Être une auteure et une bonne épouse dans la France du Grand Siècle – L’exemple d’Anne Dacier

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21 Juin
2021

Laurène Garreau

Résumé

Anne Dacier (1645-1720) est une traductrice et helléniste de renom. Elle est également la première philologue française connue et reconnue. Au temps du Roi-Soleil, elle parvient non seulement à publier ses travaux, mais surtout à vivre un temps de sa plume.

Contrairement à beaucoup de ses contemporaines, ses activités savantes ne l’empêchent pas de mener une vie de famille auprès de son époux, André Dacier, avec qui elle a trois enfants. Il s’agit donc de mettre au jour les tactiques et stratégies mises au point par Anne Dacier pour parvenir à combiner vie familiale et activités savantes.

Being an author and a good wife in the French Grand Siècle.
The example of Anne Dacier.

Anne Dacier (1645-1720) was a renowned translator and Hellenist. She was also the first French philologist to be known and recognised. Under the Sun King, she not only managed to get her works published, but most importantly to live by her pen for a while.

Unlike many of her contemporaries, her learned activities did not prevent her from leading a family life beside her spouse, André Dacier, with whom she had three children. The purpose of this article is therefore to bring to light the tactics and strategies which Anne Dacier developed to successfully combine her family life and her learned activities.

Détails

Chronologie : XVIIe – XVIIIe siècle
Lieux : Saumur – Paris
Mots-clés : Anne Dacier – André Dacier – femme savante – XVIIe siècle – auteure – France – traductrice

Chronology: XVIIth – XVIIIth century
Location: Saumur – Paris
Keywords: Anne Dacier – André Dacier – learned woman – XVIIth century – woman of letters – France – translator

Plan

I – Une bonne épouse

1. Femme aimante et dévouée

2. Les époux Dacier ou le travail en famille

II – Anne Dacier maîtresse de maison

1. Une savante et une mère

2. Remplir ses devoirs de maîtresse de maison

III – Une savante reconnue devenue un modèle

1. Une érudition largement mise en avant dans son travail

2. « Notre sexe lui doit beaucoup »

Pour citer cet article

Référence électronique
Garreau Laurène, “Être une auteure et une bonne épouse dans la France du Grand Siècle. L’exemple d’Anne Dacier", Revue de l’Association des Jeunes Chercheurs de l’Ouest [En ligne], n°1, 2021, mis en ligne le 21 juin 2021, consulté le 28 mars 2024 à 18h21, URL : https://ajco49.fr/2021/06/21/etre-une-auteure-et-une-bonne-epouse-dans-la-france-du-grand-siecle-lexemple-danne-dacier

L'Auteur

Laurène Garreau a réalisé deux mémoires de recherche à l'université d'Angers sous la direction de Marie Lezowsky.
Elle a également publié un ouvrage reprenant les thématiques de ses recherches sur Anne Dacier : “Un des prodiges du siècle de Louis XIV" ? Anne Dacier (1645-1720), helléniste (édition Saint-honoré, 2021).

Droits d'auteur

Tous droits réservés à l'Association des Jeunes Chercheurs de l'Ouest.
Les propos tenus dans les travaux publiés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.

            Le règne de Louis XIV constitue un âge d’or culturel pour la France, le souverain cherchant à faire rayonner le pays sur la scène internationale. Le monde de l’écriture n’est pas en reste ; le XVIIe siècle est le temps de l’avènement de l’écrivain masculin, notamment avec la fondation de l’Académie française en 1634. Ce contexte amplifie les difficultés rencontrées par les femmes auteures. Le Grand Siècle cristallise les tensions concernant la domination féminine et ses contestations. Il est attendu d’une femme qu’elle prenne soin de son foyer en étant à la fois une bonne épouse, une mère dévouée et une maîtresse de maison juste. Lecture et écriture détourneraient les femmes de leurs devoirs.

            Anne Dacier est la première femme française qualifiée de philologue[1]. Elle est la fille de Tanneguy Lefèvre, traducteur, grand helléniste et membre de l’Académie protestante de Saumur. En 1662, elle épouse en premières noces Jean Lesnier, un imprimeur-libraire saumurois choisi par Tanneguy Lefèvre. Ce mariage est un échec sur tous les plans. Anne Lefèvre choisit de quitter le domicile conjugal pour retourner vivre chez son père, où elle rencontre André Dacier. L’entente est parfaite entre la fille et l’élève du maître saumurois ; le jeune couple part s’installer à Paris en 1671, alors même qu’Anne Lefèvre, toujours mariée à Jean Lesnier, n’est pas encore veuve[2]. Le couple Dacier régularise la situation, d’une part par un mariage en 1683[3], et d’autre part en abjurant de leur foi protestante en 1685. Malgré ce début de vie peu conventionnel, Anne Lefèvre fait son entrée en littérature en 1674 et jouit d’une bonne réputation. Elle use de tactiques afin de faire reconnaître son talent sans pour autant risquer d’entacher sa bonne réputation ; elle se doit d’être reconnue comme savante sans jamais passer pour une précieuse[4].

I – Une bonne épouse

            Anne Lefèvre et André Dacier partagent la même passion pour les auteurs antiques. Leur union est à la fois une collaboration intellectuelle d’une grande qualité et un mariage d’amour. Leur vie de famille est d’ailleurs organisée afin qu’Anne et André puissent mener leurs carrières respectives. Cette passion commune semble rendre leur mariage heureux.

1. Femme aimante et dévouée

            S’il est attendu d’une bonne épouse qu’elle soit aimante et dévouée, tout laisse à penser qu’Anne Dacier éprouve une réelle affection, si ce n’est un amour sincère, pour son époux. L’entente intellectuelle entre les époux Dacier en est une première preuve. Par ailleurs, Anne Dacier fait preuve d’abnégation dans le but de rendre son mari heureux. Anne Bellinzani, amie proche du couple, souligne dans une lettre qu’Anne Dacier a dû renoncer à son projet de retraite dans le Languedoc parce qu’elle « craignoit qu’il ne s’en accomodât pas[5] ». De même, elle n’hésite pas à mettre sa plume de côté pendant plus de six mois pour prendre soin de son mari malade.

            L’attitude d’André Dacier à la mort de sa femme démontre un attachement mutuel. Un an après le décès de son épouse, les proches d’André Dacier affirment qu’il éprouve toujours « le même degré de sensibilité que dans les premiers momens de son malheur[6] ». Anne et André Dacier se montrent dévoués et aimants l’un envers l’autre. Les marques d’affection d’Anne Dacier auraient pu passer pour un comportement attendu de la part d’une bonne épouse, cependant son histoire personnelle – et plus particulièrement son attitude dans son premier mariage – démontre qu’elle ne cherche pas à passer pour une bonne épouse ; elle est réellement une femme attachée à son mari.

2. Les époux Dacier ou le travail en famille

            Anne et André Dacier construisent leurs carrières de façon parallèle, et celles-ci se rencontrent peu. La carrière d’Anne Dacier est déjà bien lancée lorsque le couple publie sa première collaboration : la traduction de Marc Aurèle, en 1691[7]. Le couple réitère l’expérience peu de temps après en publiant la traduction de Plutarque en 1694[8]. Ce sera leur dernière publication commune. Ces deux publications interviennent plutôt au début de la carrière d’André Dacier. En 1691, il n’a publié que trois traductions, et sa carrière s’accélère après les collaborations avec son épouse. En 1695, il est successivement élu à l’Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres et à l’Académie française. Eu égard à son sexe, Anne Dacier ne peut prétendre à une telle reconnaissance. Seule l’Académie des Ricovrati de Padoue lui ouvre ses portes en 1679[9]. Pour autant, le prestige et la renommée d’Anne Dacier ne sont pas étrangers à la nomination de son époux, ainsi que le montre cette citation de La Bruyère :

            Je n’ai pas oublié, Messieurs, qu’un des principaux statuts de cet illustre corps est de n’y admettre que ceux qu’on en estime les plus dignes. Vous ne trouverez pas étrange, Messieurs, si je donne mon suffrage à M. Dacier, à qui même je préférerais Madame sa femme, si vous admettiez parmi vous des personnes de son sexe[10].

