient, Bourges, Tours, au camp de Voves et à Paris. Ils sont tous poursuivis pour participation au mouvement communiste clandestin espagnol ou présomption d’activité communiste en infraction au décret-loi du 26 septembre 1939.

II. Les arrestations de l’été et de l’automne 1942 ou la fin du Parti communiste espagnol clandestin en France ?

            Près de 250 militants et dirigeants du Parti communiste espagnol clandestin en France sont inculpés en moins de six mois. De manière classique, les forces de l’ordre suivent un individu suspecté d’appartenir à ce parti clandestin et procèdent à l’arrestation de tous ceux et celles qui entrent en contact avec lui. C’est ainsi que de nombreux militants sont appréhendés. Le 30 novembre 1942, Francisco Ferramon-Ducasi est ainsi arrêté en raison de « son activité politique extrémiste[17] ». Ancien combattant de l’armée républicaine espagnole, il entre en France par le poste frontière du Perthus après la retraite de la Catalogne. Il est interné au camp de Saint-Cyprien puis à celui de Sept Fonds en juillet 1939. Il est libéré au mois de mai 1940 et travaille à Bordeaux pour le compte des autorités allemandes comme mécanicien jusqu’en mai 1942. Il est responsable de la région du Sud-Ouest pour le Parti communiste espagnol en France. À la suite de la vague d’arrestations de juin 1942 et se sachant recherché, il quitte Bordeaux pour Paris. Dès son arrivée, il se met en rapport avec les réfugiés politiques espagnols du Parti communiste. Il est désigné par le responsable du Parti communiste espagnol en France comme archiviste, trésorier et secrétaire[18] Une visite domiciliaire effectuée à son domicile permet la découverte d’un vaste matériel de propagande (machine à ronéotyper, stencils, tracts) ainsi que des archives du Parti communiste espagnol clandestin et de multiples cartes d’identité françaises falsifiées.
            Deux autres militants communistes sont arrêtés alors qu’ils sortent de chez Francisco Perramon-Ducasi. Ramon Garrido (alias Léon Carrero-Mestres), responsable de la région Bretagne pour le Parti communiste espagnol et son adjoint Rafael Salazar (alias Raphaël Laborda), sont appréhendés étant porteurs de carnets d’adresses et de feuilles dactylographiées. Lors des visites domiciliaires qui suivent, la police découvre des notes manuscrites relatives à la propagande communiste et à un projet de sabotage[19]. D’autres militants et militantes sont également arrêtés de la même manière comme Joaquin Barrio (alias Ricardo Diaz), responsable pour la région parisienne et son adjoint Julio Marba Planas. Le rôle de ce dernier dans l’organisation est celui de statisticien. Il ne prend pas part aux opérations de propagande mais recueille de ses compatriotes des informations économiques, politiques et sociales[20].
            Josep Miret i Musté, ancien ministre aux approvisionnements et directeur général des transports dans le gouvernement de la Generalitat de Catalogne d’avril à mai 1937, connaît un sort similaire. Il intègre l’armée républicaine espagnole où il obtient le grade de commandant. Il est commissaire politique d’une division de l’armée populaire puis commissaire général des blindés pour une partie de l’armée. Après la Retirada, il intègre l’organisation clandestine du Parti communiste espagnol en France et en assure à partir d’avril 1941 la direction. Partisan de la résistance contre l’occupant en dépit du pacte germano-soviétique, son positionnement n’est pas suivi. Il est arrêté le 30 novembre 1942 ainsi que sa compagne Julienne Brumenhurst. Son frère, Conrad Miret i Musté, crée à sa demande l’organisation spéciale de la Main d'œuvre immigrée (MOI). Il organise des groupes armés et œuvre à l’organisation d’opérations de sabotage contre l’occupant allemand et son matériel. Il participe à l’édition clandestine de tracts communistes avec Lluis Marassé. Il est arrêté par la police française en février 1942. Livré aux Allemands, il meurt sous la torture[21].
            Lluis Marassé (parfois écrit Louis Marrasé) fait partie de la direction de la Résistance espagnole communiste pour la zone occupée. Il a la charge de l’impression et de la diffusion du matériel de propagande. Cela le conduit à être en relation avec l’ensemble des groupes espagnols clandestins de Paris et de l’ouest de la France. Il est arrêté en juin 1942 comme nombre de militants du Parti communiste clandestin dans l’ouest de la France. Une perquisition à son domicile mais surtout dans un local qu’il loue à Villejuif mène à la découverte d’un important matériel de propagande[22].
            Les arrestations de juin 1942 dans le milieu espagnol communiste clandestin visent surtout ce réseau de propagande particulièrement présent dans l’ouest de la France. La direction du Parti communiste espagnol clandestin y échappe hormis Lluis Marassé. Elle sera visée plus particulièrement par la vague d’arrestations de novembre 1942 qui conduit à l’appréhension de 34 cadres dirigeants de ce parti clandestin dont son directeur Josep Miret i Musté. Si les personnes arrêtées en juin 1942 sont largement jugées par la section spéciale de la cour d’appel de Paris, celles qui le sont en novembre 1942 y échappent dans leur grande majorité.

