Charlotte Barnabé
Résumé
Alors que les sources issues de l'Épuration tendent à réduire les idylles nées entre soldats allemands et des civiles françaises à de simples histoires de « débauche », les lettres conservées dans les dossiers des femmes poursuivies à la Libération éclairent autrement ces relations. Entre difficultés linguistiques, hostilité sociale et séparation physique, les échanges épistolaires entretenus entre amants révèlent une intimité prosaïque, construite par un quotidien rythmée par les postes et les affectations. Si elles visent à adoucir la séparation, ces lettres donnent surtout l'illusion de partage d'une même normalité, plus que l'expression de grandes déclarations sentimentales. Pour autant, elles sont aussi pleines de promesses, bien souvent repoussées à un avenir sans guerre.
Détails
Chronologie : XXe siècle
Lieux : France
Mots-clés : Seconde Guerre mondiale – Occupation – Épuration – Lettres – Soldats – Relations intimes – Occupants – Occupées – Sentiments
Chronology: XXth century
Location: France
Keywords: World War II – Occupation – Cleansing – Letters – Soldiers – Intimate relationships – Occupants – Occupied – Feelings
Plan
I – Comprendre l'intimité de la relation occupants-occupées par l'utilisation conjoite des sources judiciaires et épistolaires
1. Apports et limites des sources judiciaires issues de l'Épuration
2. À la croisée des langues : apports et enjeux méthodologiques d'un corpus épistolaire
3. L'attente rythmée par les postes et les affectations
II – De l'ordinaire des lettres en temps de guerre à des promesses d'engagements en temps de paix
1. Prédominance du quotidien et illusion de normalité
2. Malgré le statut des épistoliers, de réelles dynamiques de couples
3. Des désirs d'engagement systématiquement conditionnés à un avenir sans guerre
Pour citer cet article
Référence électronique
Barnabé Charlotte, “Les relations intimes entre Françaises et Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale: de la valeur heuristique des correspondances entre amants à l'ordinaire de l'épistolaire en temps de guerre (1940-1945)", Revue de l’Association des Jeunes Chercheurs de l’Ouest [En ligne], n°3, 2023, mis en ligne le 8 mars 2023, consulté le 26 décembre 2024 à 19h09, URL : https://ajco49.fr/2023/03/08/les-relations-intimes-entre-francaises-et-allemands-pendant-la-seconde-guerre-mondiale-de-la-valeur-heuristique-des-correspondances-entre-amants-a-lordinaire-de-lepistolaire-en-temps-de-guerre-1
L'Auteur
Charlotte Barnabé
Droits d'auteur
Tous droits réservés à l'Association des Jeunes Chercheurs de l'Ouest.
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Les relations intimes ayant lié des Françaises et des soldats allemands pendant l'Occupation (juin 1940 – juin 1944) est une question qui a suscité l'intérêt des historiens. Des études scientifiques pionnières ont en effet éclairé ce sujet au croisement d'une histoire sociale, d'une histoire des femmes et d'une histoire par le bas[1]. Fabrice Virgili[2] les a ainsi envisagées sous l'angle des tontes faites aux femmes à la Libération, qui constituent aujourd'hui un topos symboliquement très fort dans la mémoire collective[3]. De fait, le départ forcé de 1,6 millions de prisonniers français dans les stalag et oflag d’outre-Rhin ne peut qu'affecter la vie sentimentale des couples séparés et des femmes célibataires qui se retrouvent dès lors sur un marché matrimonial dont l'effectif masculin est considérablement appauvri. Dans le même temps, les troupes d'occupation, sous le commandement du Militärbefehlshaber in Frankreich[4], s'installent dans les départements de la zone nord et intègrent le quotidien de 40 millions de vaincu.e.s, dont la part féminine pâtit, à l’étranger, d’une réputation sulfureuse[5]. Naissent alors des relations intimes entre occupants et occupées, allant de l'éphémère aventure sexuelle à la naissance de véritables couples. Or la nature même de ces relations, exogames en ce qu'elles lient des individus de nationalités et de statuts différents (allemand/français, occupant/occupée) explique le peu de sources mobilisables par l'historien.ne, si ce n'est celles produites dans le cadre des poursuites pour indignité nationale[6] définies par l'ordonnance du 26 août 1944. C'est donc surtout sous l'angle répressif que ces relations ont été abordées, à partir des dossiers de procédure de chambres civiques conservés dans les archives départementales et composés de procès-verbaux d'enquêtes et de multiples pièces de forme. Or cette entrée judiciaire présente avant tout ces relations comme des entorses à la fidélité nationale et tend à réduire les accusées à l'unique portrait de la « femme débauchée[7] ». Autrement dit, le biais répressif permet d'accéder aux représentations collectives de genre d'une nation blessée par la guerre plutôt qu'aux relations reprochées aux incriminées.
Une source alternative conservée dans ces dossiers permet davantage d'approcher le fonctionnement intime des relations franco-allemandes : les lettres échangées entre amants. Notre corpus est ainsi composé de 325 lettres, principalement collectées dans divers centres d'archives départementales[8]. La première date d'août 1940 et la dernière de l'année 1945. Cette étude se situe pleinement dans la revalorisation des lettres ordinaires en tant que source et objet de recherche débutée dans les années 1980[9]. Si la source épistolaire répond à des codes particuliers et ne reflète pas la stricte réalité[10], elle permet d'approcher avec plus de nuances l'intimité de couples bouleversés par le conflit. Ainsi, à partir de lettres échangées par des couples français, Clémentine Vidal-Nacquet a p. souligner le rôle joué par la Première Guerre mondiale dans l’émergence du couple moderne[11]. Bien que la Grande Guerre ait accéléré la valorisation du sentiment amoureux au sein des unions[12], les lettres de notre corpus s'inscrivent aussi dans le climat de puritanisme conservateur instauré dans le cadre de la Révolution nationale du Régime de Vichy qui exerce sa souveraineté sur tout le territoire[13]. En outre, une composante essentielle de ces couples franco-allemands reste la nationalité et le statut des épistoliers, qui singularisent encore davantage ces relations. Ainsi, alors que le traitement judiciaire et extra-judiciaire d'après-guerre les réduit bien souvent à de simples faits de « débauche », cet article entend offrir une image plus nuancée des idylles franco-allemandes par l'exploitation de la richesse des échanges épistolaires entre occupants et occupées.
