« La guerre de l’impératrice » : le rôle de l’impératrice Eugénie dans la guerre de 1870. Nouvel état des lieux et réévaluation historiographique

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25 Nov
2024

Pierre Toussaint

Résumé

La « guerre de l’impératrice » est une expression bien connue des historiens du Second Empire, mais celle-ci a t-elle fait l’objet d’une étude approfondie ? Façonnée tout d’abord par les républicains et usitée notamment par la presse, cette expression doit sa paternité à une formulation que Eugénie de Montijo, impératrice des Français, aurait tenue à propos de la guerre de 1870. Aussitôt démentie, elle lui colle pourtant à la peau pendant de nombreuses décennies à travers une historiographie immédiate qui fait de notre dernière souveraine un bouc-émissaire idéal, bientôt voué aux gémonies pour avoir été la principale instigatrice du conflit franco-allemand. Tiré d’un mémoire de recherche plus vaste, cet article tient le parti de présenter l’évolution historiographique que connaît cette figure méconnue de l’Histoire de France sur un temps long, allant des premières heures de la Troisième République jusqu’au centenaire de sa disparition commémorée en 2020, date à laquelle le travail de recherche a été commencé. En s’appuyant sur des travaux récents et des sources jusque là inexplorées notamment à travers la presse lorraine, il s’agit de démontrer que la guerre de 1870 est en fait le résultat de causes protéiformes et de responsabilités partagées. Surtout, il s’agit de montrer que contrairement aux idées reçues, l’impératrice n’a eu, dans les faits, aucun rôle décisif dans l’imbroglio diplomatique qui mène au conflit ainsi que dans son déroulement.

The “Empress War” is a well-known expression among Second Empire historians, but has it ever been studied in depth? First coined by the Republicans and used in the press, the expression owes its authorship to a statement that Eugénie de Montijo, Empress of the French, is said to have made about the 1870 war. The term was immediately denied, but for many decades it stuck to her through an immediate historiography that made of our last sovereign an ideal scapegoat, soon to be condemned to oblivion for having been the main instigator of the Franco-German conflict. Taken from a larger research project, this article presents the historiographical evolution of this little-known figure in French history over a long period, from the early days of the Third Republic to the centenary of her death, commemorated in 2020, the date on which the research began. Drawing on recent work and hitherto unexplored sources, notably the Lorraine press, the aim is to demonstrate that the 1870 war was in fact the result of protean causes and shared responsibilities. Above all, the aim is to show that, contrary to popular belief, the Empress did not in fact play a decisive role in the diplomatic imbroglio that led to the conflict, or in the way it unfolded.

Détails

Chronologie : XIXe siècle
Lieux : France
Mots-clés : Impératrice Eugénie – Second Empire – Guerre de l’impératrice – Historiographie – Guerre de 1870 – Centenaire – CommémorationRéévaluation

Chronology: XIXth century
Location: France
Keywords: Empress EugénieSecond EmpireEmpress WarHistoriographyWar of 1870CentenaryCommemorationRevaluation

Plan

« La guerre de l’impératrice »
I – « En blâmant Eugénie tout le monde se retrouva[20] » : la légende noire de l’impératrice et la guerre de 1870

1. L’ingérence de l’impératrice dans la politique impériale

2. Réaffirmer la légitimité impériale et préparer le trône au Prince

II – Les réalités institutionnelles de la régence dans l’Empire libéral

1. Une marge de manœuvre limitée

2. Existe-t-il un parti de l’impératrice ?

III – Que reste-t-il de la responsabilité de l’impératrice dans le conflit ? Persistances et nouvelles perspectives historiographiques

Pour citer cet article

Référence électronique
Toussaint Pierre, “« La guerre de l’impératrice » : le rôle de l’impératrice Eugénie dans la guerre de 1870. Nouvel état des lieux et réévaluation historiographique", Revue de l’Association des Jeunes Chercheurs de l’Ouest [En ligne], n°4, 2024, mis en ligne le 25 novembre 2024, consulté le 14 décembre 2024 à 19h54, URL : https://ajco49.fr/2024/11/25/la-guerre-de-limperatrice-le-role-de-limperatrice-eugenie-dans-la-guerre-de-1870-nouvel-etat-des-lieux-et-reevaluation-historiographique

L’Auteur

Pierre Toussaint
Professeur d’histoire-géographie au lycée Henri Poincaré de Nancy, est titulaire d’un Master Recherche en Histoire, obtenu en 2022. Sa première spécialisation se consacrait à l’histoire politique et sociale du XIXe siècle, avec un intérêt particulier pour le Second Empire (1852-1870).

Droits d’auteur

Tous droits réservés à l’Association des Jeunes Chercheurs de l’Ouest.
Les propos tenus dans les travaux publiés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.

« Ma légende est faite, au début du règne, je fus la femme frivole, ne s’occupant que de chiffons ; et vers la fin de l’Empire, je suis devenue la femme fatale qu’on rend responsable de toutes les fautes et de tous les malheurs ! Et la légende l’emporte toujours sur l’histoire[1] ». Eugénie de Montijo, dernière souveraine des Français, fit preuve d’une grande clairvoyance vis-à-vis de sa propre existence et du traitement que l’historiographie française lui a réservé pendant de nombreuses décennies, et ce dès son vivant. De son apparition dans les affaires publiques françaises lors de son mariage avec Napoléon III en 1853 et jusqu’à la commémoration du centenaire de sa disparition en 2020, elle endosse plusieurs rôles successifs qu’il s’agira d’analyser en profondeur. Elle est d’abord l’étrangère, cette « Espagnole » qui, issue d’une dynastie secondaire en Europe, n’apporta aucun prestige à la France au moment de son mariage avec un Napoléon de la famille Bonaparte, neveu du Ier et récemment devenu empereur. Elle est ensuite une femme dont le rôle premier est d’être une épouse, une mère pour, de fait, assurer la continuité de la dynastie impériale. Celui-ci est à l’origine de nombreux pamphlets qui l’ont fustigée, une démarche récemment qualifiée de « psychologisante » par l’historien Maxime Michelet[2] qui montre ce qui n’avait été jusque-là que peu dénoncé, à savoir la misogynie vis-à-vis d’une impératrice qualifiée de « souveraine superstitieuse parce qu’Espagnole et inconstante parce que femme[3] ». Enfin, après la guerre de 1870, elle devint l’exilée qui connut l’aventure anglaise aux côtés de son mari avant le décès de ce dernier en janvier 1873, suivi de celui de leur fils, le Prince impérial, en juin 1879. Après cette tragique disparition, toute possibilité de résurgence du pouvoir impérial semble compromise dans un contexte où la République s’enracine durablement. Dès lors, la figure de l’exilée se mue en celle de la survivante[4] puisque Eugénie vécut encore plus d’une quarantaine d’années, en multipliant les pérégrinations sur des lieux qui rappellent la gloire d’un empire déchu, d’une époque désormais révolue.

L’intervention d’Eugénie de Montijo dans les affaires publiques serait liée à la résignation de Napoléon III, contraint de l’initier au « jeu politique » pour compenser ses infidélités[5]. L’impératrice se serait « réfugiée ou dans la bigoterie ou dans l’interventionnisme politique par frustration matrimoniale[6] » selon son biographe Maxime Michelet. Pourtant, rares sont les femmes françaises de cette période qui furent associées au pouvoir et qui furent autant préparées à assurer la continuité dynastique. L’intérêt d’Eugénie pour la politique extérieure et les trois régences qu’elle exerce successivement en 1859, 1865 et 1870 sont des expériences politiques qui méritent d’être étudiées objectivement et leur succès global n’est que le résultat d’une longue préparation au pouvoir. Ce bilan pourtant positif fut largement noirci par plus d’un siècle d’opprobre véhiculé par une historiographie très largement négative à son encontre[7]. Elle est d’ailleurs très immédiate puisque les premiers récits apparaissent au lendemain de la guerre de 1870. Dès lors, les pamphlets s’accumulent et la responsabilité du conflit lui est entièrement imputée. Cette guerre de 1870, pourtant décidée par l’empereur en concertation avec ses ministres semble tout à coup devenir la « guerre de l’impératrice », si l’on s’en tient à certains récits de républicains mais aussi d’anciens dignitaires de l’Empire. Ainsi, il est nécessaire au lendemain du centenaire de la disparition d’Eugénie d’effectuer un nouvel état des lieux autour de cette question de la « guerre de l’impératrice » afin de préciser son rôle dans le conflit[8]. L’impératrice a-t-elle influencé les décisions qui ont abouti à la guerre en juillet 1870 ? Quels ont été les moyens politiques de l’impératrice, réels ou supposés, lui donnant un rôle dans ces mois décisifs pour le régime impérial, ce que l’historien Georges Lacour-Gayet a appelé le « grand moment[9] » de sa vie ? Nous montrerons tout d’abord que l’impératrice Eugénie fut un bouc émissaire idéal pour de nombreux dignitaires et observateurs de la chute du régime impérial. Pourtant, nous verrons qu’elle n’a bénéficié, dans les faits, que de peu de moyens politiques et que les réalités institutionnelles de la régence sous l’Empire libéral ne lui ont conféré qu’une faible marge de manœuvre.