Cette citation met en avant le fait que la bonne réputation de l’un des deux époux Dacier rejaillit sur l’autre. Par ailleurs, le petit nombre de collaborations communes ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas eu d’autres collaborations intellectuelles entre les époux Dacier. Il est aisé de les imaginer se demander conseils ou débattre de l’approche choisie pour traduire tel ou tel passage d’une œuvre, sans pour autant que l’autre ne soit cité dans l’ouvrage final.

            Outre le fait que les époux Dacier travaillent ensembles et voient rejaillir la réputation de l’un sur l’autre, ils disposent d’un même réseau. En particulier, ils partagent certains
imprimeurs-libraires.

Nombre d'ouvrage publiés

Fig. 1. Les imprimeurs-libraires du couple Dacier

            62% des imprimeurs-libraires d’Anne Dacier sont également les imprimeurs-libraires de son mari[11]. Cette affirmation se vérifie tout particulièrement avec Claude Barbin. Ce dernier publie cinq ouvrages d’Anne Dacier entre 1683 et 1694 et sept ouvrages d’André Dacier entre 1681 et 1701. Ces imprimeurs-libraires communs ont la particularité de collaborer avec André Dacier avant de commencer à travailler avec Anne Dacier. Il semble donc que dans ce domaine ce soit surtout André Dacier qui fasse profiter sa femme de son réseau. La seule exception à la règle est Lambert Roulland, qui travaille avec Anne Dacier en 1680 pour un ouvrage avant de publier un ouvrage d’André Dacier en 1681. Parce qu’ils sont les libraires ordinaires de la Reine – Lambert Roulland – ou du Roi – Jean-Baptiste Coignard – la majorité de ces libraires bénéficient d’une protection royale. Cela assure aux imprimeurs-libraires des appuis solides, ce qui leur permet de prendre le risque de publier les travaux d’une femme.

II – Anne Dacier maîtresse de maison

            Maintenir une bonne réputation est un enjeu de taille pour Anne Dacier. Celle-ci repose à la fois sur la qualité de ses travaux et sur ses qualités domestiques. Le risque est d’autant plus grand que les femmes auteures sont facilement qualifiées de précieuses. Ce qualificatif renvoie communément à l’image d’une femme qui ne remplit pas ses devoirs domestiques et qui ne reste pas à sa place. Le simple fait de publier des travaux va donc à l’encontre de ces principes ; c’est pourquoi Anne Dacier doit à tout prix maintenir sa bonne réputation.

1. Une savante et une mère

            Bien que femme de lettres, Anne Dacier ne renonce pas à sa vie familiale. Plus encore, elle est une mère présente et aimante pour ses enfants, et ce alors même qu’elle multiplie les succès littéraires. Cette situation détonne, en particulier parce que ses travaux de traductrice et son rôle de mère demandent tous deux une grande implication. Mener ces deux activités de front aurait pu avoir des conséquences, soit sur la qualité de ses travaux, soit sur sa présence auprès de ses enfants.

            Le couple Dacier connaît un mariage long – trente-sept ans – auquel il faut ajouter leurs treize années de concubinage. Ce mariage n’est pas très fécond puisque le couple Dacier n’a que trois enfants. Anne et André Dacier font alors figure d’exception en raison de la durée de leur mariage[12] et de la taille de leur famille, qu’Henri Leridon qualifie de marginale[13]. L’arbre généalogique de la famille Dacier[14] met en évidence le fait qu’il y a sept ans entre la naissance d’Anne-Marie et la naissance de Jean-André, puis neuf ans avant la naissance d’Henriette-Suzanne. Il est difficile de déterminer si l’écart entre les naissances est le fruit réel d’une régulation des naissances ou un hasard fortuit résultant de problèmes de fertilité. Il est en effet possible qu’Anne Dacier ait multiplié les fausses couches. Avec un intervalle intergénésique de plus de quarante-huit mois, les Dacier entrent dans la catégorie des familles de type 4, c’est-à-dire les familles stériles ou contraceptives[15].

L'arbre généalogique de la famille Dacier

Fig. 2. L'arbre généalogique de la famille Dacier

            Parce qu’elle n’a que trois enfants, et que les naissances sont suffisamment espacées, Anne Dacier est une mère aimante qui a pris le temps de s’occuper de ses enfants. Preuve en est son rythme de travail. Elle publie peu lorsque ses enfants sont jeunes, puis accélère son rythme entre le sixième et le dixième anniversaire de ses enfants. Les proches du couple et Anne Dacier elle-même ont livré des témoignages prouvant qu’Anne Dacier s’est chargée de l’éducation de ses enfants[16]. Ce faisant, elle transmet à ses enfants l’éducation humaniste qu’elle a elle-même reçu de son père, véritable patrimoine familial immatériel. Anne Dacier se montre proche de ses enfants, ce qui transparaît notamment dans sa préface de l’Iliade. Dans cette préface, c’est une mère éplorée qui parle pour évoquer sa tristesse et le vide laissé par la mort de sa fille. Malgré la pudeur qui l’empêche d’exprimer clairement son amour pour sa fille, Anne Dacier pleure la perte de « son amie et de sa compagne fidèle[17] ». Bien que ce texte soit le seul qui permette de montrer l’amour d’Anne Dacier pour ses enfants, il est fort probable qu’elle ait aimé tous ses enfants avec la même force, et que la perte de ses deux fils lui ait causé tout autant de peine.

2. Remplir ses devoirs de maîtresse de maison

            Aussi savante soit-elle, Anne Dacier affirme ne voir l’écriture que comme un délassement à ses occupations domestiques[18]. En tant qu’épouse et maîtresse de maison, elle a un certain nombre de devoirs et de tâches à accomplir. La première d’entre elles est d’être un exemple à suivre. Anne Dacier a à cœur d’accomplir tous ses devoirs, c’est pourquoi elle est une femme très organisée, de sorte qu’elle n’est ni oisive ni débordée. Être une bonne maîtresse de maison inclut également d’organiser des réceptions. Anne et André Dacier vivent alors au palais du Louvre. Lorsqu’elle reçoit, Anne Dacier offre de véritables divertissements :

            Sa fille vivoit alors. […] Elle s’étoit d’abord amusée de l’étude de la musique ; mais tenant de sa famille l’idée & l’amour de la perfection, elle étoit devenue si habile, que dans des concerts qu’elle faisoit avec les plus fameux musiciens, elle montroit une capacité presque miraculeuse. Sa figure donnoit un nouveau lustre à un talent si agréable, & si semblable à Clio, elle en avoit les grâces & la modestie, aussi bien que la science. […] Mme Dacier n’oublioit rien de sa part pour rendre les concerts dont je parle d’agréables régals, soit par une compagnie choisie, soit par des collations qu’elle composoit de ce qu’elle faisoit elle-même. Sa pâtisserie, ses confitures, ses liqueurs, tout étoit d’un goût exquis. Elle sçavoit même faire du pain excellent[19].