I. Comprendre l’intimité de la relation occupant-occupée par l’utilisation conjointe des sources judiciaires et épistolaires
1. Apports et limites des sources judiciaires issues de l'Épuration
L’article 2 de l'ordonnance du 26 août 1944 précisant les faits constitutifs de ce crime ne mentionnent en aucun cas ce qui relèverait d'une collaboration intime[14]. Une grande marge de manœuvre est donc laissée aux juges qui oscillent entre la condamnation d'attitudes répréhensibles aux yeux de la société et l'absence de mention explicite dans les textes législatifs. Le Ministre de la Justice précise au Préfet des Vosges le 10 avril 1945 : « il est possible que dans certaines circonstances, l’attitude des femmes qui [se] sont rendues coupables [d’inconduite notoire avec l’ennemi] a pu […] porter atteinte à l’unité de la nation »[15]. Ainsi, ces actes sexuels ne peuvent être poursuivis en eux-mêmes et sont donc associés à d'autres infractions, pour constituer ce qu'Anne Simonin a appelé le « crime judiciaire de manque de dignité nationale »[16]. Le fondement même des jugements de ces femmes repose principalement sur la preuve d'un engagement politique ou d'un impact social négatif qu'auraient p. provoquer leur idylle, à l'image d'insultes ou de menaces qu'elles auraient proférées à l'encontre d'autres citoyens français.
En outre, les stratégies de dédouanement adoptées par les accusées empêchent également d'accéder pleinement à la réalité des accointances que la justice leur reproche. Sur quarante-six épistolières dont l'identité est suffisamment renseignée, au moins trente avouent, laconiquement. L'audition policière n'est pas le lieu d'épanchements sentimentaux poussés. L’approche par la psychologie sociale et cognitive adoptée par Nathalie Przygodzki-Lionet a montré combien les témoignages peuvent aussi s’altérer sous le poids des conditions matérielles (bruit, températures), sociales et méthodologiques de l’audition[17]. Les informations contenues dans les procès-verbaux d'enquêtes, partiels et partiaux, sont donc à replacer dans leur contexte purement judiciaire. Ainsi, les lettres conservées dans ces dossiers permettent à l'historien.ne de combler les silences de déclarations qui éclairent peu la complexité d'une relation franco-allemande en situation d'occupation.
Retrouvées sur le quai d'une gare[18], découvertes au cours d'une perquisition[19], ou remises à la justice par des témoins[20], elles font figure de preuves matérielles véridiques au sein du processus judiciaire : le Commissaire de Police de Meaux qualifie les photos et les lettres trouvées par le mari d’une accusée de « documents révélateurs[21]». Elles peuvent déclencher une enquête ou alimenter des investigations déjà fondées, se parachevant ensuite par un jugement en chambre civique. Le but de ces poursuites n'est pas de rentrer dans l'intimité d'un couple dont la simple existence constitue déjà une infraction à l'honneur national. Les lettres ne sont donc pas étudiées en détails. Néanmoins, elles s’avèrent être une preuve particulièrement parlante quand les femmes nient ce dont elles sont accusées. Yolande N., femme de prisonnier à Roye, prétend n'avoir entretenu que des relations amicales avec un militaire allemand qu'elle logeait[22]. Or, la lettre qu'elle adresse à Adolf le 9 août 1941 laisse peu de place à l'équivoque : « quel vide cela me fait de ne plus te voir. Je t’aime ». Si les lettres contredisent parfois les déclarations des accusées, elles permettent aussi à l’historien.ne de nuancer les conclusions policières. Un rapport du Commissaire de Police d’Alençon du 15 septembre 1944 dépeint Yvonne B. comme une « vieille fille insatisfaite du point de vue physique [qui] montre sa reconnaissance aux Allemands qui ont su la faire revivre sensuellement, par des sentiments pro-allemands[23]». Or, les lettres qu'elle envoie à son amant entre 1942 et 1943 ne sont pas exemptes de sentiments, pourtant réduits à une simple affaire charnelle : « Tu es ainsi plus proche de mon cœur que jamais[24]». Le vécu de Yvonne B. semble bien plus complexe que le stéréotype genré de la « vieille fille » auquel elle est assignée. L'argument de la « débauche> » est très fréquent dans les témoignages. Pourtant, la plupart des accusées sont célibataires, malgré la présence de douze femmes mariées dont sept femmes de prisonniers de guerre. La plupart des épistolières sont ainsi condamnées à des peines de dégradation nationale[25] pour une durée variant de cinq ans à des peines à vie. Il ne semble pas que les lettres soient mobilisées en détail au moment des jugements Cependant, elles rendent aujourd'hui possible un croisement de sources particulièrement précieux dans le cadre d'affaires judiciaires, d'autant plus qu'elles sont produites du temps même de la relation.