« La guerre de l’impératrice »

L’origine de la légende noire qui entoure l’impératrice Eugénie est relativement connue des historiens. En effet, elle tient en une formule qu’aurait prononcée la dernière souveraine : « Cette guerre, c’est moi qui l’ai voulue, c’est ma guerre ». Dès 1935, Lucien Daudet, fils cadet du romancier Alphonse Daudet et ami proche d’Eugénie, revient sur cette petite histoire qui semble être une méprise. En 1874, le journal La Volonté nationale, organe officiel du parti bonapartiste sous la Troisième République[10], diffuse la formule qui aurait été entendue par George Le Sourd, secrétaire d’ambassade chargé d’affaires à Berlin le 23 juillet 1870, soit quatre jours après la déclaration de guerre à la Prusse[11]. Presque immédiatement, l’information est démentie par l’intéressé qui écrit une lettre à Vincent Benedetti, le diplomate ayant négocié la paix à Ems quelques années plus tôt. Lucien Daudet publie le contenu de cette lettre dans son ouvrage en 1935 où nous pouvons lire :

“Cher monsieur Benedetti,
Rentré hier soir à Paris après une courte absence, je lis dans
Le Français du 5 avril un article extrait de La Volonté Nationale et rapportant l’entretien que j’ai eu à Saint-Cloud avec l’Impératrice, à mon retour de Berlin, le samedi 23 juillet 1870. Ce récit est absolument inexact. L’Impératrice n’a pas tenu en ma présence le langage ni le propos final qu’on lui prête[12]»

Néanmoins, l’anathème est jeté sur l’impératrice et l’opprobre ne décline pas avant un siècle. Le contenu seul de cette lettre aurait pourtant suffi à la disculper, mais le document aujourd’hui situé dans les archives du duc d’Albe en territoire espagnol n’avait jamais été publié parce que préjudiciable pour le diplomate. Cela n’aurait pas échappé à Adolphe Thiers, président de la République qui aurait immédiatement pris des sanctions à son l’encontre[13]. En connaissance de cause, Eugénie fit le choix de garder ce document pour elle, certainement pour ne pas raviver une flamme qui venait de s’éteindre.

Dès lors, elle devient une cible privilégiée dans la jeune république naissante, parce qu’elle aurait joué un rôle décisif dans le conflit. Plus encore, elle aurait été « l’instigatrice du conflit[14] » et cela justifie les nombreux témoignages à charge contre elle. Les uns, écrits par l’opposition républicaine et orléaniste, montrent la femme frivole et l’irresponsabilité politique dont elle a fait preuve. Les autres, provenant des bonapartistes et des dignitaires de l’Empire, essaient de sauver ou de dédouaner la figure de l’empereur en lançant l’opprobre sur son épouse. Parmi eux, nous pouvons en citer quelques-uns : le général François Charles du Barail[15], le duc Victor de Persigny[16], Henri Welschinger[17] ou encore le baron Verly[18]. Ces témoignages parfois d’intimes de l’impératrice critiquent la constitution de ce que nous pourrions appeler un « parti de l’impératrice » comme il aurait existé à l’époque de Marie Antoinette un « parti de la reine[19] ». Selon ces auteurs, ce parti de l’impératrice, belliciste par essence, aurait réclamé la guerre pour consolider le trône et bien le préparer pour son fils tandis que l’empereur était acculé au conflit. De ce point de vue, on lui reproche d’avoir davantage agi comme une mère que comme une épouse, tout en l’accusant, paradoxalement, d’avoir causé la mort de son propre fils en lui léguant les étriers archaïques du cheval de son père, lorsque le jeune prince décida de partir en Afrique engagé dans les armées de la reine Victoria.

I. « En blâmant Eugénie tout le monde se retrouva[20] » : la légende noire de l’impératrice et la guerre de 1870

L’ingérence de l’impératrice dans la politique impériale

Les accusations portées à l’encontre de l’impératrice Eugénie sont nombreuses et il ne s’agit pas de toutes les détailler. Néanmoins, nous pouvons nous arrêter sur quelques lieux communs de l’historiographie de l’impératrice. Parmi eux, l’influence politique de l’impératrice Eugénie constitue certainement le cœur de sa légende noire. En effet, Victor de Persigny, grand adversaire de l’impératrice qui avait dès 1853 contesté son mariage avec Napoléon III, réussit en 1869 à obtenir de l’empereur la mise à l’écart d’Eugénie du Conseil des ministres auquel elle assistait régulièrement[21], en tout cas au moins depuis 1859 si l’on en croit les écrits de Pierre De Lano[22]. Dans les faits, l’historien Henri Welschinger montrait au début du XXe siècle que Persigny avait une propension à imputer à l’impératrice tous les maux de l’Empire : les difficultés avec le Pape, la crise en Pologne entre 1862 et 1864 ou encore l’hasardeuse expédition du Mexique entre 1861 et 1867[23]. Cette influence est surtout dénoncée dans le cadre de la guerre de 1870, l’historien lui-même écrivant qu’elle aurait eu « une influence prépondérante sur la déclaration de la guerre[24] » bien qu’il précise que l’impératrice s’est toujours défendue d’avoir causé ce conflit. Selon lui, elle pensait peut-être que l’armée française était largement supérieure à celle de la Prusse ou qu’il s’agissait d’un moyen de contenir l’hégémonie continentale qu’avait acquise la Prusse au lendemain de son écrasante victoire contre l’Autriche à Sadowa en 1866. Le général François du Barail, pourtant grand partisan du régime impérial, écrit dans ses souvenirs publiés entre 1894 et 1896 que l’impératrice exerçait un « pouvoir sans limites sur l’esprit de l’empereur[25] ». Il écrit plus loin que « le pouvoir de l’impératrice sur l’Empereur fut même assez fort pour obtenir le changement des dispositions primitives résolues en cas de guerre[26] ». Pourtant, la guerre est moins le jeu de l’impératrice que celui des ministres et notamment celui du duc de Gramont, ministre des Affaires étrangères. Il formulait au Corps législatif dès le 6 juillet 1870 ce qui ressemblait davantage à un ultimatum qu’à une déclaration : « S’il en était autrement, forts de votre appui et celui de la nation, nous saurions remplir notre devoir sans hésitation et sans faiblesse[27] ». Dès lors, contrairement à ce qu’écrivent les contemporains de l’impératrice, elle n'aurait pas été la seule à absolument vouloir la guerre, si tant est qu’elle l’ait vraiment voulue. Toujours en suivant les mémoires du général du Barail, le pouvoir de l’impératrice ne se limitait pas seulement à la personne de l’empereur mais s’étendait également sur le Conseil des ministres. S’il est vrai que l’impératrice assiste régulièrement au Conseil des ministres en 1866-1867, elle ne s’y rend que rarement à partir de 1868[28]. Aussi, toujours selon le général du Barail, elle aurait exercé une influence sur Eugène Chevandier de Valdrome, ministre de l’Intérieur au sein du gouvernement d’Emile Ollivier, alors que celui-ci était opposé au conflit dès le départ. La justification de cette influence est peu convaincante puisqu’elle repose sur une supposée sympathie du ministre pour l’impératrice[29]. Si nous ne pouvons nier une totale absence d’influence de l’impératrice Eugénie dans le conflit de 1870, force est de constater que celle-ci fut largement hypertrophiée, comme l’a rappelé Nicolas Bourguinat dans sa synthèse récente sur le conflit[30]. Si son rôle peut intervenir en dehors des règles du fonctionnement impérial, elle n’est aucunement l’éminence grise du régime[31]. En effet, affirmer qu’elle ait pris l’ascendant sur Napoléon III revient à faire un contresens historique sur la nature même du régime impérial, les décisions relevant uniquement de l’empereur. Par ailleurs, l’historien s’appuie sur les travaux de Louis Girard qui montrait dès les années 1980[32] qu’en soutenant la décision du duc de Gramont quant à la demande des garanties sur la renonciation de la candidature allemande sur le trône madrilène, l’empereur mettait « le doigt dans un engrenage qu’il sait pertinemment dangereux[33] ». Ainsi, dans la biographie la plus récente de l’impératrice Eugénie, Maxime Michelet insiste sur son rôle qu’il qualifie de « lointaine coresponsabilité non déterminante[34] ».