À en croire cet extrait, Anne Dacier a tout de l’hôtesse idéale. Elle fournit des efforts considérables pour rendre ses réceptions agréables, de la préparation de collation à base de pain et de confitures maison à l’organisation de divertissements autour de sa fille. Lors de ces réceptions, Anne Dacier prouve qu’elle n’est pas uniquement une femme savante, et qu’elle peut suivre n’importe quelle autre conversation :

            Je la trouvai filant, d’une politesse judicieuse, éloignée de toute affection, parlant aux femmes des choses dont on les entretient ordinairement. Je me souviens que je pensai m’en fâcher, & que me croyant plus habile qu’elle dans ce que je supposois qu’elle traitoit de bagatelle, j’aurois voulu qu’elle me parlât de ce que je ne sçavois pas, mais je connus bientôt qu’on pouvoit toujours s’instruire avec elle. Les ajustements, les meubles, rien ne lui étoit inconnu : elle savoit les differentes fabriques des étoffes, & leurs differens degrés de bonté, aussi bien que leur juste prix, & j’aurois donné la préférence à Mme Dacier sur toutes les femmes de ma connoissance, pour des emplettes considérables[20].

Cet extrait met en évidence le fait qu’Anne Dacier ne se montre savante que dans ses travaux. En société, dans son quotidien, elle ne fait pas étalage de son savoir. Cette distinction qu’elle fait entre sa vie mondaine et ses travaux est d’une grande importance : Anne Dacier fait peur. Elle effraie les hommes parce qu’elle prouve que les femmes peuvent avoir autant d’esprit qu’eux, et elle effraie les femmes qui se sentent inférieures par rapport à elle. Pour donner tort à ces préjugés, Anne Dacier a conscience qu’elle ne doit pas uniquement se montrer savante ; elle sait quand il lui faut faire preuve de plus de retenue et de modestie. Sa participation aux conversations « féminines[21] » vient renforcer sa bonne réputation puisqu’elle apporte la preuve qu’Anne Dacier n’est pas juste une savante, ni même une femme prétentieuse ou vaniteuse. De manière générale, ses qualités de bonne maîtresse de maison la rendent plus appréciable. Anne Bellinzani affirme d’ailleurs admirer plus Anne Dacier dans ses talents domestiques que dans ses livres, et elle n’est probablement pas la seule.

III – Une savante reconnue devenue un modèle

            Dans ses travaux, Anne Dacier affiche une grande modestie, ce qui ne l’empêche pas pour autant de s’affirmer. Avec ses traductions, elle affiche un style et une méthode innovants appréciés de ses contemporains.

1. Une érudition largement mise en avant dans son travail

            Anne Dacier propose des traductions d’une très grande qualité. Cette qualité vient en premier lieu de sa grande maîtrise des langues anciennes, à savoir le grec et le latin. Anne Dacier traduit les textes à partir de leur version d’origine. En effet, elle cherche à retranscrire le sens des textes, si bien qu’elle refuse les traductions littérales : « Mon but n’est pas d’en traduire simplement les mots, je veux tâcher d’en decouvrir toutes les finesses de ces excellents Originaux, en montrer l’art, en expliquer la conduite & en faciliter l’imitation[22] ». Ce retour aux sources lui permet d’être dans une quête du sens l’amenant à corriger certaines incompréhensions ou erreurs de ses prédécesseurs, ceux-ci ayant travaillé à partir de versions latines pour les textes grecs. Elle peut ainsi restituer le texte original dans son intégralité, voire parfois faire redécouvrir des passages oubliés.

            Par ailleurs, Anne Dacier a une bonne connaissance des cultures grecques et latines. Elle met ses connaissances au service de ses traductions en proposant des commentaires explicatifs très appréciés de ses lecteurs. Elle s’assure de la bonne compréhension du texte par ses contemporains en proposant des éclaircissements géographiques sur les lieux cités, des informations généalogiques sur les protagonistes de l’œuvre ou des informations sur les civilisations antiques (religion, institutions, mœurs et coutumes[23]).

            La qualité du travail d’Anne Dacier est unanimement reconnue. Elle tient « rang parmi les bons auteurs[24] ». Cependant, les éloges qu’elle reçoit tiennent autant à l’exceptionnelle qualité de son travail qu’au fait qu’elle soit une femme : « Ainsi voilà notre sexe hautement vaincu par cette illustre sçavante puisque dans le temps que plusieurs hommes n’ont pas encore produit leur auteur, elle en a publié trois[25] ».

2. « Notre sexe lui doit beaucoup[26] »

            Anne Dacier est une figure incontournable de la République des Lettres. Pourtant, aussi savante soit-elle, elle juge son savoir inférieur à celui des hommes :

            Je n’ay jamais prétendu à ce sçavoir qui rend respectable, je ne me suis jamais amusée à lire ou à écrire que pour me délasser des occupations que les femmes doivent regarder comme leur principal & leur indispensable devoir. Mais j’honore, je respecte les véritable Sçavants, ces grands personnages qui par leurs lumières éclairent tous les hommes de tous les temps[27].

Dans cet extrait, elle explique qu’elle ne cherche pas à entrer en transgression en publiant ses travaux. Au contraire, elle affirme que la lecture, l’étude et l’écriture ne sont que des passe-temps, une occupation à laquelle elle s’adonne lorsqu’elle en a le temps. Elle montre ainsi qu’elle considère que le principal rôle de la femme est de prendre soin de sa famille et de s’occuper de son foyer. Contrairement aux précieuses de Molière, elle donne la priorité à ses devoirs de maîtresse de maison, preuve qu’elle sait où est sa place.

            S’excuser d’écrire est une pratique courante chez les auteures du Grand Siècle, et Anne Dacier n’échappe pas à cette règle. Dans ses préfaces, elle affiche une grande modestie. Elle se justifie d’écrire en expliquant les raisons qui l’ont poussée à prendre la plume, et de surcroît à publier son travail. Sa publication de Térence, par exemple, est un hommage qu’elle rend à son père. Tanneguy Lefèvre aimait particulièrement cet auteur, mais il meurt avant d’avoir pu publier une traduction correcte. Aussi sa fille se propose-t-elle de combler cette lacune du mieux qu’elle peut[28].

            Anne Dacier ne se montre « savante que dans son cabinet[29] ». Ainsi que cela a été souligné plus tôt, elle brille par sa conversation dans les réceptions mondaines sans faire étalage de son savoir. Ce faisant, elle correspond pleinement à l’image de la mondaine, c’est-à-dire la femme cultivée maîtrisant l’art de la conversation sans pour autant être savante[30]. Cette modestie, dans les réceptions mondaines ou dans ses préfaces, a permis de faire d’Anne Dacier un modèle pour les femmes de lettres. Par son parcours, elle est la preuve que les femmes ne sont pas condamnées à l’ignorance et que le savoir féminin n’est pas nécessairement tourné en ridicule. Ce faisant, elle œuvre pour la cause des femmes, ainsi que l’explique la marquise de Lambert. Bien qu’elle ne partage pas l’opinion d’Anne Dacier dans la querelle d’Homère, elle lui apporte son soutien. Selon elle, discréditer Anne Dacier et sa réputation dans le cadre de la Querelle d’Homère[31], c’est discréditer la femme savante qu’elle est et les femmes savantes en général. Les conséquences retomberaient alors sur toutes les femmes érudites, et pas uniquement sur la figure d’Anne Dacier[32].

            Anne Dacier est tout à la fois une épouse, une mère et une auteure de renom. Vie de famille et publications s’articulent de façon à ce qu’elle puisse concilier les deux. Résultat d’une politique de régulation des naissances ou heureux hasard, elle n’a que trois enfants avec André Dacier. L’intervalle entre les naissances lui permet de prendre soin de ses enfants tout en continuant à publier. Ce faisant, elle montre qu’elle est une bonne maîtresse de maison, qu’elle sait prendre soin de sa famille. Toutefois, elle n’est pas uniquement une bonne épouse pour André Dacier. Elle est une véritable collaboratrice, qu’il s’agisse de partager un réseau, de publier ensemble ou de faire rejaillir sur lui son prestige. La bonne réputation qu’Anne Dacier acquiert dans sa vie familiale ne fait que renforcer l’admiration de ses contemporains.