2. À la croisée des langues : apports et enjeux méthodologiques d'un corpus épistolaire
325 lettres ont été collectées, issues de 67 semi-correspondances. Seules les lettres d’une seule des deux parties ayant écrit demeurent, correspondant à celles que les accusées ont conservées (219 lettres sont le fait de soldats et 106 de femmes). La dynamique de l'échange n'est donc suggérée qu'en creux. Quantitativement, ces semi-correspondances sont composées, a minima, d'une seule lettre incluse au sein d’une correspondance plus grande mais manquante, à plus de 60 lettres échangées entre une épistolière bretonne et son amant allemand[26]. Les correspondances les plus longues sont les plus susceptibles de révéler des évolutions, même s'il faut se garder de toute généralisation statistique que ne permet pas ce corpus non représentatif[27]. La majorité des lettres sont écrites en 1944[28], les correspondances les plus fournies du corpus ayant été échangées au cours de la dernière année de la guerre. Enfin, plus de la moitié des épistoliers s’écrivent depuis la France. Les autres soldats écrivent depuis l'Allemagne ou d'une localisation inconnue, et trois d'entre eux sont sur le front russe. La mobilité d'Otto transparaît ainsi particulièrement dans sa correspondance avec Christiane[29]. Après un mois d'une idylle entamée à Rouen en mai 1942, il part une première fois en Russie. Après cinq mois sans écrire, il annonce partir de nouveau pour le front russe en janvier 1943, au sein du Panzer-Grenadier-Regiment 108. Après un détour par l’Estonie, le régiment reconstitué est ensuite transféré dans l'ouest de la France. Otto écrit ses dernières lettres depuis Azay-le-Rideau, puis Parthenay à partir de l'été 1943. La correspondance n'est interrompue que par quelques courtes permissions, si bien que les amants sont séparés pendant plus d'un an. L'acte d'écrire vise ainsi à adoucir l'éloignement d'épistoliers dont la relation est déjà potentiellement minée par son exogamie.
La construction de ces lettres est aussi limitée par des difficultés linguistiques. Seules trois femmes parlent allemand avant la guerre. Maîtriser la langue de l'occupant ou de l'occupée n'est visiblement pas un critère indispensable pour nouer des relations, mais limite néanmoins la retranscription précise des sentiments par écrit. Cette difficulté est particulièrement flagrante pour l’interlocuteur allemand dont la langue est soucieuse de précision[30]. Richard se plaint : « Je regrette toujours de n'avoir pas assez de mots pour pouvoir te dire ce que je sens[31]». Ainsi, 110 lettres sont écrites en français, 215 en allemand, et 155 sont rédigées dans la langue maternelle de l'expéditeur, 170 dans celle du destinataire. Plus d'un amant sur deux prend la peine de traduire sa lettre, seul ou à l'aide d'un tiers (un voisin, un camarade). Si elles ne sont pas rédigées dans la langue du lecteur, les lettres sont traduites à la réception. Ces écrits sont donc linguistiquement assez pauvres et semblent relever d'apprentissages réciproques et empiriques nés de conversations entre amants. Ils en sont d'ailleurs conscients : « je ne connais pas les mots français[32]», se plaint un officier.
En conséquence, ces difficultés brouillent la compréhension du message tant pour le destinataire que pour l’historien.ne. Cependant, elles n’empêchent pas les individus d’écrire, en cohérence avec la diffusion des pratiques épistolaires depuis le XIXe siècle et l’intensification des échanges écrits en temps de guerre[33]. Si Martin Humburg estime à 40 milliards le nombre total d'envois postaux par la Feldpost (la poste militaire allemande) entre 1938 et 1945[34], ceux-ci ne sont pas toujours sans susciter de difficultés de rédaction. « Ce n’est pas mon habitude car je ne peux déjà pas si bien écrire des lettres[35]» explique le soldat S. à Suzanne. À l'inverse, au moins vingt épistolières travaillent dans le domaine du commerce ou des services. Ce type de profession suggère non seulement leur pratique habituelle de l'écrit mais également leur grande exposition aux troupes d'occupation qui emploient de la main-d'œuvre locale, contredisant par là-même les préceptes de la Révolution nationale[36] : sur quarante-six femmes, dix-sept sont embauchées pour le compte des Allemands. Au-delà de l'opportunité professionnelle, évoluer au milieu de troupes allemandes a pu constituer une occasion de nouvelles rencontres pour des femmes dont la condition sociale plutôt modeste prédispose peu à une ascension sociale.
Fig. 1 : AD61 – 2W50 – Dossier de Colette L.- Lettre et photo de son amant Bruno
3. L'attente rythmée par les postes et les affectations
Diverses stratégies sont évoquées pour tirer le meilleur parti de chaque poste à leur disposition : la Poste française, dirigée par le ministère des Postes, Télégraphes et Télécommunications, ou la Feldpost, dépendant du ministère de la poste du Reich et de la Wehrmacht[37]. Il semble qu'en réalité les correspondances mobilisent souvent les deux services, au gré des situations personnelles. Ainsi, la poste française permet de se soustraire à la censure allemande[38], à l'exemple de la contradictoire lettre d'Adolf : « Impossible d’envoyer en correspondance par la Feldpost, c’est dangereux pour moi […]. Tout ce qui s’est passé dans les derniers deux mois pour mon compte je ne peux pas te l’écrire car je suis soldat »[39]. Sa réserve à s'exprimer alors qu'il utilise la poste française suggère la permanence de l'autocensure qui le guide. Cela ne l'empêche pas pour autant d'exprimer l'affection qu'il ressent pour Germaine. Par l'entretien d'une correspondance, les individus tentent de prolonger leur idylle au-delà de la séparation physique. Les auditions policières menées après l'Occupation donnent ainsi des précisions sur la longévité de ces relations intimes. Or, les dates reportées sur les entêtes de ces lettres ne correspondent pas toujours à celles données aux enquêteurs. Jeanne B. circonscrit ainsi sa relation au départ en Russie de son amant, en novembre 1943, bien que leur correspondance se soit poursuivie au moins jusqu'en mars 1944[40]. Volonté d'amenuiser la durée d'une relation ou véritable sensation de rupture après la séparation physique ?