Réaffirmer la légitimité impériale et préparer le trône au Prince

Une seconde critique faite à l’impératrice réside dans les raisons qui l’auraient poussée à réclamer la guerre. Si nous reprenons les écrits du général du Barail, nous pouvons y lire que l’impératrice voyait une victoire française comme un moyen de raffermir le prestige impérial qui s’était altéré lors des dernières campagnes de Napoléon III. Il écrit notamment :

« Elle voulait que Napoléon IV, son fils, fût aussi fort et aussi inébranlable que l’avait été Napoléon III, son époux. Elle croyait qu’il ne serait solidement assis sur le trône paternel que lorsque ce trône aurait pour étai la constitution de 1852 qui avait fait ses preuves. Or, pour ressaisir le pouvoir, tombé dans des mains défaillantes de l’Empereur, et pour le restaurer par des institutions vigoureuses, il faut que le règne de Napoléon IV fût inauguré par une ère de succès militaires[35] »

L’idée qu’une victoire militaire permettrait de parachever le plébiscite du mois de mai 1870 est récurrente dans de nombreux discours. Émile Ollivier prend soin de retranscrire dans ses mémoires les différentes sollicitations provenant des partisans de la guerre[36]. L’impératrice est invectivée pour avoir agit davantage comme une mère que comme une épouse. Trop occupée à affermir le trône de son fils, elle aurait envoyé son mari à la guerre en insistant pour qu’il prenne le commandement des armées alors qu’il était accablé par la maladie depuis au moins 1866. En réalité, ces accusations sont facilement contestables puisque Napoléon III a toujours pris le commandement de ses armées dans la continuité de son oncle « animé si profondément par la mystique des Bonaparte[37] ».

II. Les réalités institutionnelles de la régence dans l’Empire libéral

Une marge de manœuvre limitée

La régence constitue un cadre spécifique et strictement défini permettant aux femmes d’exercer le pouvoir dans un pays où elles sont exclues de la ligne de succession depuis la redécouverte et la réinterprétation de la loi salique au XIVe siècle. Sous le Second Empire, la fonction de régente est déterminée par le sénatus-consulte du 17 juillet 1856 et permet à l’impératrice de remplacer l’empereur en son absence. Eugénie de Montijo se démarque des autres souveraines françaises en exerçant la fonction de régente à trois reprises : en 1859 lors de la campagne d’Italie, en 1865 lors de la seconde expédition en Algérie, puis du 26 juillet au 4 septembre 1870 dans le cadre du conflit franco-allemand. Cette dernière régence est organisée par les lettres patentes du 23 juillet 1870 puis par le décret du 26 juillet et ne diffère que peu des précédentes régences. Dans les faits, mis à part l’absence d’un suppléant à la régence en cas d’indisponibilité de l’impératrice et la fin de l’obligation de tenir le Conseil privé, le dispositif est identique aux autres régences. Néanmoins, le changement s’observe dans la nouvelle configuration du régime impérial qui a parachevé sa libéralisation avec le plébiscite du mois de mai 1870, devenant ce que nous pourrions appeler une monarchie parlementaire. Dès lors, dans le cadre de la régence, la marge de manœuvre d’Eugénie se retrouve largement amoindrie puisqu’elle ne possède désormais que les pouvoirs classiques d’un monarque parlementaire. De ce point de vue, Maxime Michelet écrit que la place de la souveraine est « insignifiante » en 1870[38]. En 1879, le duc d’Abrantès qualifiait cette nouvelle configuration institutionnelle de « vice organique de l’institution[39] » pour désigner un régime où l’impératrice ne pouvait prendre aucune décision sans consultation de l’ensemble de ses ministres, même de ceux qui ne lui sont pas particulièrement favorables. Ainsi, il fait remarquer que la politique intérieure du régime échappe autant à l’impératrice, muselée, qu’à l’empereur qui n’est plus présent physiquement pour assurer le bon fonctionnement de son gouvernement. D’ailleurs, un élément est révélateur de cette nouvelle disposition institutionnelle : lorsque l’empereur quitte Saint-Cloud le 28 juillet 1870 pour rejoindre ses armées, c’est bien Émile Ollivier et non l’impératrice qui le rassure quant à la bonne tenue des affaires politiques en son absence.

Existe-t-il un parti de l’impératrice ?

L’existence d’un « parti de l’impératrice » comme il existait à l’époque de Marie Antoinette un « parti de la reine » a souvent été débattue par les historiens. Dans sa célèbre synthèse sur le Second Empire publié en 1973, Alain Plessis écrivait déjà : « Pour beaucoup d’historiens, les mamelouks regroupés derrière l’Impératrice auraient trouvé dans une division extérieure l’occasion de rétablir, en obtenant un peu de gloire, l’Empire autoritaire[40] ». Dès lors, le régime impérial aurait eu une politique bicéphale avec, d’un côté, celle conduite par l’empereur, et de l’autre, une politique menée par l’impératrice dans la stricte lignée de l’empire autoritaire tel qu’il fut établi en 1852. Cette idée assez ancienne fut retrouvée pour la première fois dans les souvenirs d’Albert Verly qu’il fait remonter au début de la décennie 1860[41]. Plus de quarante ans plus tard, Augustin Filon, proche de l’impératrice et précepteur du Prince impérial rejette l’existence d’un tel parti. Il écrit :

« Qui avait inventé ce « parti de l’impératrice » ? À coup sûr, ce n’était pas l’impératrice. Ce n’étaient pas davantage ceux qui formaient ce parti, car ils n’existaient pas. Durant les trois années que j’ai passées à la Cour, je n’ai jamais p. découvrir la moindre trace de ce parti. […] S’il y a eu un parti de l’impératrice, elle n’en était pas : elle était du parti de l’empereur[42] »

Ainsi pour Augustin Filon, le parti de l’impératrice n’est qu’une chimère politique constituée par les ennemis de la dynastie impériale. Peut-être plus intéressant, l’expression de « parti de l’impératrice » proviendrait de Napoléon III lui-même. Pour en comprendre les raisons, il faut suivre scrupuleusement l’évolution du régime et la nouvelle perspective que l’empereur souhaite lui donner. Dans le contexte de sa libéralisation, Napoléon III voulait instituer au sein de son régime deux politiques différentes mais complémentaires, une politique plus libérale entamée à partir des années 1860 et une autre, dans le sillage de l’autoritarisme caractéristique du Second Empire, endossé par Rouher et ses « mamelouks »[43]. Récemment, l’historien russe Piotr Tcherkassov, dans une synthèse portant sur les relations internationales sous le Second Empire, a repris cette idée de double politique. Il écrit : « Napoléon se laisse dominer par son épouse non seulement dans le cadre des affaires familiales mais aussi en politique. Cela ne témoigne pas de sa faiblesse mais d’une certaine disposition à louvoyer entre deux tendances, ce qui est une caractéristique du régime bonapartiste[44] ». Ainsi, nous avons tenté de le montrer, il ne faut pas voir à travers l’attitude de l’impératrice Eugénie une quelconque tentative d’accaparer le pouvoir impérial afin de pousser le régime à une guerre qu’elle pensait gagnée d’avance. Par ailleurs, il est tout aussi erroné d’affirmer qu’elle fut la seule à prendre des dispositions favorables à l’entrée de la France dans le conflit.