            Anne Dacier montre toute l’étendue de son érudition dans ses publications. Par le style et la méthode qu’elle utilise, elle propose des ouvrages d’une très grande qualité. Pourtant, elle ne semble pas s’enorgueillir. Au contraire, elle affiche une très grande modestie – contrainte – dans ses préfaces mais aussi dans les réceptions mondaines. Elle ne se montre savante que dans son cabinet. Cette qualité vient s’ajouter à toutes les autres, faisant d’Anne Dacier un modèle de vertu féminine pour les autres femmes de lettres. Ce statut vient récompenser ses efforts pour montrer qu’il est possible d’être à la fois une auteure de renom et une bonne épouse. Ce faisant, elle donne une image positive de la femme de lettres, si bien que certaines de ses contemporaines en font la défenseuse de la cause féminine.

[1] BASTIN-HAMMOU Malika, « Anne Dacier et les premières traductions françaises d'Aristophane : l'invention du métier de femme philologue », Littératures classiques, 2010/2, n° 72, p. 85-99.

[2] Anne Lesnier, bien qu’elle ne soit jamais appelée ainsi, devient veuve en 1675.
[3] Le lecteur aura certainement noté qu’Anne Lefèvre est veuve depuis 1675, et qu’elle ne se marie avec André Dacier que huit ans plus tard. Ce délai s’explique par le fait qu’André Dacier a obtenu un acte d’émancipation de la tutelle parentale. Cependant, cet acte l’empêche de se marier sans l’accord de son père. Monsieur Dacier n’approuvant pas cette union, André Dacier a dû attendre d’avoir trente pour épouser librement Anne Lefèvre (cf. Acte d’émancipation d’André Dacier, Castres, 14 décembre 1679 [Archives départementales du Tarn, B 328, f° 135] ).
[4] Au XVIIe siècle, nom donné aux femmes qui se livraient aux plaisirs du bel esprit. Ce qualificatif est devenu une raillerie, après la pièce de Molière en 1659.

[5] Anne Bellinzani à l’abbé R., Paris, 21 janvier 1721 [PICHON Jérôme, Vie de Charles-Henry comte de Hoym, ambassadeur de Saxe-Pologne en France et célèbre amateur de livres, 1694-1736, Tome 1, Paris, Société des bibliophiles françois, 1880, p. 221-228 [Bibliothèque de l'INHA, coll. J. Doucet, 2013-75468.].

[6] MADAME DE STAAL, « Mémoires », Mémoires pour servir à l’Histoire de France, Vol. 10, Paris, Everat et Comp., 1839, p. 752.

[7] MARC AURELE, Réflexion morale de l’empereur Marc Antonin (2 vol. in-12), Paris, C. Barbin, 1691 [trad. Sieur Dacier et Anne Lefèvre sa femme].
[8] PLUTARQUE, Les vies des hommes illustres (in-4), Paris, C. Barbin, 1694 [trad. Sieur Dacier et Anne Lefèvre sa femme].

[9] Cette académie mixte accueille plusieurs auteures. C’est cependant une reconnaissance de façade puisque les membres féminines n’ont pas les mêmes droits que les membres masculins.

[10] Cité par ITTI Éliane, Madame Dacier, femme et savante du Grand Siècle (1645-1720), Paris, L’Harmattan, 2012, p. 289.

[11] GARREAU Laurène, « Un des prodiges du siècle de Louis XIV » ? Anne Dacier (1645-1720), helléniste, Mémoire de master 2, Université d’Angers, 2020, p. 57.

[12] BEAUVALET-BOUTOUYRIE Scarlett, « Les structures démographiques », ANTOINE Annie, MICHON Cédric (dir.), Les sociétés au XVIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 221-244.
[13] LERIDON Henri, « Les intervalles entre naissances : nouvelles données d'observation », Population, n°5, 1967. p. 821-840.
[14] GARREAU Laurène, op. cit., p. 71.

[15] DUPÂQUIER Jacques, LACHIVER Marcel, « Sur les débuts de la contraception en France ou les deux malthusianismes », Annales E.S.C., n°6, 1969, p. 1391-1406.
Selon cette classification, il existe quatre types de familles, tous définis selon l’intervalle intergénésique. Les familles de type 1 sont celles avec un intervalle intergénésique très court (moins de dix-huit mois). Les familles de type 2 qualifié de moyen (dix-neuf à trente mois), tandis que les familles de type 3 ont un intervalle long (trente-et-un à quarante-huit mois). Les familles de type 4 ont un intervalle intergénésique de plus de quarante-huit mois. Ce sont des familles stériles ou contraceptives parce que telles intervalles ne peuvent s’expliquer que par une stérilité naturelle ou des pratiques contraceptives. Rappelons ici que la notion de contraception au XVIIe siècle reste très relative. Il n’existe pas de méthode réellement fiable en dehors de l'abstinence. Si l’utilisation du préservatif est un moyen plutôt efficace pour limiter les naissances tout en maintenant une activité sexuelle, sa vente et sa détention sont passibles d’une peine de prison en France. Restent alors le coït interrompu ou les potions abortives pour limiter les naissances dans un couple, méthodes dont l’efficacité reste à prouver.
[16] Anne Bellinzani à l’abbé R., Paris, 21 janvier 1721 [PICHON Jérôme, op. cit.].
HOMÈRE, Iliade, Préface, vol. 1, Paris, Rigaud, 1719 [trad. Madame Dacier] [Angers, Bibliothèque Toussaint, Département des fonds patrimoniaux, SB 2181].

[17] Ibid.

[18] DACIER Anne, Des Causes de la corruption du goust, Paris, Rigaud, 1714, p. 325.

[19] Anne Bellinzani à l’abbé R., Paris, 21 janvier 1721 [PICHON Jérôme, op. cit.].

[20] Ibid.

[21] Par ce qualificatif, nous nous référons à ce qu’Anne Bellinzai nomme “bagatelles” dans sa lettre, c’est-à-dire les conversations portant sur des questions d’ameublement ou d’étoffes et autres tissus, voire de cuisine (cf. notes 15 et 16).

[22] PLAUTE, Comédies (Amphitryon, Epidicus, Le Câble), Préface, vol. 1, Paris, D. Thierry, C. Barbin, 1683 [trad. Melle Lefèvre].

[23] FESTY Michel, « Sextus Aurelius Victor », La collection Ad usum Delphini, L’Antiquité au miroir du Grand Siècle, Vol. 2, Grenoble, UGA éditions, 2005, p. 273-208.

[24] M. l’Abbé Mallet, « Auteur », L’Encyclopédie, Tome 1, Paris, Briasson, David, Le Breton, Durand, 1751, p. 894.

[25] BAYLE Pierre, Nouvelles de la République des lettres, octobre 1684, article IV, p. 239, article V, p. 247.

[26] La marquise de Lambert au R. P. Buffier, [lieu], [1716], [LAMBERT, Anne-Thérèse (marquise de), Œuvres complètes, suivies de ses Lettres, Paris, L. Collin, 1808 [Paris, BnF, Département Littérature et arts, Z 27820], Lettre IV, p. 361-364].

[27] DACIER Anne, Des Causes.. op.cit. p. 325, Paris, Rigaud, 1714.

[28] TERENCE, Les Comédies, Préface, vol. 1, Paris, D. Thierry, C. Barbin, 1688 [trad. Mme D***].

[29] ROUVROY Louis (de), duc de Saint-Simon, Mémoires du duc de Saint-Simon, Texte établi par Adolphe Chéruel, Paris, Hachette, 1858, Tome XVIII, Chapitre III, p. 47-67.

[30] CORNET FURESTIER Cécile, La modestie : étude sur une vertu féminine au XVIIe siècle, Mémoire de master 1, Université Grenoble Alpes, 2018, p. 82.