Dans tous les cas, les lettres ne font que maintenir une relation sentimentale dont le fonctionnement est inévitablement modifié par la distance. En effet, ces lettres ne s'inscrivent pas dans la même temporalité : l'évocation d'événements, de sentiments et d'émotions n'est pas reçue et comprise comme elle est pensée par le locuteur, puisque la communication est différée par le temps des trajets postaux. La correspondance entre Otto et Christiane est sur ce point révélatrice : d'une lettre envoyée tous les deux mois lorsqu'il est sur le front de l'Est, ce délai passe à une dizaine de jours en moyenne quand il revient en France à partir de l'été 1943. La distance étire logiquement la dynamique de la correspondance, ce qui explique les irrégularités révélées par la comptabilité entretenues par certains épistoliers. Des lettres sont envoyées avant même la réception d'une autre, brouillant la communication entre amants. Le rapport au temps des épistoliers finit même par sembler s'aligner sur celui des correspondances qui rythment leur quotidien, jusqu'à la dépendance émotionnelle : « Tu sais moi je pense sans cesse à toi […] je n’ai plus que tes lettres en ce moment qui me font penser à toi[41] ». Cette situation personnelle ne reflète pas l'ensemble du corpus dont les thèmes s'inscrivent majoritairement dans le pragmatisme du quotidien.
II. De l'ordinaire des lettres en temps de guerre à des promesses d'engagement en temps de paix
1. Prédominance du quotidien et illusion de normalité
La valeur heuristique d'une analyse lexicométrique des lettres de ce corpus se heurte aux multiples opérations de traduction qu'elles ont subies. Néanmoins, la méthode de classification hiérarchique descendante a permis de dégager quatre grandes classes thématiques[42]. La classe 1 regroupe des termes du champ lexical de l'épistolaire. La classe 2 évoque le temps, plus particulièrement un futur lié à l'idée de bonheur et de retrouvailles. La classe 3 relève de la sphère du quotidien et la classe 4 des sentiments. Les classes 1, 2 et 3 se recoupent, dans le sens où elles touchent au domaine du vécu et de l'ordinaire. Les amants parlent avant tout de leurs propres échanges épistolaires qui constituent quasi systématiquement l'amorce des lettres. C'est l'entrée en matière habituelle, qui fait le lien avec la lettre précédente et maintient l'illusion d'une conversation continue. Dans le même sens, la classe 3 relève d'échanges assez pragmatiques, évoquant le quotidien et donnant l'impression d'une continuité de normalité. Le travail, la météo, les repas ou encore les festivités sont des thèmes plutôt simples qui transcendent les difficultés linguistiques et dont le but est de créer une proximité fictive. Quant aux occupants, ils évoquent en surface leur journée, localisent leur stationnement et bien souvent, le commentent. Heinz, arrivé dans la commune des Trois-Pierres, raconte : « Nous avons une très belle chambre et nous nous sentons très à l'aise[43]». Ainsi, les contrôles aléatoires et la censure de la Feldpost n'empêchent pas les soldats de commenter leur quotidien. Les mots rassurants de Frank depuis la Russie s'alignent néanmoins sur les modèles diffusés par le département de propagande de l'Oberkommando der Wehrmacht : « ne pense pas que j’ai froid. Nous avons des bons vêtements pour l’hiver[44]». Ainsi, même si les lettres n'abordent les conditions de vie du front qu'à travers le voile de l'autocensure, elles permettent tout de même le partage des soucis du quotidien, en écho aux lettres écrites par les femmes restées en France. Ces mots peuvent donner l'impression de partager une expérience de guerre, de pâtir d'une souffrance commune.
Pourtant, alors que Christa Hämmerle a montré combien la guerre obnubilait les correspondances entre époux allemands ou autrichiens[45], elle est peu évoquée dans le corpus. Le thème de la guerre est mentionné dans au moins cinquante-huit lettres, mais toujours de façon laconique. Au facteur principal que constitue la crainte de la censure peuvent aussi s'ajouter le désintérêt ou l'incompréhension supposé des lectrices, la volonté de ne pas susciter d'inquiétude ou encore de s'évader des combats. Si la guerre a permis des rencontres, c'est aussi ce qui sépare les épistoliers, d'où, peut-être, un évitement du sujet. Les évocations les plus directes sont des mentions éparses d'événements particuliers propices à la naissance d'angoisses, en premier lieu les bombardements qui sont abordés une vingtaine de fois[46]. L'amant d'Edith s'inquiète après les bombardements sur Rouen à la fin de l'année 1942 : « Quarante bombes sont tombées sur Sotteville le 12 décembre. Prenez garde, mon amour, […] j'ai très peur[47]». L'inquiétude dont font part ces hommes brise l'injonction à la virilité que l'idéologie nazie leur impose[48]. Cette dernière imprègne davantage les dix-huit lettres évoquant, au détour d'une phrase, l'expérience du front russe qui semble faire écho aux poncifs véhiculés par le régime national-socialiste[49]. Ces descriptions tendent globalement à se ressembler, tout comme les lettres du corpus dont la simplicité n'est que le produit de relations exogames qu'elles tentent de consolider.