III. La section spéciale de la cour d’appel de Paris et le Parti communiste clandestin espagnol

            Dès le début de l'année 1941, l'État français adopte une position répressive stricte à l'égard de ses opposants et en particulier des communistes, soit bien en amont de l'évolution internationale et de l'entrée du Parti communiste français dans la lutte armée contre l'occupant. L'initiative apparaît bien française, même si l'occupant y a clairement son intérêt dans le cadre de sa politique de maintien de l'ordre.
            Les journées d'août 1941 et en particulier celle du 21 août, avec l'attentat commis par Pierre Georges contre l'aspirant Alfonz Moser dans une station du métro parisien, servent d'élément déclencheur à l’État français pour la mise en place d'une juridiction d'exception en charge de juger les communistes. La loi sur les sections spéciales est écrite le 22 août et promulguée le 23. Elle est antidatée au 14 août pour éviter tout rapprochement avec l'attentat contre l'aspirant Moser et pour apparaître comme la réponse française à une manifestation communiste du 13 août réprimée par l'occupant. Ce texte contraire à de nombreux principes généraux du droit pénal en France prévoit une répression particulièrement sévère à l’égard des communistes. Ces derniers peuvent dorénavant être condamnés, et ce pour des faits antérieurs à la promulgation de cette loi, à la peine de mort. Lors de sa première audience, la section spéciale de la cour d’appel de Paris doit — à la demande des Allemands — condamner à mort six militants communistes. Néanmoins, seules trois condamnations à mort sont prononcées sur des cas de propagande, dont un non avéré. La magistrature paraît dès lors partagée entre des magistrats refusant toute compromission dans le cadre fixé par cette nouvelle loi et ceux qui pour diverses raisons (opinion, carriérisme…) n'hésitent pas à participer et à s'arranger quelque peu avec les réalités factuelles. À l'exception de ces trois peines de mort, cette juridiction sera finalement dans l'ensemble relativement « clémente », en particulier à partir de septembre 1942 et encore plus à compter d’octobre 1943. Plus de 700 affaires y sont jugées pour 2 045 détenus déférés, pour des peines allant de la relaxe à la peine de mort.
            Le 11 décembre 1943, 61 résistants communistes espagnols arrêtés en juin 1942 et mis en détention début juillet 1942 sont jugés par cette juridiction. L’autre moitié des personnes arrêtées en juin 1942 n’est pas poursuivie faute de preuves[23], elles sont donc libérées. Deux autres individus arrêtés en novembre 1942 sont également déférés à cette date. En décembre 1943, la section spéciale de la cour d’appel de Paris fait preuve d’une sévérité bien moindre que lors de sa première année d’existence. La logique en est simple. Les magistrats convaincus que l’issue de la guerre est incertaine se montrent plus complaisants envers les résistants pour éviter les représailles. Ils les condamnent donc à des peines peu importantes, mais suffisantes pour éviter que les autorités allemandes ne s’en saisissent.
            À l’issue de l’audience, 19 prévenus sont relaxés dont José Parraz, chef de la cellule 19 à Campo-Franco et Christobal Rioz-Perez, chef de la cellule à Saint-Nazaire. Manuel Acuna-Lopez, secrétaire général de la cellule n° 921 est relaxé par un arrêt de la section spéciale de la cour d’appel de Paris en date du 2 mars 1944. La peine la plus lourde est prononcée à l’encontre de Lluis Marassé et de Celso Diaz, responsables de l’organisation et des finances pour la zone occupée et Juan Martin Numez, membre de la cellule de La Rochelle du Parti communiste. Il est condamné à cinq ans d’emprisonnement et 1 200 francs d’amende. Il s’agit d’une peine correctionnelle à la hauteur de celles pouvant être prononcées pour infraction au décret-loi du 26 septembre 1939 à sa création. Baptiste Lopez-Quiroga, dirigeant la 2e cellule du Parti communiste à Nantes, Roméro Parra, responsable de toute l’organisation communiste espagnole pour Nantes, Saint-Nazaire et Montoir-de-Bretagne, José Turon-Jimeno, secrétaire général de l’organisation syndicale et à l’agitation, écopent d’une peine de quatre ans d’emprisonnement et de 1 200 francs d’amende. D’autres dirigeants du Parti communiste espagnol clandestin, comme Manuel Cabarello-Montes, chef de la cellule n° 3 à Nantes, Pedro Cerrada-Puente et Baptiste Lopez-Quieroga, chefs de la cellule n° 2 à Nantes, Vincente Laso-Julia, responsable de la région Saint-Lazare-Montoir