[31] Cette querelle savante est à resituer dans le contexte de la Querelle des Anciens et des Modernes. Les Anciens prônent le respect de la littérature antique en raison de sa supériorité et de son excellence. À l’inverse, les Modernes souhaitent prendre leurs distances vis-à-vis de ces auteurs afin de créer leur propre style littéraire. Dans le cadre précis de la Querelle d’Homère, les Modernes reprochent aux Anciens leur idolâtrie pour Homère. Pour plus d’explications, voir :
CAMMAGRE Geneviève, « De l’avenir des Anciens. La polémique sur Homère entre Mme Dacier et Houdar de La Motte », Littératures classiques, vol. 72, no. 2, 2010, p. 145-156.
[32] La marquise de Lambert au R. P. Buffier, [lieu], [1716], [op. cit.].

            Le règne de Louis XIV constitue un âge d’or culturel pour la France, le souverain cherchant à faire rayonner le pays sur la scène internationale. Le monde de l’écriture n’est pas en reste ; le XVIIe siècle est le temps de l’avènement de l’écrivain masculin, notamment avec la fondation de l’Académie française en 1634. Ce contexte amplifie les difficultés rencontrées par les femmes auteures. Le Grand Siècle cristallise les tensions concernant la domination féminine et ses contestations. Il est attendu d’une femme qu’elle prenne soin de son foyer en étant à la fois une bonne épouse, une mère dévouée et une maîtresse de maison juste. Lecture et écriture détourneraient les femmes de leurs devoirs.

            Anne Dacier est la première femme française qualifiée de philologue[1]. Elle est la fille de Tanneguy Lefèvre, traducteur, grand helléniste et membre de l’Académie protestante de Saumur. En 1662, elle épouse en premières noces Jean Lesnier, un imprimeur-libraire saumurois choisi par Tanneguy Lefèvre. Ce mariage est un échec sur tous les plans. Anne Lefèvre choisit de quitter le domicile conjugal pour retourner vivre chez son père, où elle rencontre André Dacier. L’entente est parfaite entre la fille et l’élève du maître saumurois ; le jeune couple part s’installer à Paris en 1671, alors même qu’Anne Lefèvre, toujours mariée à Jean Lesnier, n’est pas encore veuve[2]. Le couple Dacier régularise la situation, d’une part par un mariage en 1683[3], et d’autre part en abjurant de leur foi protestante en 1685. Malgré ce début de vie peu conventionnel, Anne Lefèvre fait son entrée en littérature en 1674 et jouit d’une bonne réputation. Elle use de tactiques afin de faire reconnaître son talent sans pour autant risquer d’entacher sa bonne réputation ; elle se doit d’être reconnue comme savante sans jamais passer pour une précieuse[4].

I – Une bonne épouse

            Anne Lefèvre et André Dacier partagent la même passion pour les auteurs antiques. Leur union est à la fois une collaboration intellectuelle d’une grande qualité et un mariage d’amour. Leur vie de famille est d’ailleurs organisée afin qu’Anne et André puissent mener leurs carrières respectives. Cette passion commune semble rendre leur mariage heureux.

1. Femme aimante et dévouée

            S’il est attendu d’une bonne épouse qu’elle soit aimante et dévouée, tout laisse à penser qu’Anne Dacier éprouve une réelle affection, si ce n’est un amour sincère, pour son époux. L’entente intellectuelle entre les époux Dacier en est une première preuve. Par ailleurs, Anne Dacier fait preuve d’abnégation dans le but de rendre son mari heureux. Anne Bellinzani, amie proche du couple, souligne dans une lettre qu’Anne Dacier a dû renoncer à son projet de retraite dans le Languedoc parce qu’elle « craignoit qu’il ne s’en accomodât pas[5] ». De même, elle n’hésite pas à mettre sa plume de côté pendant plus de six mois pour prendre soin de son mari malade.

            L’attitude d’André Dacier à la mort de sa femme démontre un attachement mutuel. Un an après le décès de son épouse, les proches d’André Dacier affirment qu’il éprouve toujours « le même degré de sensibilité que dans les premiers momens de son malheur[6] ». Anne et André Dacier se montrent dévoués et aimants l’un envers l’autre. Les marques d’affection d’Anne Dacier auraient pu passer pour un comportement attendu de la part d’une bonne épouse, cependant son histoire personnelle – et plus particulièrement son attitude dans son premier mariage – démontre qu’elle ne cherche pas à passer pour une bonne épouse ; elle est réellement une femme attachée à son mari.

2. Les époux Dacier ou le travail en famille

            Anne et André Dacier construisent leurs carrières de façon parallèle, et celles-ci se rencontrent peu. La carrière d’Anne Dacier est déjà bien lancée lorsque le couple publie sa première collaboration : la traduction de Marc Aurèle, en 1691[7]. Le couple réitère l’expérience peu de temps après en publiant la traduction de Plutarque en 1694[8]. Ce sera leur dernière publication commune. Ces deux publications interviennent plutôt au début de la carrière d’André Dacier. En 1691, il n’a publié que trois traductions, et sa carrière s’accélère après les collaborations avec son épouse. En 1695, il est successivement élu à l’Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres et à l’Académie française. Eu égard à son sexe, Anne Dacier ne peut prétendre à une telle reconnaissance. Seule l’Académie des Ricovrati de Padoue lui ouvre ses portes en 1679[9]. Pour autant, le prestige et la renommée d’Anne Dacier ne sont pas étrangers à la nomination de son époux, ainsi que le montre cette citation de La Bruyère :

            Je n’ai pas oublié, Messieurs, qu’un des principaux statuts de cet illustre corps est de n’y admettre que ceux qu’on en estime les plus dignes. Vous ne trouverez pas étrange, Messieurs, si je donne mon suffrage à M. Dacier, à qui même je préférerais Madame sa femme, si vous admettiez parmi vous des personnes de son sexe[10].

Cette citation met en avant le fait que la bonne réputation de l’un des deux époux Dacier rejaillit sur l’autre. Par ailleurs, le petit nombre de collaborations communes ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas eu d’autres collaborations intellectuelles entre les époux Dacier. Il est aisé de les imaginer se demander conseils ou débattre de l’approche choisie pour traduire tel ou tel passage d’une œuvre, sans pour autant que l’autre ne soit cité dans l’ouvrage final.

            Outre le fait que les époux Dacier travaillent ensembles et voient rejaillir la réputation de l’un sur l’autre, ils disposent d’un même réseau. En particulier, ils partagent certains
imprimeurs-libraires.

Nombre d'ouvrage publiés

Fig. 1. Les imprimeurs-libraires du couple Dacier

            62% des imprimeurs-libraires d’Anne Dacier sont également les imprimeurs-libraires de son mari[11]. Cette affirmation se vérifie tout particulièrement avec Claude Barbin. Ce dernier publie cinq ouvrages d’Anne Dacier entre 1683 et 1694 et sept ouvrages d’André Dacier entre 1681 et 1701. Ces imprimeurs-libraires communs ont la particularité de collaborer avec André Dacier avant de commencer à travailler avec Anne Dacier. Il semble donc que dans ce domaine ce soit surtout André Dacier qui fasse profiter sa femme de son réseau. La seule exception à la règle est Lambert Roulland, qui travaille avec Anne Dacier en 1680 pour un ouvrage avant de publier un ouvrage d’André Dacier en 1681. Parce qu’ils sont les libraires ordinaires de la Reine – Lambert Roulland – ou du Roi – Jean-Baptiste Coignard – la majorité de ces libraires bénéficient d’une protection royale. Cela assure aux imprimeurs-libraires des appuis solides, ce qui leur permet de prendre le risque de publier les travaux d’une femme.