2. Malgré le statut des épistoliers, de réelles dynamiques de couples
a. L'expression des sentiments
L'entretien d'une correspondance laisse sous-entendre que la relation qui lie les épistoliers s'étend au-delà de l'aventure sexuelle, voire qu'elle repose sur l'existence de réels sentiments : « tu me demandes toujours si je t'aime toujours, si ce n'était pas le cas, je ne t'écrirais pas[50]». Il existe certes toute une gamme possible de relations intimes ayant lié une Française et un Allemand. Celles-ci peuvent être plus ou moins suivies, variablement durables, diversement sincères. Cela peut se limiter, par exemple, à du « badinage » amoureux[51]. Pourtant, pour un nombre de correspondances qu'il est difficile de déterminer, le fait de s'écrire tend à témoigner de relations bien plus profondes que ce que les procédures judiciaires d'après-guerre retiennent. La classe 4 de l'analyse lexicométrique tend ainsi à révéler qu'en dépit de la situation d'occupation, certains épistoliers s'inscrivent dans de réelles dynamiques de couple.
Alors que les sentiments amoureux pèsent de plus en plus dans la constitution d'un couple depuis le XIXe siècle, et ce au-delà des contraintes sociales et familiales[52], les lettres témoignent de bouleversements intérieurs provoqués par la séparation (tristesse, inquiétude, solitude, jalousie). Ceux-ci semblent proportionnels à la rapidité des sentiments ayant lié les deux épistoliers : « je ne comprends pas comment si vite j’ai pu m’éprendre, mais Georges je t’aime[53]». Le temps de la guerre, l'incertitude du lendemain accélèrent les attachements[54], mais l’expression de ces sentiments, si elle est récurrente, reste peu élaborée. Il en est de même pour les évocations de désir sexuel, pourtant exacerbé par la distance. Seuls quelques soldats s'y risquent : « je te presse, je t'embrasse partout en pensées, ton corps, ta bouche[55]». En sus des difficultés linguistiques, on retrouve ce que Clémentine Vidal-Nacquet avait montré au sujet des couples français pendant la Première Guerre mondiale : « le désir de l'autre est, de fait, plus suggéré qu'explicite […], empreint de pudeur et de mesure[56]». Au contraire, il semble constituer un point central de la sociabilité masculine entre soldats. L'analyse des procès-verbaux d'enregistrement de prisonniers de guerre allemands de Sönke Neitzel et Hardal Welzer montre à quel point la sexualité alimente leurs discussions dans un climat d'émulation virile[57]. Ainsi, évoquer des exploits sexuels avec ses camarades, comme un attendu de la sociabilité militaire, semble bien plus simple que de se livrer à la femme désirée.
b. Reconnaissance sociale et prolongement des assignations de genre
Si le statut d'occupant et d'occupée des épistoliers mine l'acceptation de leur union par la société, leurs lettres suggèrent qu'ils n'ont pas vécu en vase clos. En effet, ces relations s'épanouissent dans de nouveaux cercles de sociabilité qui leur offrent la « reconnaissance sociale » que Robert Neuburger a montré comme étant une caractéristique du couple[58]. Cette sociabilité repose sur la fréquentation des autres couples franco-allemands, avec lesquels sont partagées promenades, repas et autres loisirs. Après leur séparation, Edith et Richard s'envoient ainsi régulièrement les salutations réciproques de ce qui paraît être une bande d'amis nouvellement constituée : « J'ai envoyé un message de votre part à Reinhard et Martin, ils vous envoient à nouveau leurs salutations. J'envoie aussi mon amour à Marcelle et Yvette[59] ». Cette vie sociale commune s'enrichit aussi de fréquentations familiales, mentionnées par au moins quatre-vingt-treize lettres : « mon frère te connaît bien et […] tu es très aimée, mon ange »[60]. Le partage de ces moments familiaux et amicaux assure une reconnaissance sociale qui permet aux amants de se forger une identité commune reconnue comme telle par leurs proches.
Au-delà des souvenirs communs, ces lettres reproduisent aussi à distance de véritables fonctionnements de couple. La répartition genrée des rôles se maintient à travers l'envoi de colis alimentaires par exemple. Envoyés par les épistolières à leurs amants, la nature même de ces envois les inscrit dans l'assignation traditionnelle de la femme à la tâche de cuisine qui ne fait que s'étirer dans l'espace. Certains soldats les monnaient par l'envoi de marks, qui s'assimile à la charge faite aux hommes d'assurer une contribution financière au ménage. Encore une fois, c'est un moyen de pallier la séparation qui, pour Yvonne, « est un danger pour notre amour[61] ». Bien davantage que l'exogamie qui singularise ces relations, il apparaît donc que c'est la séparation plus que la guerre elle-même qui préoccupe les couples. Ainsi, certains formulent de réelles promesses d'engagement pour l'avenir.
3. Des désirs d'engagement systématiquement conditionnés à un avenir sans guerre
Les procès-verbaux d'audition des épistolières du corpus n'interrogent pas particulièrement le degré d'engagement de leur relation qui paraissent circonscrites au temps de guerre. Pourtant, la classe 2 de l'analyse lexicométrique révèle combien ces lettres s'ancrent dans le futur. Soixante-cinq lettres évoquent un engagement probable (mariage, enfants) mais seuls six couples s'inscrivent plus concrètement dans la perspective d'un avenir commun, révélatrice d’un processus de construction conjugale. La vie commune, d'abord, est souvent conditionnée à un départ pour l'Allemagne. Certaines femmes s'organisent réellement en ce sens, comme Yvonne qui, à la veille des retrouvailles en juin 1944 s'inquiète de considérations prosaïques : « dois-je apporter quelque chose avec moi comme une casserole, une poêle[62]? ». Mais le Débarquement du 6 juin interrompt leur projet et les lettres cessent.