avant de devenir secrétaire général de la région Ouest, sont condamnés à trois ans d’emprisonnement et de 1 200 francs d’amende. Il en est de même pour Julio Marba Planas, responsable adjoint pour la région parisienne. Son responsable, Joaquin Barrio ainsi que Ramon Garrido, responsable de la région Bretagne pour le Parti communiste espagnol et son adjoint Rafael Salazar sont frappés, comme d’autres militants, d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 1 200 francs d’amende. Douze autres prévenus sont condamnés à 18 mois d’emprisonnement et 1 200 francs d’amende. Plusieurs disjonctions et renvois sine die sont prononcés à l’encontre notamment de Josep Miret i Musté et Luis Montero-Alvarez, secrétaire de l’action communiste pour toute la zone occupée, membre des FTP-MOI. Tous deux sont remis aux autorités allemandes et déportés en mars et août 1943 au camp de concentration de Mauthausen. Le premier est tué par les Allemands le 17 novembre 1944 après avoir été blessé par un bombardement allié. Le second y échappe et rentre en France en mai 1945. Il poursuit son engagement en occupant la direction du bureau politique du Parti communiste espagnol. Enfin, Francesco Perramon-Ducasi est condamné à trois ans d’emprisonnement et 1 200 francs d’amende le 16 mars 1944. Après avoir été transféré pour exécuter sa peine dans plusieurs prisons françaises, il est déporté dans trois camps de concentration avant d’être libéré par l’armée rouge à Malchow le 2 mai 1945. Il rentre en France peu après.
            Beaucoup de ces condamnés sont transférés à la prison d’Eysses (Villeneuve-sur-Lot). Cela ne les empêche pas de poursuivre leur lutte et d’organiser la résistance dans cette prison[24]. Le 19 février 1944, ils organisent une mutinerie, prenant en otages le directeur de la prison et un inspecteur de l’administration pénitentiaire. Une fusillade éclate entre les prévenus et les gardes mobiles de réserve qui dure toute la nuit. Les détenus doivent néanmoins se rendre. La répression est sévère, douze résistants sont condamnés à mort par une cour martiale et exécutés quelques jours plus tard. Les autres détenus demeurés dans la prison sont livrés aux autorités allemandes. Ils sont déportés à Dachau, près de 400 d’entre eux y meurent. Certains reviennent en France et continuent leurs carrières syndicales et politiques au sein des organisations communistes.
            L’action des étrangers dans la Résistance en France a longtemps été occultée. En dépit de rares études[25], il faut attendre l’entrée des époux Manouchian au Panthéon le 21 février 2024 pour qu’elle soit réellement mise en lumière. L’affaire dite des Espagnols permet de mieux appréhender le rôle du Parti communiste espagnol clandestin au sein de la Résistance. L’arrestation de près de 250 membres en juin et novembre 1942 et les nombreuses actions notamment de propagande auxquelles ces militants et militantes ont pu prendre part démontrent son importance tant quantitative que qualitative. Certains de ses membres sont jugés par la section spéciale de la cour d’appel de Paris en décembre 1943, les autres ayant été libérés faute de preuves. Profitant de l’issue de la guerre qui ne fait plus guère de doute, certains sont relaxés, les autres sont condamnés à des peines correctionnelles, bien loin des sanctions arbitraires qu’a pu prononcer cette juridiction en août 1941.
            Les dossiers de procédure permettent de retracer le parcours de ces hommes et femmes qui à la suite du traumatisme de la guerre d’Espagne choisissent de continuer la lutte contre le fascisme et le nazisme en France. Les trajectoires suivies par Josep Miret i Musté et Lluis Marassé sont saisissantes à cet égard.
            Il est plus difficile à la lecture de cette documentation de mesurer les interactions entre les Partis communistes clandestins et les éventuelles concertations entre ces mouvements. Si elles existent sans aucun doute, l’action du Parti communiste espagnol paraît pour autant principalement portée vers les hispanophones vivant en France et relativement isolée. La participation de certains de ces membres aux FTP-MOI permet toutefois de nuancer cette assertion. Seule une étude historiographique d’ampleur sur le Parti communiste espagnol clandestin en France permettrait de mieux mesurer son action et son rôle au sein de la Résistance.

[1] Pike David Wingeate, « Les anarchistes et la guerre d'Espagne : apports nouveaux », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 247, no. 3, 2012, p. 67.