III. Que reste-t-il de la responsabilité de l’impératrice dans le conflit ?

Persistances et nouvelles perspectives historiographiques

Nombreux sont les récits qui ont accablé le régime impérial pour la conduite de la guerre de 1870. Ces écrits n’épargnent pas non plus les nombreux dignitaires du Second Empire qui ont participé à son déclenchement. Depuis près de vingt ans, les historiens ont démontré que ce conflit est le résultat de causes et de responsabilités partagées[45]. Nicolas Bourguinat et Gilles Vogt dans leur ouvrage commun publié à l’occasion de la commémoration du cent-cinquantenaire du conflit parlent d’un « aveuglement collectif » pour désigner une mauvaise gestion des affaires où les agents diplomatiques ne sont que trop peu sollicités et demeurent de simples exécutants[46]. Les nombreux ouvrages publiés depuis vont en ce sens. On peut par exemple noter les ouvrages de Jean-François Lecaillon[47], d’Alain Gouttman[48] ou encore de Thierry Nélias[49] qui proposent une vision renouvelée de la guerre de 1870, analysant successivement les causes qui ont amené au conflit tout en s’intéressant à l’expérience vécue des soldats. Concernant l’impératrice Eugénie, elle n’est plus résumée à son espagnolité et à son rôle supposé dans la guerre de 1870. Bien que les ouvrages parus à l’occasion du centenaire de sa disparition soient plus sporadiques que ceux concernant le conflit, aucun ne revêt désormais un caractère virulent à son encontre et la guerre de 1870 ne constitue plus l’unique point d’entrée quant à la vie politique de la dernière souveraine française. De ce point de vue, nous avons abondamment mentionné la biographie la plus récente de l’impératrice écrite par Maxime Michelet qui n’effectue une « relecture très fine[50] » de la guerre de 1870 que pour se concentrer sur d’autres aspects de son apprentissage politique. Mieux encore, les études parues ces deux dernières années sur l’impératrice tendent à s’ouvrir sur différents champs qui étaient jusque-là inexploités. Par exemple, le colloque organisé par la Société historique du Second Empire au Lycée Henri IV de Paris le 23 octobre 2021 a brillé par la diversité des thèmes abordés. En effet, sur douze conférences, trois d’entre elles ont concerné le domaine des arts et quatre ont fait l’objet d’une analyse politique de la vie de l’impératrice, aucune ne revenant sur son influence néfaste vis-à-vis de l’empereur. Notre propre étude réalisée à partir de 2020 et dont le présent travail est le fruit souhaitait être une modeste contribution à la réévaluation historiographique qui s’opère depuis quelques années autour de l’impératrice Eugénie et plus largement du régime impérial.

[1] SMITH William, Eugénie, impératrice des Français, Bartillat, 1998, p. 107.

[2] MICHELET Maxime, L’Impératrice Eugénie : une vie politique, Cerf, Paris, 2020, p. 22.

[3] Ibid., p. 32.

[4] CHILOT Étienne, Dans l’ombre d’Eugénie : la dernière impératrice en exil, Éditions Le Charmoiset, Paris, 2019, p. 88.

[5] MILZA Pierre, Napoléon III, Paris, Perrin, 2004, p. 576.

[6] MICHELET Maxime, L’Impératrice Eugénie : une vie politique, Op. Cit., p. 22.

[7] Nous retrouvons par exemple dans l’œuvre de Pierre de Lano, premier biographe de l’impératrice, un portrait très peu flatteur de l’influence politique qu’elle exerce, tout d’abord de manière effacée dès la campagne d’Italie de 1859. Il l’accuse également d’avoir dirigé la politique impériale concernant la question romaine, d’avoir été impliquée dans l’hasardeuse expédition mexicaine et surtout, pour le sujet qui nous intéresse ici, d’avoir joué un rôle dans la guerre de 1870, en combattant la libéralisation du régime au profit de la politique menée par les bonapartistes autoritaires. Voir : De LANO Pierre, L’impératrice Eugénie, Paris, Havard, 1891, chap. IV.
[8] Ce fut l’objet de notre première recherche et l’essentiel des informations sont tirées de : TOUSSAINT Pierre, « La guerre de l’impératrice » Eugénie de Montijo vue par la presse lorraine au lendemain du conflit franco-allemand (1871-1879), Mémoire de M2 sous la direction d’EL GAMMAL Jean, Université de Lorraine, 2022.
[9] LACOUR-GAYET Georges, L’impératrice Eugénie, Albert Morancé, Paris, 1925.

[10] Sur ce sujet, voir par exemple : PAIRAULT François, Le Bonapartisme sous la Troisième République (1870-1893), Paris, Les Indes savantes, collection « La boutique de l’histoire », 2019.
[11] DAUDET Lucien, Dans l’ombre de l’Impératrice, Gallimard, « Collection Blanche », 1935, p. 7.

[12] Ibid., p. 7-8.

[13] Ibid.

[14] L’expression est utilisée par Jean des Cars dans sa communication prononcée en séance publique devant l’Académie des sciences morales et politiques le lundi 7 mars 2006 intitulée : « Les historiens et la légende noire du Second Empire ». Il complète la formule en déclarant notamment : « Ce serait elle et personne d’autre qui aurait entraîné la ruine de la France ».

[15] Du BARAIL François Charles, Mes Souvenirs, 1897-1898, 3 vol.
[16] De PERSIGNY Victor, Mémoires, Plon, Paris, 1896.
[17] WELSCHINGER Henri, La Guerre de 1870 : causes et responsabilités, Plon, Paris, 1910, 2 vol.
[18] VERLY Albert, Souvenirs du Second Empire. De Notre Dame au Zululand, Ollendorf, Paris 1896.
[19] DES CARS Jean, « Les historiens et la légende noire du Second Empire », communication du 7 mars à l’Académie des sciences morales et politiques, 2006, Op. Cit.

[20] Cette expression est utilisée par William Smith dans la notice qu’il consacre à Eugénie dans TULARD Jean, Dictionnaire du Second Empire, Fayard, Paris, 1995, p. 506-509.

[21] GRAVIER Marie Thérèse, J’ai vécu l’agonie du Second Empire, Fayard, Paris, 1970, p. 141-142.
[22] De LANO Pierre, Op. Cit., p. 91-146.

[23] WELSCHINGER Henri, La guerre de 1870 : causes et responsabilités, Plon, Paris, 1910, 2 vol., p. 32-33.

[24] Ibid., p. 147.

[25] Du BARAIL François Charles, Mes Souvenirs, 1894-1896, 3 vol., p. 145.

[26] Ibid, p. 146.

[27] WELSCHINGER Henri, La guerre de 1870 : causes et responsabilités, Op. Cit., p. 52.

[28] MICHELET Maxime, L’Impératrice Eugénie : une vie politique, Op. Cit., p. 262.

[29] Du BARAIL François Charles, Mes Souvenirs, Op. Cit., p. 146. Il écrit : « C’est probablement pour lui obéir et lui complaire que le ministre de l’Intérieur, M. Chevandier de Valdrome, à la nouvelle de la candidature allemande, demandait à Émile de Girardin, qui l’a raconté, un article soufflant la guerre ».
[30] BOURGUINAT Nicolas, VOGT Gilles, La guerre franco-allemande de 1870 : une histoire globale, Flammarion, Paris, 2020, p. 49.
[31] De nombreux articles de journaux emploient l’expression de « camarilla » pour caractériser l’action de l’impératrice Eugénie. Un terme peu anodin qui désigne en Espagne l’influence occulte et néfaste que peut recevoir un souverain de la part de son entourage. Par exemple, voir : Courrier de la Moselle, éditions des 13 et 15 décembre 1872, article signé Quirin et intitulé « Des causes véritables de nos désastres militaires ».
[32] GIRARD Louis, Napoléon III, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1986.
[33] BOURGUINAT Nicolas, VOGT Gilles, La guerre franco-allemande de 1870 : une histoire globale, Op. Cit., p. 49-50.
[34] MICHELET Maxime, L’impératrice Eugénie : une vie politique, Op. Cit., p. 267.

[35] Du BARAIL François Charles, Mes Souvenirs, vol. 3, Op. Cit., p. 145.

[36] OLLIVIER Émile, L’Empire libéral. Etudes, récits, souvenirs, 1909, vol. 14, p. 342. Nous pouvons notamment y lire : « Vous êtes incompréhensible, vous êtes le ministre du plébiscite, vous pouvez être celui de la victoire et vous ne le voulez pas ».