Comme au moins quatre autres couples, ils avaient envisagé d'officialiser leur relation par le mariage[63]. Yvonne discute ainsi avec Freddy de leur futur statut : « le mot concubine n’est pas mal mais ce n’est pas comme ça que je l’entendais, ici vous comprenez avec ce mot qu’une femme peut vivre avec un homme mais ne peut pas se marier parce que l’homme est déjà marié[64] ». Puni par la loi du 23 décembre 1942[65], « l'entretien de concubine au domicile conjugal », ou l'infidélité de l'homme marié sous son propre toit, fait l'objet d'une réelle stigmatisation de la part du Régime de Vichy. La remarque d'Yvonne suggère donc un significatif souci de légitimité, qui se heurte, d'une part, à la réprobation sociale née de leur statut particulier d'occupant et d'occupée, et d'autre part, à la tentative de répression de ces relations par les autorités allemandes. Soucieuses de la santé des troupes (péril vénérien), de leur sécurité (espionnage), et de préservation raciale, ces dernières tentent de circonscrire toutes relations avec des Françaises aux maisons de tolérance contrôlées. Le 10 septembre 1941, le commandant en chef des troupes d’occupation en France finit par interdire toutes fréquentations en dehors des bordels, à la suite d’attentats[66]. Néanmoins, les soldats sont très loin de s’y conformer. Cette réticence des autorités allemandes, l’hostilité sociale et le contexte d’incertitudes qu’implique le conflit (particulièrement après la reprise des combats sur le territoire en juin 1944) freinent la concrétisation de projets d’engagement qui sont majoritairement repoussés dans un futur de paix. Si c'est la guerre qui a rendu ces histoires possibles, elle empêche aussi leur accomplissement immédiat et conditionne leur rapport au temps perceptible dans les lettres : évocation du passé sur le ton de la nostalgie, du futur sur celui de l'espoir, et d'un présent marqué par le prosaïsme du quotidien.
Alors que les procédures judiciaires en font des affaires exceptionnelles, les lettres décrivent au contraire des histoires plutôt banales. Elles éclairent d'un regard neuf des histoires singulières qui tendent à projeter dans un avenir de paix plus ou moins proche l'établissement d'un modèle conjugal traditionnel. Les lettres laissent donc entendre que les épistoliers envisagent leur vie sentimentale indépendamment du contexte de guerre. Cependant, le poids de l'incertitude, du jugement de la société et de la tentative de contrôle des autorités, s'il est rarement évoqué explicitement dans les correspondances, se perçoit dans le repoussement des engagements futurs, soit hors de France, soit une fois la paix acquise. Si les lettres ne disent rien de l'accomplissement ou non de ces projets, elles constituent aujourd'hui une source précieuse pour l'historien.ne puisqu'elles demeurent l'unique trace de relations intimes souvent dissimulées sous l'Occupation, puis niée ou amoindries dans les procès-verbaux d'après-guerre et enfin, stigmatisées par la justice de l'Épuration.
[1] Virgili Fabrice, La France ''virile'', Des femmes tondues à la Libération, Payot, Paris, 2000 ; Capdevila Luc, « La collaboration ''sentimentale'' : antipatriotisme ou sexualité hors normes ? », Les Cahiers de l'IHTP, Identités féminines et violences politiques (1936-1946), n°31, 1995, p. 67-82.
[2] Virgili, Ibid.
[3] Ce sujet nourrit de nombreuses productions culturelles. Pour ne citer que quelques exemples récents : la BD de Navie et Carole Maurel, Collaboration horizontale (Paris, Delcourt, 2017) ou encore le romans de François Médéline, La Sacrifiée du Vercors (Paris, Éditions 10/18, 2021).
[4] Commandant militaire allemand en France.
[5] Gordon Bertram, « Le tourisme et l’imaginaire érotique à Paris durant la guerre : Français et Allemands pendant l’Occupation, 1940-1944 », Via, décembre 2017, URL: https://journals.openedition.org/viatourism/1716?lang=ca [consulté le 19/02/2020]
[6] Simonin Anne, Le déshonneur dans la République, Une histoire de l’indignité, 1791-1958, Grasset, Paris, 2008.
[7] Capdevila, op. cit.
[8] Calvados, 995W ; Orne, 998W ; Indre-et-Loire, 1119W ; Ille-et-Vilaine, 216W ; Nord, 5W ; Seine-et-Marne, UP ; Somme, 965W ; Loiret, 162W ; Seine-Maritime, 245W ; Ain, 394W ; Alpes-Maritimes, 318W ; Côtes-d'Or, 260W.
[9] Humburg Martin, « Deutsche Feldpostbriefe im Zweiten Weltkrieg – Eine Bestandsaufnahme », in Vogel Detlef, Wette Wolfram (dir.), Andere Helme – andere Menschen ? Heimaterfahrung und Frontalltag im Zweiten Weltkrieg. Ein internationaler Vergleich, Klartext, Essen, 1995, p. 13-35.
[10] Simonet-Tenant Françoise, « Aperçu historique de l’écriture épistolaire : du social à l’intime », Le français aujourd’hui, n°147, 2004/4, p. 35-42 ; Dauphin Cécile, Poublan Danièle, Lebrun-Pézerat Pierrette, Ces bonnes lettres. Une correspondance familiale au XIXe siècle, Albin Michel, Paris, 1995.
[11] Vidal-Nacquet Clémentine, Couples dans la Grande Guerre, Le tragique et l’ordinaire du lien conjugal, Les Belles Lettres, Paris, 2014.
[12] Ibid, p. 21.
[13] Muel-Dreyfus Francine, Vichy et l'éternel féminin. Contribution à une sociologie politique de l'ordre des corps, Seuil, Paris, 1996.
[14] L’ordonnance du 26 décembre 1944 qui abroge celle du 26 août n’inclut pas ce motif non plus. Sur ce point, voir Capdevila, art. cit., p. 67-82.
[15] AN-BB 18 7113.
[16] Ibid, p. 613.