II – Anne Dacier maîtresse de maison

            Maintenir une bonne réputation est un enjeu de taille pour Anne Dacier. Celle-ci repose à la fois sur la qualité de ses travaux et sur ses qualités domestiques. Le risque est d’autant plus grand que les femmes auteures sont facilement qualifiées de précieuses. Ce qualificatif renvoie communément à l’image d’une femme qui ne remplit pas ses devoirs domestiques et qui ne reste pas à sa place. Le simple fait de publier des travaux va donc à l’encontre de ces principes ; c’est pourquoi Anne Dacier doit à tout prix maintenir sa bonne réputation.

1. Une savante et une mère

            Bien que femme de lettres, Anne Dacier ne renonce pas à sa vie familiale. Plus encore, elle est une mère présente et aimante pour ses enfants, et ce alors même qu’elle multiplie les succès littéraires. Cette situation détonne, en particulier parce que ses travaux de traductrice et son rôle de mère demandent tous deux une grande implication. Mener ces deux activités de front aurait pu avoir des conséquences, soit sur la qualité de ses travaux, soit sur sa présence auprès de ses enfants.

            Le couple Dacier connaît un mariage long – trente-sept ans – auquel il faut ajouter leurs treize années de concubinage. Ce mariage n’est pas très fécond puisque le couple Dacier n’a que trois enfants. Anne et André Dacier font alors figure d’exception en raison de la durée de leur mariage[12] et de la taille de leur famille, qu’Henri Leridon qualifie de marginale[13]. L’arbre généalogique de la famille Dacier[14] met en évidence le fait qu’il y a sept ans entre la naissance d’Anne-Marie et la naissance de Jean-André, puis neuf ans avant la naissance d’Henriette-Suzanne. Il est difficile de déterminer si l’écart entre les naissances est le fruit réel d’une régulation des naissances ou un hasard fortuit résultant de problèmes de fertilité. Il est en effet possible qu’Anne Dacier ait multiplié les fausses couches. Avec un intervalle intergénésique de plus de quarante-huit mois, les Dacier entrent dans la catégorie des familles de type 4, c’est-à-dire les familles stériles ou contraceptives[15].

L'arbre généalogique de la famille Dacier

Fig. 2. L'arbre généalogique de la famille Dacier

            Parce qu’elle n’a que trois enfants, et que les naissances sont suffisamment espacées, Anne Dacier est une mère aimante qui a pris le temps de s’occuper de ses enfants. Preuve en est son rythme de travail. Elle publie peu lorsque ses enfants sont jeunes, puis accélère son rythme entre le sixième et le dixième anniversaire de ses enfants. Les proches du couple et Anne Dacier elle-même ont livré des témoignages prouvant qu’Anne Dacier s’est chargée de l’éducation de ses enfants[16]. Ce faisant, elle transmet à ses enfants l’éducation humaniste qu’elle a elle-même reçu de son père, véritable patrimoine familial immatériel. Anne Dacier se montre proche de ses enfants, ce qui transparaît notamment dans sa préface de l’Iliade. Dans cette préface, c’est une mère éplorée qui parle pour évoquer sa tristesse et le vide laissé par la mort de sa fille. Malgré la pudeur qui l’empêche d’exprimer clairement son amour pour sa fille, Anne Dacier pleure la perte de « son amie et de sa compagne fidèle[17] ». Bien que ce texte soit le seul qui permette de montrer l’amour d’Anne Dacier pour ses enfants, il est fort probable qu’elle ait aimé tous ses enfants avec la même force, et que la perte de ses deux fils lui ait causé tout autant de peine.

2. Remplir ses devoirs de maîtresse de maison

            Aussi savante soit-elle, Anne Dacier affirme ne voir l’écriture que comme un délassement à ses occupations domestiques[18]. En tant qu’épouse et maîtresse de maison, elle a un certain nombre de devoirs et de tâches à accomplir. La première d’entre elles est d’être un exemple à suivre. Anne Dacier a à cœur d’accomplir tous ses devoirs, c’est pourquoi elle est une femme très organisée, de sorte qu’elle n’est ni oisive ni débordée. Être une bonne maîtresse de maison inclut également d’organiser des réceptions. Anne et André Dacier vivent alors au palais du Louvre. Lorsqu’elle reçoit, Anne Dacier offre de véritables divertissements :

            Sa fille vivoit alors. […] Elle s’étoit d’abord amusée de l’étude de la musique ; mais tenant de sa famille l’idée & l’amour de la perfection, elle étoit devenue si habile, que dans des concerts qu’elle faisoit avec les plus fameux musiciens, elle montroit une capacité presque miraculeuse. Sa figure donnoit un nouveau lustre à un talent si agréable, & si semblable à Clio, elle en avoit les grâces & la modestie, aussi bien que la science. […] Mme Dacier n’oublioit rien de sa part pour rendre les concerts dont je parle d’agréables régals, soit par une compagnie choisie, soit par des collations qu’elle composoit de ce qu’elle faisoit elle-même. Sa pâtisserie, ses confitures, ses liqueurs, tout étoit d’un goût exquis. Elle sçavoit même faire du pain excellent[19].

À en croire cet extrait, Anne Dacier a tout de l’hôtesse idéale. Elle fournit des efforts considérables pour rendre ses réceptions agréables, de la préparation de collation à base de pain et de confitures maison à l’organisation de divertissements autour de sa fille. Lors de ces réceptions, Anne Dacier prouve qu’elle n’est pas uniquement une femme savante, et qu’elle peut suivre n’importe quelle autre conversation :

            Je la trouvai filant, d’une politesse judicieuse, éloignée de toute affection, parlant aux femmes des choses dont on les entretient ordinairement. Je me souviens que je pensai m’en fâcher, & que me croyant plus habile qu’elle dans ce que je supposois qu’elle traitoit de bagatelle, j’aurois voulu qu’elle me parlât de ce que je ne sçavois pas, mais je connus bientôt qu’on pouvoit toujours s’instruire avec elle. Les ajustements, les meubles, rien ne lui étoit inconnu : elle savoit les differentes fabriques des étoffes, & leurs differens degrés de bonté, aussi bien que leur juste prix, & j’aurois donné la préférence à Mme Dacier sur toutes les femmes de ma connoissance, pour des emplettes considérables[20].

Cet extrait met en évidence le fait qu’Anne Dacier ne se montre savante que dans ses travaux. En société, dans son quotidien, elle ne fait pas étalage de son savoir. Cette distinction qu’elle fait entre sa vie mondaine et ses travaux est d’une grande importance : Anne Dacier fait peur. Elle effraie les hommes parce qu’elle prouve que les femmes peuvent avoir autant d’esprit qu’eux, et elle effraie les femmes qui se sentent inférieures par rapport à elle. Pour donner tort à ces préjugés, Anne Dacier a conscience qu’elle ne doit pas uniquement se montrer savante ; elle sait quand il lui faut faire preuve de plus de retenue et de modestie. Sa participation aux conversations « féminines[21] » vient renforcer sa bonne réputation puisqu’elle apporte la preuve qu’Anne Dacier n’est pas juste une savante, ni même une femme prétentieuse ou vaniteuse. De manière générale, ses qualités de bonne maîtresse de maison la rendent plus appréciable. Anne Bellinzani affirme d’ailleurs admirer plus Anne Dacier dans ses talents domestiques que dans ses livres, et elle n’est probablement pas la seule.

III – Une savante reconnue devenue un modèle

            Dans ses travaux, Anne Dacier affiche une grande modestie, ce qui ne l’empêche pas pour autant de s’affirmer. Avec ses traductions, elle affiche un style et une méthode innovants appréciés de ses contemporains.