[37] MICHELET Maxime, L’Impératrice Eugénie : une vie politique, Op. Cit., p. 270. Il faut nuancer cette information, Napoléon III n’a pas toujours eu une culture militaire, comme le remarquait un grand nombre de généraux ; voir par exemple : De CASTELANNE Esprit, Victor, Elisabeth, Journal du maréchal Castellane, Paris, Plon, vol. 5, p. 68-70.

[38] Ibid., p. 262.

[39] LE RAY D’ABRANTÈS Maurice, Essai sur la Régence de 1870, Guérard, Paris, 1879, p. 95.

[40] PLESSIS Alain, De la fête impériale au mur des fédérés, 1852-1871, Éditions du Seuil, Paris, 1973, p. 222-223.

[41] VERLY Albert, Souvenirs du Second Empire. De Notre Dame au Zululand, Ollendorf, Paris 1896, p. 68.

[42] FILON Augustin, Souvenirs sur l’Impératrice Eugénie, Calman-Lévy, Paris, 1920 p. 27, cité par DARGENT Raphaël, L’impératrice Eugénie ; l’obsession de l’honneur, Belin, Paris, 2017, p. 434.

[43] DARGENT Raphaël, L’impératrice Eugénie ; l’obsession de l’honneur, Op. Cit., p. 413-441.

[44] TCHERKASSOV Piotr, Napoléon III et Alexandre II : une alliance contrariée, Michel de Maule, Paris, collection « Histoire », 2021, p. 20.

[45] Voir notamment : ROTH François, La guerre de 1870, Pluriel, Paris, 2011.

[46] BOURGUINAT Nicolas, VOGT Gilles, La guerre franco-allemande de 1870, Op. Cit., p. 45.

[47] LECAILLON Jean François, Les Français et la guerre de 1870, L’artilleur, Paris, 2020.
[48] GOUTTMAN Alain, La grande défaite 1870-1871, Tempus Perrin, Paris, 2020.
[49] NÉLIAS Thierry, L’humiliante Défaite : 1870, la France à l’épreuve de la guerre, La Librairie Vuibert, Paris, 2020.

[50] Nous devons cette expression à Eric Anceau qui dresse le constat que la guerre de 1870 n’occupe pas une grande partie du livre, soit une vingtaine de pages dans le quatrième chapitre de l’ouvrage.

« Ma légende est faite, au début du règne, je fus la femme frivole, ne s’occupant que de chiffons ; et vers la fin de l’Empire, je suis devenue la femme fatale qu’on rend responsable de toutes les fautes et de tous les malheurs ! Et la légende l’emporte toujours sur l’histoire[1] ». Eugénie de Montijo, dernière souveraine des Français, fit preuve d’une grande clairvoyance vis-à-vis de sa propre existence et du traitement que l’historiographie française lui a réservé pendant de nombreuses décennies, et ce dès son vivant. De son apparition dans les affaires publiques françaises lors de son mariage avec Napoléon III en 1853 et jusqu’à la commémoration du centenaire de sa disparition en 2020, elle endosse plusieurs rôles successifs qu’il s’agira d’analyser en profondeur. Elle est d’abord l’étrangère, cette « Espagnole » qui, issue d’une dynastie secondaire en Europe, n’apporta aucun prestige à la France au moment de son mariage avec un Napoléon de la famille Bonaparte, neveu du Ier et récemment devenu empereur. Elle est ensuite une femme dont le rôle premier est d’être une épouse, une mère pour, de fait, assurer la continuité de la dynastie impériale. Celui-ci est à l’origine de nombreux pamphlets qui l’ont fustigée, une démarche récemment qualifiée de « psychologisante » par l’historien Maxime Michelet[2] qui montre ce qui n’avait été jusque-là que peu dénoncé, à savoir la misogynie vis-à-vis d’une impératrice qualifiée de « souveraine superstitieuse parce qu’Espagnole et inconstante parce que femme[3] ». Enfin, après la guerre de 1870, elle devint l’exilée qui connut l’aventure anglaise aux côtés de son mari avant le décès de ce dernier en janvier 1873, suivi de celui de leur fils, le Prince impérial, en juin 1879. Après cette tragique disparition, toute possibilité de résurgence du pouvoir impérial semble compromise dans un contexte où la République s’enracine durablement. Dès lors, la figure de l’exilée se mue en celle de la survivante[4] puisque Eugénie vécut encore plus d’une quarantaine d’années, en multipliant les pérégrinations sur des lieux qui rappellent la gloire d’un empire déchu, d’une époque désormais révolue.

L’intervention d’Eugénie de Montijo dans les affaires publiques serait liée à la résignation de Napoléon III, contraint de l’initier au « jeu politique » pour compenser ses infidélités[5]. L’impératrice se serait « réfugiée ou dans la bigoterie ou dans l’interventionnisme politique par frustration matrimoniale[6] » selon son biographe Maxime Michelet. Pourtant, rares sont les femmes françaises de cette période qui furent associées au pouvoir et qui furent autant préparées à assurer la continuité dynastique. L’intérêt d’Eugénie pour la politique extérieure et les trois régences qu’elle exerce successivement en 1859, 1865 et 1870 sont des expériences politiques qui méritent d’être étudiées objectivement et leur succès global n’est que le résultat d’une longue préparation au pouvoir. Ce bilan pourtant positif fut largement noirci par plus d’un siècle d’opprobre véhiculé par une historiographie très largement négative à son encontre[7]. Elle est d’ailleurs très immédiate puisque les premiers récits apparaissent au lendemain de la guerre de 1870. Dès lors, les pamphlets s’accumulent et la responsabilité du conflit lui est entièrement imputée. Cette guerre de 1870, pourtant décidée par l’empereur en concertation avec ses ministres semble tout à coup devenir la « guerre de l’impératrice », si l’on s’en tient à certains récits de républicains mais aussi d’anciens dignitaires de l’Empire. Ainsi, il est nécessaire au lendemain du centenaire de la disparition d’Eugénie d’effectuer un nouvel état des lieux autour de cette question de la « guerre de l’impératrice » afin de préciser son rôle dans le conflit[8]. L’impératrice a-t-elle influencé les décisions qui ont abouti à la guerre en juillet 1870 ? Quels ont été les moyens politiques de l’impératrice, réels ou supposés, lui donnant un rôle dans ces mois décisifs pour le régime impérial, ce que l’historien Georges Lacour-Gayet a appelé le « grand moment[9] » de sa vie ? Nous montrerons tout d’abord que l’impératrice Eugénie fut un bouc émissaire idéal pour de nombreux dignitaires et observateurs de la chute du régime impérial. Pourtant, nous verrons qu’elle n’a bénéficié, dans les faits, que de peu de moyens politiques et que les réalités institutionnelles de la régence sous l’Empire libéral ne lui ont conféré qu’une faible marge de manœuvre.

« La guerre de l’impératrice »

L’origine de la légende noire qui entoure l’impératrice Eugénie est relativement connue des historiens. En effet, elle tient en une formule qu’aurait prononcée la dernière souveraine : « Cette guerre, c’est moi qui l’ai voulue, c’est ma guerre ». Dès 1935, Lucien Daudet, fils cadet du romancier Alphonse Daudet et ami proche d’Eugénie, revient sur cette petite histoire qui semble être une méprise. En 1874, le journal La Volonté nationale, organe officiel du parti bonapartiste sous la Troisième République[10], diffuse la formule qui aurait été entendue par George Le Sourd, secrétaire d’ambassade chargé d’affaires à Berlin le 23 juillet 1870, soit quatre jours après la déclaration de guerre à la Prusse[11]. Presque immédiatement, l’information est démentie par l’intéressé qui écrit une lettre à Vincent Benedetti, le diplomate ayant négocié la paix à Ems quelques années plus tôt. Lucien Daudet publie le contenu de cette lettre dans son ouvrage en 1935 où nous pouvons lire :

“Cher monsieur Benedetti,
Rentré hier soir à Paris après une courte absence, je lis dans
Le Français du 5 avril un article extrait de La Volonté Nationale et rapportant l’entretien que j’ai eu à Saint-Cloud avec l’Impératrice, à mon retour de Berlin, le samedi 23 juillet 1870. Ce récit est absolument inexact. L’Impératrice n’a pas tenu en ma présence le langage ni le propos final qu’on lui prête[12]»

Néanmoins, l’anathème est jeté sur l’impératrice et l’opprobre ne décline pas avant un siècle. Le contenu seul de cette lettre aurait pourtant suffi à la disculper, mais le document aujourd’hui situé dans les archives du duc d’Albe en territoire espagnol n’avait jamais été publié parce que préjudiciable pour le diplomate. Cela n’aurait pas échappé à Adolphe Thiers, président de la République qui aurait immédiatement pris des sanctions à son l’encontre[13]. En connaissance de cause, Eugénie fit le choix de garder ce document pour elle, certainement pour ne pas raviver une flamme qui venait de s’éteindre.