[2] Maugendre Maëlle, « Lutter et résister dans les centres d'hébergement et les camps d'internement français : l'exemple des femmes espagnoles anarchistes (1939-1942) », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 19 | 2017, mis en ligne le 28 décembre 2017, consulté le 08 juillet 2022.

[3] Voir notamment Pike David Wingeate, Jours de gloire, jours de honte. Le parti communiste d’Espagne en France depuis son arrivée en 1939 jusqu’à son départ en 1950, SEDES, Paris, 1984.

[4] Sans Miguel, « La mémoire de la participation des Espagnols à la Résistance française : une construction difficile », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 25 | 2021, mis en ligne le 26 janvier 2021, consulté le 08 juillet 2022 ; Dreyfus-Armand Geneviève, « Les oubliés », Hommes et Migrations, n°1 148, novembre 1991. Aux soldats méconnus. Etrangers, immigrés, colonisés au service de la France (1914-1918 et 1939-1945) p. 36-44 ; Celaya Diego Gaspar, « D’un mythe à l’autre. Mémoire et histoire des espagnols dans la Résistance  », Conserveries mémorielles [En ligne], 20 | 2017, mis en ligne le 01 avril 2017, consulté le 08 juillet 2022.

[5] Archives Nationales (A.N.), Z/4/101 à 104.

[6] Voir notamment les synthèses de Paul Preston (Preston Paul, Une guerre d’extermination, Espagne, 1936-1945, Belin, Paris, collection « Contemporaines », 2016), d’Antony Beevor (Beevor Antony, La guerre d’Espagne, Calmann-Lévy, Paris, 2008) ou encore de Bartolomé Bennassar (Bennassar Bartolomé, La guerre d’Espagne et ses lendemains, Perrin, Paris, 2004 et 2006 (collection tempus)).

[7] Bennassar Bartolomé, La guerre d’Espagne et ses lendemains, op. cit., p. 92 et suivantes.

[8] Id., p. 130 et suivantes.

[9] Voir particulièrement l’ouvrage de Preston Paul, Une guerre d’extermination, Espagne, 1936-1945, op. cit.

[10] Bennassar Bartolomé, La guerre d’Espagne et ses lendemains, op. cit., p. 365 et suivantes.

[11] Loi du 27 septembre 1940 « relative à la situation des étrangers en surnombre dans l'économie nationale », Journal Officiel de la République Française (J.O.R.F.), 1er octobre 1940, p. 5 198.

[12] Courtois Stéphane, Lazar Marc, Histoire du Parti Communiste français, Presses Universitaires de France, Paris, 1995, p. 171 et suivantes.

[13] Courtois Stéphane, Lazar Marc, Histoire du Parti Communiste français, op. cit., p. 173.

[14] Article premier du décret-loi du 26 septembre 1939 « portant dissolution des organisations communistes », J.O.R.F., 27 septembre 1939, p. 11 770.

[15] Article 3 du décret-loi du 26 septembre 1939, J.O.R.F., 27 septembre 1939, p. 11 770.

[16] AN, Z/4/104, rapport des inspecteurs de la brigade spéciale 2 au commissaire principal, chef de la troisième section de la direction des renseignements généraux en charge des étrangers et des juifs en date du 30 novembre 1942.

[17] AN, Z/4/91, dossier 610, lettre d’un inspecteur spécial au commissaire principal, chef de la troisième section de la direction des renseignements généraux de janvier 1943.

[18] AN, Z/4/91, dossier 610, procès-verbal d’audition de Francisco Ferramon-Ducasi devant le juge d’instruction Pommeray en date du 6 janvier 1943.

[19] AN, Z/4/91, dossier 610, réquisitoire définitif en date du 8 octobre 1943, p. 3.

[20] AN, Z/4/91, dossier 610, réquisitoire définitif en date du 8 octobre 1943, p. 16.

[21] MAITRON Jean (dir.), dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, édition en ligne, notice MIRET i MUSTÉ Conrad [Conrado, en espagnol], alias “Lucien" et “Miralcap" dans la Résistance, “Alonso" dans ses relations avec le PCE clandestin par André Balent, Claude Pennetier, version mise en ligne le 15 septembre 2014, dernière modification le 20 juin 2021, consultée le 9 juillet 2022.

[22] AN, Z/4/91, dossier 610, réquisitoire définitif en date du 8 octobre 1943, p. 57 et 58.

[23] AN, Z/4/91, dossier 610, réquisitoire définitif en date du 8 octobre 1943, p. 79.

[24] Jaladieu Corinne, « Eysses. Une prison dans la Résistance », Musée Criminocorpus, publié le 14 octobre 2010, consulté le 10 juillet 2022.

[25] Par exemple, Annette Wieviorka, Ils étaient juifs, résistants, communistes, Denoël, 1986.

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