1. Une érudition largement mise en avant dans son travail

            Anne Dacier propose des traductions d’une très grande qualité. Cette qualité vient en premier lieu de sa grande maîtrise des langues anciennes, à savoir le grec et le latin. Anne Dacier traduit les textes à partir de leur version d’origine. En effet, elle cherche à retranscrire le sens des textes, si bien qu’elle refuse les traductions littérales : « Mon but n’est pas d’en traduire simplement les mots, je veux tâcher d’en decouvrir toutes les finesses de ces excellents Originaux, en montrer l’art, en expliquer la conduite & en faciliter l’imitation[22] ». Ce retour aux sources lui permet d’être dans une quête du sens l’amenant à corriger certaines incompréhensions ou erreurs de ses prédécesseurs, ceux-ci ayant travaillé à partir de versions latines pour les textes grecs. Elle peut ainsi restituer le texte original dans son intégralité, voire parfois faire redécouvrir des passages oubliés.

            Par ailleurs, Anne Dacier a une bonne connaissance des cultures grecques et latines. Elle met ses connaissances au service de ses traductions en proposant des commentaires explicatifs très appréciés de ses lecteurs. Elle s’assure de la bonne compréhension du texte par ses contemporains en proposant des éclaircissements géographiques sur les lieux cités, des informations généalogiques sur les protagonistes de l’œuvre ou des informations sur les civilisations antiques (religion, institutions, mœurs et coutumes[23]).

            La qualité du travail d’Anne Dacier est unanimement reconnue. Elle tient « rang parmi les bons auteurs[24] ». Cependant, les éloges qu’elle reçoit tiennent autant à l’exceptionnelle qualité de son travail qu’au fait qu’elle soit une femme : « Ainsi voilà notre sexe hautement vaincu par cette illustre sçavante puisque dans le temps que plusieurs hommes n’ont pas encore produit leur auteur, elle en a publié trois[25] ».

2. « Notre sexe lui doit beaucoup[26] »

            Anne Dacier est une figure incontournable de la République des Lettres. Pourtant, aussi savante soit-elle, elle juge son savoir inférieur à celui des hommes :

            Je n’ay jamais prétendu à ce sçavoir qui rend respectable, je ne me suis jamais amusée à lire ou à écrire que pour me délasser des occupations que les femmes doivent regarder comme leur principal & leur indispensable devoir. Mais j’honore, je respecte les véritable Sçavants, ces grands personnages qui par leurs lumières éclairent tous les hommes de tous les temps[27].

Dans cet extrait, elle explique qu’elle ne cherche pas à entrer en transgression en publiant ses travaux. Au contraire, elle affirme que la lecture, l’étude et l’écriture ne sont que des passe-temps, une occupation à laquelle elle s’adonne lorsqu’elle en a le temps. Elle montre ainsi qu’elle considère que le principal rôle de la femme est de prendre soin de sa famille et de s’occuper de son foyer. Contrairement aux précieuses de Molière, elle donne la priorité à ses devoirs de maîtresse de maison, preuve qu’elle sait où est sa place.

            S’excuser d’écrire est une pratique courante chez les auteures du Grand Siècle, et Anne Dacier n’échappe pas à cette règle. Dans ses préfaces, elle affiche une grande modestie. Elle se justifie d’écrire en expliquant les raisons qui l’ont poussée à prendre la plume, et de surcroît à publier son travail. Sa publication de Térence, par exemple, est un hommage qu’elle rend à son père. Tanneguy Lefèvre aimait particulièrement cet auteur, mais il meurt avant d’avoir pu publier une traduction correcte. Aussi sa fille se propose-t-elle de combler cette lacune du mieux qu’elle peut[28].

            Anne Dacier ne se montre « savante que dans son cabinet[29] ». Ainsi que cela a été souligné plus tôt, elle brille par sa conversation dans les réceptions mondaines sans faire étalage de son savoir. Ce faisant, elle correspond pleinement à l’image de la mondaine, c’est-à-dire la femme cultivée maîtrisant l’art de la conversation sans pour autant être savante[30]. Cette modestie, dans les réceptions mondaines ou dans ses préfaces, a permis de faire d’Anne Dacier un modèle pour les femmes de lettres. Par son parcours, elle est la preuve que les femmes ne sont pas condamnées à l’ignorance et que le savoir féminin n’est pas nécessairement tourné en ridicule. Ce faisant, elle œuvre pour la cause des femmes, ainsi que l’explique la marquise de Lambert. Bien qu’elle ne partage pas l’opinion d’Anne Dacier dans la querelle d’Homère, elle lui apporte son soutien. Selon elle, discréditer Anne Dacier et sa réputation dans le cadre de la Querelle d’Homère[31], c’est discréditer la femme savante qu’elle est et les femmes savantes en général. Les conséquences retomberaient alors sur toutes les femmes érudites, et pas uniquement sur la figure d’Anne Dacier[32].

            Anne Dacier est tout à la fois une épouse, une mère et une auteure de renom. Vie de famille et publications s’articulent de façon à ce qu’elle puisse concilier les deux. Résultat d’une politique de régulation des naissances ou heureux hasard, elle n’a que trois enfants avec André Dacier. L’intervalle entre les naissances lui permet de prendre soin de ses enfants tout en continuant à publier. Ce faisant, elle montre qu’elle est une bonne maîtresse de maison, qu’elle sait prendre soin de sa famille. Toutefois, elle n’est pas uniquement une bonne épouse pour André Dacier. Elle est une véritable collaboratrice, qu’il s’agisse de partager un réseau, de publier ensemble ou de faire rejaillir sur lui son prestige. La bonne réputation qu’Anne Dacier acquiert dans sa vie familiale ne fait que renforcer l’admiration de ses contemporains.

            Anne Dacier montre toute l’étendue de son érudition dans ses publications. Par le style et la méthode qu’elle utilise, elle propose des ouvrages d’une très grande qualité. Pourtant, elle ne semble pas s’enorgueillir. Au contraire, elle affiche une très grande modestie – contrainte – dans ses préfaces mais aussi dans les réceptions mondaines. Elle ne se montre savante que dans son cabinet. Cette qualité vient s’ajouter à toutes les autres, faisant d’Anne Dacier un modèle de vertu féminine pour les autres femmes de lettres. Ce statut vient récompenser ses efforts pour montrer qu’il est possible d’être à la fois une auteure de renom et une bonne épouse. Ce faisant, elle donne une image positive de la femme de lettres, si bien que certaines de ses contemporaines en font la défenseuse de la cause féminine.

[1] BASTIN-HAMMOU Malika, « Anne Dacier et les premières traductions françaises d'Aristophane : l'invention du métier de femme philologue », Littératures classiques, 2010/2, n° 72, p. 85-99.

[2] Anne Lesnier, bien qu’elle ne soit jamais appelée ainsi, devient veuve en 1675.

[3] Le lecteur aura certainement noté qu’Anne Lefèvre est veuve depuis 1675, et qu’elle ne se marie avec André Dacier que huit ans plus tard. Ce délai s’explique par le fait qu’André Dacier a obtenu un acte d’émancipation de la tutelle parentale. Cependant, cet acte l’empêche de se marier sans l’accord de son père. Monsieur Dacier n’approuvant pas cette union, André Dacier a dû attendre d’avoir trente pour épouser librement Anne Lefèvre (cf. Acte d’émancipation d’André Dacier, Castres, 14 décembre 1679 [Archives départementales du Tarn, B 328, f° 135] ).

[4] Au XVIIe siècle, nom donné aux femmes qui se livraient aux plaisirs du bel esprit. Ce qualificatif est devenu une raillerie, après la pièce de Molière en 1659.

[5] Anne Bellinzani à l’abbé R., Paris, 21 janvier 1721 [PICHON Jérôme, Vie de Charles-Henry comte de Hoym, ambassadeur de Saxe-Pologne en France et célèbre amateur de livres, 1694-1736, Tome 1, Paris, Société des bibliophiles françois, 1880, p. 221-228 [Bibliothèque de l'INHA, coll. J. Doucet, 2013-75468.].