Dès lors, elle devient une cible privilégiée dans la jeune république naissante, parce qu’elle aurait joué un rôle décisif dans le conflit. Plus encore, elle aurait été « l’instigatrice du conflit[14] » et cela justifie les nombreux témoignages à charge contre elle. Les uns, écrits par l’opposition républicaine et orléaniste, montrent la femme frivole et l’irresponsabilité politique dont elle a fait preuve. Les autres, provenant des bonapartistes et des dignitaires de l’Empire, essaient de sauver ou de dédouaner la figure de l’empereur en lançant l’opprobre sur son épouse. Parmi eux, nous pouvons en citer quelques-uns : le général François Charles du Barail[15], le duc Victor de Persigny[16], Henri Welschinger[17] ou encore le baron Verly[18]. Ces témoignages parfois d’intimes de l’impératrice critiquent la constitution de ce que nous pourrions appeler un « parti de l’impératrice » comme il aurait existé à l’époque de Marie Antoinette un « parti de la reine[19] ». Selon ces auteurs, ce parti de l’impératrice, belliciste par essence, aurait réclamé la guerre pour consolider le trône et bien le préparer pour son fils tandis que l’empereur était acculé au conflit. De ce point de vue, on lui reproche d’avoir davantage agi comme une mère que comme une épouse, tout en l’accusant, paradoxalement, d’avoir causé la mort de son propre fils en lui léguant les étriers archaïques du cheval de son père, lorsque le jeune prince décida de partir en Afrique engagé dans les armées de la reine Victoria.

I. « En blâmant Eugénie tout le monde se retrouva[20] » : la légende noire de l’impératrice et la guerre de 1870

L’ingérence de l’impératrice dans la politique impériale

Les accusations portées à l’encontre de l’impératrice Eugénie sont nombreuses et il ne s’agit pas de toutes les détailler. Néanmoins, nous pouvons nous arrêter sur quelques lieux communs de l’historiographie de l’impératrice. Parmi eux, l’influence politique de l’impératrice Eugénie constitue certainement le cœur de sa légende noire. En effet, Victor de Persigny, grand adversaire de l’impératrice qui avait dès 1853 contesté son mariage avec Napoléon III, réussit en 1869 à obtenir de l’empereur la mise à l’écart d’Eugénie du Conseil des ministres auquel elle assistait régulièrement[21], en tout cas au moins depuis 1859 si l’on en croit les écrits de Pierre De Lano[22]. Dans les faits, l’historien Henri Welschinger montrait au début du XXe siècle que Persigny avait une propension à imputer à l’impératrice tous les maux de l’Empire : les difficultés avec le Pape, la crise en Pologne entre 1862 et 1864 ou encore l’hasardeuse expédition du Mexique entre 1861 et 1867[23]. Cette influence est surtout dénoncée dans le cadre de la guerre de 1870, l’historien lui-même écrivant qu’elle aurait eu « une influence prépondérante sur la déclaration de la guerre[24] » bien qu’il précise que l’impératrice s’est toujours défendue d’avoir causé ce conflit. Selon lui, elle pensait peut-être que l’armée française était largement supérieure à celle de la Prusse ou qu’il s’agissait d’un moyen de contenir l’hégémonie continentale qu’avait acquise la Prusse au lendemain de son écrasante victoire contre l’Autriche à Sadowa en 1866. Le général François du Barail, pourtant grand partisan du régime impérial, écrit dans ses souvenirs publiés entre 1894 et 1896 que l’impératrice exerçait un « pouvoir sans limites sur l’esprit de l’empereur[25] ». Il écrit plus loin que « le pouvoir de l’impératrice sur l’Empereur fut même assez fort pour obtenir le changement des dispositions primitives résolues en cas de guerre[26] ». Pourtant, la guerre est moins le jeu de l’impératrice que celui des ministres et notamment celui du duc de Gramont, ministre des Affaires étrangères. Il formulait au Corps législatif dès le 6 juillet 1870 ce qui ressemblait davantage à un ultimatum qu’à une déclaration : « S’il en était autrement, forts de votre appui et celui de la nation, nous saurions remplir notre devoir sans hésitation et sans faiblesse[27] ». Dès lors, contrairement à ce qu’écrivent les contemporains de l’impératrice, elle n'aurait pas été la seule à absolument vouloir la guerre, si tant est qu’elle l’ait vraiment voulue. Toujours en suivant les mémoires du général du Barail, le pouvoir de l’impératrice ne se limitait pas seulement à la personne de l’empereur mais s’étendait également sur le Conseil des ministres. S’il est vrai que l’impératrice assiste régulièrement au Conseil des ministres en 1866-1867, elle ne s’y rend que rarement à partir de 1868[28]. Aussi, toujours selon le général du Barail, elle aurait exercé une influence sur Eugène Chevandier de Valdrome, ministre de l’Intérieur au sein du gouvernement d’Emile Ollivier, alors que celui-ci était opposé au conflit dès le départ. La justification de cette influence est peu convaincante puisqu’elle repose sur une supposée sympathie du ministre pour l’impératrice[29]. Si nous ne pouvons nier une totale absence d’influence de l’impératrice Eugénie dans le conflit de 1870, force est de constater que celle-ci fut largement hypertrophiée, comme l’a rappelé Nicolas Bourguinat dans sa synthèse récente sur le conflit[30]. Si son rôle peut intervenir en dehors des règles du fonctionnement impérial, elle n’est aucunement l’éminence grise du régime[31]. En effet, affirmer qu’elle ait pris l’ascendant sur Napoléon III revient à faire un contresens historique sur la nature même du régime impérial, les décisions relevant uniquement de l’empereur. Par ailleurs, l’historien s’appuie sur les travaux de Louis Girard qui montrait dès les années 1980[32] qu’en soutenant la décision du duc de Gramont quant à la demande des garanties sur la renonciation de la candidature allemande sur le trône madrilène, l’empereur mettait « le doigt dans un engrenage qu’il sait pertinemment dangereux[33] ». Ainsi, dans la biographie la plus récente de l’impératrice Eugénie, Maxime Michelet insiste sur son rôle qu’il qualifie de « lointaine coresponsabilité non déterminante[34] ».

Réaffirmer la légitimité impériale et préparer le trône au Prince

Une seconde critique faite à l’impératrice réside dans les raisons qui l’auraient poussée à réclamer la guerre. Si nous reprenons les écrits du général du Barail, nous pouvons y lire que l’impératrice voyait une victoire française comme un moyen de raffermir le prestige impérial qui s’était altéré lors des dernières campagnes de Napoléon III. Il écrit notamment :

« Elle voulait que Napoléon IV, son fils, fût aussi fort et aussi inébranlable que l’avait été Napoléon III, son époux. Elle croyait qu’il ne serait solidement assis sur le trône paternel que lorsque ce trône aurait pour étai la constitution de 1852 qui avait fait ses preuves. Or, pour ressaisir le pouvoir, tombé dans des mains défaillantes de l’Empereur, et pour le restaurer par des institutions vigoureuses, il faut que le règne de Napoléon IV fût inauguré par une ère de succès militaires[35] »

L’idée qu’une victoire militaire permettrait de parachever le plébiscite du mois de mai 1870 est récurrente dans de nombreux discours. Émile Ollivier prend soin de retranscrire dans ses mémoires les différentes sollicitations provenant des partisans de la guerre[36]. L’impératrice est invectivée pour avoir agit davantage comme une mère que comme une épouse. Trop occupée à affermir le trône de son fils, elle aurait envoyé son mari à la guerre en insistant pour qu’il prenne le commandement des armées alors qu’il était accablé par la maladie depuis au moins 1866. En réalité, ces accusations sont facilement contestables puisque Napoléon III a toujours pris le commandement de ses armées dans la continuité de son oncle « animé si profondément par la mystique des Bonaparte[37] ».