[17] Przygodzki-Lionet Nathalie, « Le témoignage en justice : les apports de la psychologie sociale et cognitive », in Histoire de la justice, Vol. 24, n°1, 2014, p. 115-126.
[18] AD80-965W22 Dossier de procédure d'Odette P.
[19] AD35-216W73 Dossier de procédure de Libuse B.
[20] AD37-1119W65 Dossier de procédure de Hélène S.
[21] AD77-UP 3488 Dossier de procédure de Thérèse B.
[22] AD80-965W13 Dossier de Yolande N.
[23] AD14-998W5 Dossier de Yvonne B.
[24] AD14-998W5 Lettre de Yvonne B. du 19/11/1942.
[25] La dégradation nationale entend punir les individus s’étant rendus coupables d’indignité nationale, autrement dit tous les citoyens qui se sont déclassés par une activité anti-nationale sans forcément enfreindre le code pénal. Elle peut impliquer une privation des droits civiques, une destitution des fonctions ou des grades militaires ou encore des interdictions de séjour ou d'ordre professionnel.
[26] AD35-216W47 Dossier de Yvonne S.
[27] Latzel Klaus, « Feldpostbriefe : Überlegungen zur Aussagekraft einer Quelle », in Hartmann Christian, Hurter Johannes, Jureit Ulrike (dir.), Verbrechen der Wehrmacht. Bilanz einer Debatte, C-H-Beck, Munich, 2015, p. 171-181.
[28] 3 lettres sont écrites en 1940, 24 en 1941, 53 en 1942, 71 en 1943, 136 en 1944, 2 en 1945.
[29] AD76-245W307 Lettres de Otto à Christiane W.
[30] Tholliez Jean-Michel, « La langue, reflet d’une culture : la langue allemande », Cahiers de l’APLIUT, Vol. XXVII, n°3/2008, p. 70-85.
[31] AD69-394W580 Lettre de Richard à Yvette B. du 02/05/1943.
[32] AD14-998W6 Lettre de Karl à Jeanne B. du 02/01/1944.
[33] Dauphin Cécile, « Les correspondances comme objet historique, Un travail sur les limites », Sociétés & Représentations, n°13, 2002/1, p. 43-50 ; Vidal-Nacquet, op. cit., p. 29.
[34] Humburg, art. cit.
[35] AD37-1119W56 Lettre du 12/12/1943.
[36] Fauroux Camille, « Les politiques du travail féminin sous l’Occupation », Travail, Genre et Sociétés, n°42, 2019/2, p. 147 à 163.
[37] Humburg, op. cit.
[38] Humburg, op. cit. ; Ziemann Benjamin, « Feldpostbriefe und ihre Zensur in den zwei Weltkriegen » in Beyrer Klaus et Täubrich Hans-Christian (dir.), Der Brief. Eine Kulturgeschichte der schriftlichen Kommunikation, Braus, Heidelberg, 1996, p. 163-171.
[39] AD57-1119W53 Lettre à Germaine du 06/05/1944.
[40] AD14-998W6 Dossier de Jeanne B.
[41] AD80-965W8 Lettre de Marcelle C. du 30/08/1944.
[42] Logiciel IRaMuTeQ développé par Pierre Ratinaud, laboratoire LERASS (Université de Toulouse), version 0.7 alpha 2, 2020.
[43] AD80-965W5 Lettre de Heinz à Yvette du 02/02/1944.
[44] AD14-998W6 Lettre à Jeanne B. du 11/01/1944.
[45] Hämmerle Christa, « Zur Feldpost der beiden Weltkriege aus frauen – und geschlechtergeschichtlicher Perspektive », in Didczuneit Veit, Ebert Jens, Jander Thomas (dir.), Schreiben im Krieg, Schreiben vom Krieg, Feldpost im Zeitalter der Weltkriege, Klartext Verlag, Essen, 2011, p. 241-252.
[46] 6 mentions en 1942 ; 4 en 1943 ; 11 en 1944.
[47] AD76-245W304 Lettre de Richard à Edith M. du 27/12/1942.
[48] Guillin Christelle, « Corps, culture et propagande nazie », in Inter-Lignes, Institut Catholique de Toulouse, 2012.
[49] Meyran Régis, « Les effets de l'idéologie. La violence des soldats allemands en URSS », in L'Homme, tome 39 n°152, 1999, p. 173-180.
[50] AD80-965W5 Lettre de Yvette à Walter du 08/11/1943.
[51] Mailänder Elissa, Amour, mariage, sexualité, Une histoire intime du nazisme (1930-1950), Le Seuil, Paris, 2021, p. 178.
[52] Pénicaud Blandine, Vidal-Nacquet Vincent, Les révolutions de l’amour, Sexe, couple et bouleversements des mœurs de 1914 à nos jours, Perrin, Paris, 2014, p. 70.
[53] SHD-GR 7 NN 3256, Lettre de Paulette à Georges, non datée.
[54] Vidal-Nacquet, op. cit., p. 393.
[55] AD61-2W43 Lettre de Franz à Paulette P. du 23/07/1944.
[56] Vidal-Nacquet, op. cit., p. 364.
[57] Neitzel Sönke, Welzer Harald, Soldats. Combattre, tuer, mourir : procès-verbaux de récits de soldats allemands, Gallimard, Paris, 2013.
[58] Neuburger, Robert, Les Territoires de l’intime, L’individu, le couple, la famille, Paris, Odile Jacob, 2018, p. 73.
[59] AD76-245W304 Lettre de Richard à Edith M. du 04/09/1942.
[60] AD14-998W7 Lettre de Arthur à Denise F. le 05/10/1942.
[61] AD35-216W47 Lettre de Yvonne S. du 22/03/1944.