[6] MADAME DE STAAL, « Mémoires », Mémoires pour servir à l’Histoire de France, Vol. 10, Paris, Everat et Comp., 1839, p. 752.

[7] MARC AURELE, Réflexion morale de l’empereur Marc Antonin (2 vol. in-12), Paris, C. Barbin, 1691 [trad. Sieur Dacier et Anne Lefèvre sa femme].

[8] PLUTARQUE, Les vies des hommes illustres (in-4), Paris, C. Barbin, 1694 [trad. Sieur Dacier et Anne Lefèvre sa femme].

[9] Cette académie mixte accueille plusieurs auteures. C’est cependant une reconnaissance de façade puisque les membres féminines n’ont pas les mêmes droits que les membres masculins.

[10] Cité par ITTI Éliane, Madame Dacier, femme et savante du Grand Siècle (1645-1720), Paris, L’Harmattan, 2012, p. 289.

[11] GARREAU Laurène, « Un des prodiges du siècle de Louis XIV » ? Anne Dacier (1645-1720), helléniste, Mémoire de master 2, Université d’Angers, 2020, p. 57.

[12] BEAUVALET-BOUTOUYRIE Scarlett, « Les structures démographiques », ANTOINE Annie, MICHON Cédric (dir.), Les sociétés au XVIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 221-244.

[13] LERIDON Henri, « Les intervalles entre naissances : nouvelles données d'observation », Population, n°5, 1967. p. 821-840.

[14] GARREAU Laurène, op. cit., p. 71.

[15] DUPÂQUIER Jacques, LACHIVER Marcel, « Sur les débuts de la contraception en France ou les deux malthusianismes », Annales E.S.C., n°6, 1969, p. 1391-1406.
Selon cette classification, il existe quatre types de familles, tous définis selon l’intervalle intergénésique. Les familles de type 1 sont celles avec un intervalle intergénésique très court (moins de dix-huit mois). Les familles de type 2 qualifié de moyen (dix-neuf à trente mois), tandis que les familles de type 3 ont un intervalle long (trente-et-un à quarante-huit mois). Les familles de type 4 ont un intervalle intergénésique de plus de quarante-huit mois. Ce sont des familles stériles ou contraceptives parce que telles intervalles ne peuvent s’expliquer que par une stérilité naturelle ou des pratiques contraceptives. Rappelons ici que la notion de contraception au XVIIe siècle reste très relative. Il n’existe pas de méthode réellement fiable en dehors de l'abstinence. Si l’utilisation du préservatif est un moyen plutôt efficace pour limiter les naissances tout en maintenant une activité sexuelle, sa vente et sa détention sont passibles d’une peine de prison en France. Restent alors le coït interrompu ou les potions abortives pour limiter les naissances dans un couple, méthodes dont l’efficacité reste à prouver.

[16] Anne Bellinzani à l’abbé R., Paris, 21 janvier 1721 [PICHON Jérôme, op. cit.].
HOMÈRE, Iliade, Préface, vol. 1, Paris, Rigaud, 1719 [trad. Madame Dacier] [Angers, Bibliothèque Toussaint, Département des fonds patrimoniaux, SB 2181].

[17] Ibid.

[18] DACIER Anne, Des Causes de la corruption du goust, Paris, Rigaud, 1714, p. 325.

[19] Anne Bellinzani à l’abbé R., Paris, 21 janvier 1721 [PICHON Jérôme, op. cit.].

[20] Ibid.

[21] Par ce qualificatif, nous nous référons à ce qu’Anne Bellinzai nomme “bagatelles” dans sa lettre, c’est-à-dire les conversations portant sur des questions d’ameublement ou d’étoffes et autres tissus, voire de cuisine (cf. notes 15 et 16).

[22] PLAUTE, Comédies (Amphitryon, Epidicus, Le Câble), Préface, vol. 1, Paris, D. Thierry, C. Barbin, 1683 [trad. Melle Lefèvre].

[23] FESTY Michel, « Sextus Aurelius Victor », La collection Ad usum Delphini, L’Antiquité au miroir du Grand Siècle, Vol. 2, Grenoble, UGA éditions, 2005, p. 273-208.

[24] M. l’Abbé Mallet, « Auteur », L’Encyclopédie, Tome 1, Paris, Briasson, David, Le Breton, Durand, 1751, p. 894.

[25] BAYLE Pierre, Nouvelles de la République des lettres, octobre 1684, article IV, p. 239, article V, p. 247.

[26] La marquise de Lambert au R. p. Buffier, [lieu], [1716], [LAMBERT, Anne-Thérèse (marquise de), Œuvres complètes, suivies de ses Lettres, Paris, L. Collin, 1808 [Paris, BnF, Département Littérature et arts, Z 27820], Lettre IV, p. 361-364].

[27] DACIER Anne, Des Causes.. op.cit. p. 325, Paris, Rigaud, 1714.

[28] TERENCE, Les Comédies, Préface, vol. 1, Paris, D. Thierry, C. Barbin, 1688 [trad. Mme D***].

[29] ROUVROY Louis (de), duc de Saint-Simon, Mémoires du duc de Saint-Simon, Texte établi par Adolphe Chéruel, Paris, Hachette, 1858, Tome XVIII, Chapitre III, p. 47-67.

[30] CORNET FURESTIER Cécile, La modestie : étude sur une vertu féminine au XVIIe siècle, Mémoire de master 1, Université Grenoble Alpes, 2018, p. 82.

[31] Cette querelle savante est à resituer dans le contexte de la Querelle des Anciens et des Modernes. Les Anciens prônent le respect de la littérature antique en raison de sa supériorité et de son excellence. À l’inverse, les Modernes souhaitent prendre leurs distances vis-à-vis de ces auteurs afin de créer leur propre style littéraire. Dans le cadre précis de la Querelle d’Homère, les Modernes reprochent aux Anciens leur idolâtrie pour Homère. Pour plus d’explications, voir :
CAMMAGRE Geneviève, « De l’avenir des Anciens. La polémique sur Homère entre Mme Dacier et Houdar de La Motte », Littératures classiques, vol. 72, no. 2, 2010, p. 145-156.

[32] La marquise de Lambert au R. p. Buffier, [lieu], [1716], [op. cit.].

Anne Dacier

FOULON Éric, « Madame Dacier : une femme savante qui n’aurait point déplu à Molière », Bulletin de l’Association Guillaume Budé : Lettres d’humanité, n°52, 1993, p. 357-379.

ITTI Éliane, Madame Dacier : femme et savante du Grand Siècle (1645–1720), Paris, L’Harmattan, 2012.

ITTI Éliane, « Les privilèges de librairie de Madame Dacier », Privilèges de librairie en France et en Europe. XVIe-XVIIe siècles, Paris, Garnier, 2017, p. 193-217.

Pratiques de lectures et d’écriture des femmes à l’Époque moderne

BROUARD-AREND Isabelle (dir.), Lectrices d’Ancien Régime, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003.

DUCHÊNE Roger, Les Précieuses ou comment l’esprit vint aux femmes, Paris, Fayard, 2001.

DUFOUR-MAÎTRE Myriam, Les Précieuses, Naissance des femmes de lettres en France au XVIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2008.

GARGAM Adeline, Les Femmes savantes, lettrées et cultivées dans la littérature française des Lumières, ou la conquête de légitimité (1690-1804), 2 volumes, Paris, Honoré Champion, 2013.

HAASE-DUBOSC Danielle, « Intellectuelles, femmes d'esprit et femmes savantes au XVIIe siècle », Clio. Femmes, Genre, Histoire, n°13, 2001, p. 43-67.

TIMMERMANS Linda, L’accès des femmes à la culture sous l’Ancien Régime, Paris, Honoré Champion, 2005.