II. Les réalités institutionnelles de la régence dans l’Empire libéral

Une marge de manœuvre limitée

La régence constitue un cadre spécifique et strictement défini permettant aux femmes d’exercer le pouvoir dans un pays où elles sont exclues de la ligne de succession depuis la redécouverte et la réinterprétation de la loi salique au XIVe siècle. Sous le Second Empire, la fonction de régente est déterminée par le sénatus-consulte du 17 juillet 1856 et permet à l’impératrice de remplacer l’empereur en son absence. Eugénie de Montijo se démarque des autres souveraines françaises en exerçant la fonction de régente à trois reprises : en 1859 lors de la campagne d’Italie, en 1865 lors de la seconde expédition en Algérie, puis du 26 juillet au 4 septembre 1870 dans le cadre du conflit franco-allemand. Cette dernière régence est organisée par les lettres patentes du 23 juillet 1870 puis par le décret du 26 juillet et ne diffère que peu des précédentes régences. Dans les faits, mis à part l’absence d’un suppléant à la régence en cas d’indisponibilité de l’impératrice et la fin de l’obligation de tenir le Conseil privé, le dispositif est identique aux autres régences. Néanmoins, le changement s’observe dans la nouvelle configuration du régime impérial qui a parachevé sa libéralisation avec le plébiscite du mois de mai 1870, devenant ce que nous pourrions appeler une monarchie parlementaire. Dès lors, dans le cadre de la régence, la marge de manœuvre d’Eugénie se retrouve largement amoindrie puisqu’elle ne possède désormais que les pouvoirs classiques d’un monarque parlementaire. De ce point de vue, Maxime Michelet écrit que la place de la souveraine est « insignifiante » en 1870[38]. En 1879, le duc d’Abrantès qualifiait cette nouvelle configuration institutionnelle de « vice organique de l’institution[39] » pour désigner un régime où l’impératrice ne pouvait prendre aucune décision sans consultation de l’ensemble de ses ministres, même de ceux qui ne lui sont pas particulièrement favorables. Ainsi, il fait remarquer que la politique intérieure du régime échappe autant à l’impératrice, muselée, qu’à l’empereur qui n’est plus présent physiquement pour assurer le bon fonctionnement de son gouvernement. D’ailleurs, un élément est révélateur de cette nouvelle disposition institutionnelle : lorsque l’empereur quitte Saint-Cloud le 28 juillet 1870 pour rejoindre ses armées, c’est bien Émile Ollivier et non l’impératrice qui le rassure quant à la bonne tenue des affaires politiques en son absence.

Existe-t-il un parti de l’impératrice ?

L’existence d’un « parti de l’impératrice » comme il existait à l’époque de Marie Antoinette un « parti de la reine » a souvent été débattue par les historiens. Dans sa célèbre synthèse sur le Second Empire publié en 1973, Alain Plessis écrivait déjà : « Pour beaucoup d’historiens, les mamelouks regroupés derrière l’Impératrice auraient trouvé dans une division extérieure l’occasion de rétablir, en obtenant un peu de gloire, l’Empire autoritaire[40] ». Dès lors, le régime impérial aurait eu une politique bicéphale avec, d’un côté, celle conduite par l’empereur, et de l’autre, une politique menée par l’impératrice dans la stricte lignée de l’empire autoritaire tel qu’il fut établi en 1852. Cette idée assez ancienne fut retrouvée pour la première fois dans les souvenirs d’Albert Verly qu’il fait remonter au début de la décennie 1860[41]. Plus de quarante ans plus tard, Augustin Filon, proche de l’impératrice et précepteur du Prince impérial rejette l’existence d’un tel parti. Il écrit :

« Qui avait inventé ce « parti de l’impératrice » ? À coup sûr, ce n’était pas l’impératrice. Ce n’étaient pas davantage ceux qui formaient ce parti, car ils n’existaient pas. Durant les trois années que j’ai passées à la Cour, je n’ai jamais p. découvrir la moindre trace de ce parti. […] S’il y a eu un parti de l’impératrice, elle n’en était pas : elle était du parti de l’empereur[42] »

Ainsi pour Augustin Filon, le parti de l’impératrice n’est qu’une chimère politique constituée par les ennemis de la dynastie impériale. Peut-être plus intéressant, l’expression de « parti de l’impératrice » proviendrait de Napoléon III lui-même. Pour en comprendre les raisons, il faut suivre scrupuleusement l’évolution du régime et la nouvelle perspective que l’empereur souhaite lui donner. Dans le contexte de sa libéralisation, Napoléon III voulait instituer au sein de son régime deux politiques différentes mais complémentaires, une politique plus libérale entamée à partir des années 1860 et une autre, dans le sillage de l’autoritarisme caractéristique du Second Empire, endossé par Rouher et ses « mamelouks »[43]. Récemment, l’historien russe Piotr Tcherkassov, dans une synthèse portant sur les relations internationales sous le Second Empire, a repris cette idée de double politique. Il écrit : « Napoléon se laisse dominer par son épouse non seulement dans le cadre des affaires familiales mais aussi en politique. Cela ne témoigne pas de sa faiblesse mais d’une certaine disposition à louvoyer entre deux tendances, ce qui est une caractéristique du régime bonapartiste[44] ». Ainsi, nous avons tenté de le montrer, il ne faut pas voir à travers l’attitude de l’impératrice Eugénie une quelconque tentative d’accaparer le pouvoir impérial afin de pousser le régime à une guerre qu’elle pensait gagnée d’avance. Par ailleurs, il est tout aussi erroné d’affirmer qu’elle fut la seule à prendre des dispositions favorables à l’entrée de la France dans le conflit.

III. Que reste-t-il de la responsabilité de l’impératrice dans le conflit ?

Persistances et nouvelles perspectives historiographiques

Nombreux sont les récits qui ont accablé le régime impérial pour la conduite de la guerre de 1870. Ces écrits n’épargnent pas non plus les nombreux dignitaires du Second Empire qui ont participé à son déclenchement. Depuis près de vingt ans, les historiens ont démontré que ce conflit est le résultat de causes et de responsabilités partagées[45]. Nicolas Bourguinat et Gilles Vogt dans leur ouvrage commun publié à l’occasion de la commémoration du cent-cinquantenaire du conflit parlent d’un « aveuglement collectif » pour désigner une mauvaise gestion des affaires où les agents diplomatiques ne sont que trop peu sollicités et demeurent de simples exécutants[46]. Les nombreux ouvrages publiés depuis vont en ce sens. On peut par exemple noter les ouvrages de Jean-François Lecaillon[47], d’Alain Gouttman[48] ou encore de Thierry Nélias[49] qui proposent une vision renouvelée de la guerre de 1870, analysant successivement les causes qui ont amené au conflit tout en s’intéressant à l’expérience vécue des soldats. Concernant l’impératrice Eugénie, elle n’est plus résumée à son espagnolité et à son rôle supposé dans la guerre de 1870. Bien que les ouvrages parus à l’occasion du centenaire de sa disparition soient plus sporadiques que ceux concernant le conflit, aucun ne revêt désormais un caractère virulent à son encontre et la guerre de 1870 ne constitue plus l’unique point d’entrée quant à la vie politique de la dernière souveraine française. De ce point de vue, nous avons abondamment mentionné la biographie la plus récente de l’impératrice écrite par Maxime Michelet qui n’effectue une « relecture très fine[50] » de la guerre de 1870 que pour se concentrer sur d’autres aspects de son apprentissage politique. Mieux encore, les études parues ces deux dernières années sur l’impératrice tendent à s’ouvrir sur différents champs qui étaient jusque-là inexploités. Par exemple, le colloque organisé par la Société historique du Second Empire au Lycée Henri IV de Paris le 23 octobre 2021 a brillé par la diversité des thèmes abordés. En effet, sur douze conférences, trois d’entre elles ont concerné le domaine des arts et quatre ont fait l’objet d’une analyse politique de la vie de l’impératrice, aucune ne revenant sur son influence néfaste vis-à-vis de l’empereur. Notre propre étude réalisée à partir de 2020 et dont le présent travail est le fruit souhaitait être une modeste contribution à la réévaluation historiographique qui s’opère depuis quelques années autour de l’impératrice Eugénie et plus largement du régime impérial.

[1] SMITH William, Eugénie, impératrice des Français, Bartillat, 1998, p. 107.

[2] MICHELET Maxime, L’Impératrice Eugénie : une vie politique, Cerf, Paris, 2020, p. 22.

[3] Ibid., p. 32.

[4] CHILOT Étienne, Dans l’ombre d’Eugénie : la dernière impératrice en exil, Éditions Le Charmoiset, Paris, 2019, p. 88.

[5] MILZA Pierre, Napoléon III, Paris, Perrin, 2004, p. 576.

[6] MICHELET Maxime, L’Impératrice Eugénie : une vie politique, Op. Cit., p. 22.

[7] Nous retrouvons par exemple dans l’œuvre de Pierre de Lano, premier biographe de l’impératrice, un portrait très peu flatteur de l’influence politique qu’elle exerce, tout d’abord de manière effacée dès la campagne d’Italie de 1859. Il l’accuse également d’avoir dirigé la politique impériale concernant la question romaine, d’avoir été impliquée dans l’hasardeuse expédition mexicaine et surtout, pour le sujet qui nous intéresse ici, d’avoir joué un rôle dans la guerre de 1870, en combattant la libéralisation du régime au profit de la politique menée par les bonapartistes autoritaires. Voir : De LANO Pierre, L’impératrice Eugénie, Paris, Havard, 1891, chap. IV.

[8] Ce fut l’objet de notre première recherche et l’essentiel des informations sont tirées de : TOUSSAINT Pierre, « La guerre de l’impératrice » Eugénie de Montijo vue par la presse lorraine au lendemain du conflit franco-allemand (1871-1879), Mémoire de M2 sous la direction d’EL GAMMAL Jean, Université de Lorraine, 2022.

[9] LACOUR-GAYET Georges, L’impératrice Eugénie, Albert Morancé, Paris, 1925.

[10] Sur ce sujet, voir par exemple : PAIRAULT François, Le Bonapartisme sous la Troisième République (1870-1893), Paris, Les Indes savantes, collection « La boutique de l’histoire », 2019.

[11] DAUDET Lucien, Dans l’ombre de l’Impératrice, Gallimard, « Collection Blanche », 1935, p. 7.

[12] Ibid., p. 7-8.

[13] Ibid.

[14] L’expression est utilisée par Jean des Cars dans sa communication prononcée en séance publique devant l’Académie des sciences morales et politiques le lundi 7 mars 2006 intitulée : « Les historiens et la légende noire du Second Empire ». Il complète la formule en déclarant notamment : « Ce serait elle et personne d’autre qui aurait entraîné la ruine de la France ».

[15] Du BARAIL François Charles, Mes Souvenirs, 1897-1898, 3 vol.

[16] De PERSIGNY Victor, Mémoires, Plon, Paris, 1896.

[17] WELSCHINGER Henri, La Guerre de 1870 : causes et responsabilités, Plon, Paris, 1910, 2 vol.

[18] VERLY Albert, Souvenirs du Second Empire. De Notre Dame au Zululand, Ollendorf, Paris 1896.

[19] DES CARS Jean, « Les historiens et la légende noire du Second Empire », communication du 7 mars à l’Académie des sciences morales et politiques, 2006, Op. Cit.

[20] Cette expression est utilisée par William Smith dans la notice qu’il consacre à Eugénie dans TULARD Jean, Dictionnaire du Second Empire, Fayard, Paris, 1995, p. 506-509.

[21] GRAVIER Marie Thérèse, J’ai vécu l’agonie du Second Empire, Fayard, Paris, 1970, p. 141-142.

[22] De LANO Pierre, Op. Cit., p. 91-146.

[23] WELSCHINGER Henri, La guerre de 1870 : causes et responsabilités, Plon, Paris, 1910, 2 vol., p. 32-33.

[24] Ibid., p. 147.

[25] Du BARAIL François Charles, Mes Souvenirs, 1894-1896, 3 vol., p. 145.

[26]  Ibid, p. 146.

[27] WELSCHINGER Henri, La guerre de 1870 : causes et responsabilités, Op. Cit., p. 52.

[28] MICHELET Maxime, L’Impératrice Eugénie : une vie politique, Op. Cit., p. 262.

[29] Du BARAIL François Charles, Mes Souvenirs, Op. Cit., p. 146. Il écrit : « C’est probablement pour lui obéir et lui complaire que le ministre de l’Intérieur, M. Chevandier de Valdrome, à la nouvelle de la candidature allemande, demandait à Émile de Girardin, qui l’a raconté, un article soufflant la guerre ».

[30] BOURGUINAT Nicolas, VOGT Gilles, La guerre franco-allemande de 1870 : une histoire globale, Flammarion, Paris, 2020, p. 49.

[31] De nombreux articles de journaux emploient l’expression de « camarilla » pour caractériser l’action de l’impératrice Eugénie. Un terme peu anodin qui désigne en Espagne l’influence occulte et néfaste que peut recevoir un souverain de la part de son entourage. Par exemple, voir : Courrier de la Moselle, éditions des 13 et 15 décembre 1872, article signé Quirin et intitulé « Des causes véritables de nos désastres militaires ».

[32] GIRARD Louis, Napoléon III, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1986.

[33] BOURGUINAT Nicolas, VOGT Gilles, La guerre franco-allemande de 1870 : une histoire globale, Op. Cit., p. 49-50.

[34] MICHELET Maxime, L’impératrice Eugénie : une vie politique, Op. Cit., p. 267.

[35] Du BARAIL François Charles, Mes Souvenirs, vol. 3, Op. Cit., p. 145.

[36] OLLIVIER Émile, L’Empire libéral. Etudes, récits, souvenirs, 1909, vol. 14, p. 342. Nous pouvons notamment y lire : « Vous êtes incompréhensible, vous êtes le ministre du plébiscite, vous pouvez être celui de la victoire et vous ne le voulez pas ».

[37] MICHELET Maxime, L’Impératrice Eugénie : une vie politique, Op. Cit., p. 270. Il faut nuancer cette information, Napoléon III n’a pas toujours eu une culture militaire, comme le remarquait un grand nombre de généraux ; voir par exemple : De CASTELANNE Esprit, Victor, Elisabeth, Journal du maréchal Castellane, Paris, Plon, vol. 5, p. 68-70.

[38] Ibid., p. 262.

[39] LE RAY D’ABRANTÈS Maurice, Essai sur la Régence de 1870, Guérard, Paris, 1879, p. 95.

[40] PLESSIS Alain, De la fête impériale au mur des fédérés, 1852-1871, Éditions du Seuil, Paris, 1973, p. 222-223.

[41] VERLY Albert, Souvenirs du Second Empire. De Notre Dame au Zululand, Ollendorf, Paris 1896, p. 68.

[42] FILON Augustin, Souvenirs sur l’Impératrice Eugénie, Calman-Lévy, Paris, 1920 p. 27, cité par DARGENT Raphaël, L’impératrice Eugénie ; l’obsession de l’honneur, Belin, Paris, 2017, p. 434.

[43] DARGENT Raphaël, L’impératrice Eugénie ; l’obsession de l’honneur, Op. Cit., p. 413-441.

[44] TCHERKASSOV Piotr, Napoléon III et Alexandre II : une alliance contrariée, Michel de Maule, Paris, collection « Histoire », 2021, p. 20.

[45] Voir notamment : ROTH François, La guerre de 1870, Pluriel, Paris, 2011.

[46] BOURGUINAT Nicolas, VOGT Gilles, La guerre franco-allemande de 1870, Op. Cit., p. 45.

[47] LECAILLON Jean François, Les Français et la guerre de 1870, L’artilleur, Paris, 2020.

[48] GOUTTMAN Alain, La grande défaite 1870-1871, Tempus Perrin, Paris, 2020.

[49] NÉLIAS Thierry, L’humiliante Défaite : 1870, la France à l’épreuve de la guerre, La Librairie Vuibert, Paris, 2020.

[50] Nous devons cette expression à Eric Anceau qui dresse le constat que la guerre de 1870 n’occupe pas une grande partie du livre, soit une vingtaine de pages dans le quatrième chapitre de l’ouvrage.

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