[62] AD35-216W47 Lettre de Fredy à Yvonne S. du 05/06/1944.
[63] L’Heiratsverordnung du 7 mai 1940 interdit aux militaires allemands d’épouser les femmes rencontrées lors des campagnes d’Europe du Nord et de l'Ouest (Danemark, Norvège, Pays-Bas, Belgique, France). Une ordonnance de l’OKW du 26 janvier 1942 autorise finalement les unions avec les femmes des pays nordiques jugées « racialement acceptables ». Si la France n’est pas concernée, une certaine tolérance semble exister et certains mariages sont autorisés par le commandement.
[64] AD35-216W47 Lettre de Yvonne S. à Fredy du 01/05/1944.
[65] Olivier Cyril, « Les couples illégitimes dans la France de Vichy et la répression sexuée de l’infidélité (1940-1944) », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, Vol. 9, n°2, 2005, p. 99-123.
[66] AN-AJ/40/871.
Les relations intimes ayant lié des Françaises et des soldats allemands pendant l'Occupation (juin 1940 – juin 1944) est une question qui a suscité l'intérêt des historiens. Des études scientifiques pionnières ont en effet éclairé ce sujet au croisement d'une histoire sociale, d'une histoire des femmes et d'une histoire par le bas[1]. Fabrice Virgili[2] les a ainsi envisagées sous l'angle des tontes faites aux femmes à la Libération, qui constituent aujourd'hui un topos symboliquement très fort dans la mémoire collective[3]. De fait, le départ forcé de 1,6 millions de prisonniers français dans les stalag et oflag d’outre-Rhin ne peut qu'affecter la vie sentimentale des couples séparés et des femmes célibataires qui se retrouvent dès lors sur un marché matrimonial dont l'effectif masculin est considérablement appauvri. Dans le même temps, les troupes d'occupation, sous le commandement du Militärbefehlshaber in Frankreich[4], s'installent dans les départements de la zone nord et intègrent le quotidien de 40 millions de vaincu.e.s, dont la part féminine pâtit, à l’étranger, d’une réputation sulfureuse[5]. Naissent alors des relations intimes entre occupants et occupées, allant de l'éphémère aventure sexuelle à la naissance de véritables couples. Or la nature même de ces relations, exogames en ce qu'elles lient des individus de nationalités et de statuts différents (allemand/français, occupant/occupée) explique le peu de sources mobilisables par l'historien.ne, si ce n'est celles produites dans le cadre des poursuites pour indignité nationale[6] définies par l'ordonnance du 26 août 1944. C'est donc surtout sous l'angle répressif que ces relations ont été abordées, à partir des dossiers de procédure de chambres civiques conservés dans les archives départementales et composés de procès-verbaux d'enquêtes et de multiples pièces de forme. Or cette entrée judiciaire présente avant tout ces relations comme des entorses à la fidélité nationale et tend à réduire les accusées à l'unique portrait de la « femme débauchée[7] ». Autrement dit, le biais répressif permet d'accéder aux représentations collectives de genre d'une nation blessée par la guerre plutôt qu'aux relations reprochées aux incriminées.
Une source alternative conservée dans ces dossiers permet davantage d'approcher le fonctionnement intime des relations franco-allemandes : les lettres échangées entre amants. Notre corpus est ainsi composé de 325 lettres, principalement collectées dans divers centres d'archives départementales[8]. La première date d'août 1940 et la dernière de l'année 1945. Cette étude se situe pleinement dans la revalorisation des lettres ordinaires en tant que source et objet de recherche débutée dans les années 1980[9]. Si la source épistolaire répond à des codes particuliers et ne reflète pas la stricte réalité[10], elle permet d'approcher avec plus de nuances l'intimité de couples bouleversés par le conflit. Ainsi, à partir de lettres échangées par des couples français, Clémentine Vidal-Nacquet a p. souligner le rôle joué par la Première Guerre mondiale dans l’émergence du couple moderne[11]. Bien que la Grande Guerre ait accéléré la valorisation du sentiment amoureux au sein des unions[12], les lettres de notre corpus s'inscrivent aussi dans le climat de puritanisme conservateur instauré dans le cadre de la Révolution nationale du Régime de Vichy qui exerce sa souveraineté sur tout le territoire[13]. En outre, une composante essentielle de ces couples franco-allemands reste la nationalité et le statut des épistoliers, qui singularisent encore davantage ces relations. Ainsi, alors que le traitement judiciaire et extra-judiciaire d'après-guerre les réduit bien souvent à de simples faits de « débauche », cet article entend offrir une image plus nuancée des idylles franco-allemandes par l'exploitation de la richesse des échanges épistolaires entre occupants et occupées.
I. Comprendre l’intimité de la relation occupant-occupée par l’utilisation conjointe des sources judiciaires et épistolaires
1. Apports et limites des sources judiciaires issues de l'Épuration
L’article 2 de l'ordonnance du 26 août 1944 précisant les faits constitutifs de ce crime ne mentionnent en aucun cas ce qui relèverait d'une collaboration intime[14]. Une grande marge de manœuvre est donc laissée aux juges qui oscillent entre la condamnation d'attitudes répréhensibles aux yeux de la société et l'absence de mention explicite dans les textes législatifs. Le Ministre de la Justice précise au Préfet des Vosges le 10 avril 1945 : « il est possible que dans certaines circonstances, l’attitude des femmes qui [se] sont rendues coupables [d’inconduite notoire avec l’ennemi] a pu […] porter atteinte à l’unité de la nation »[15]. Ainsi, ces actes sexuels ne peuvent être poursuivis en eux-mêmes et sont donc associés à d'autres infractions, pour constituer ce qu'Anne Simonin a appelé le « crime judiciaire de manque de dignité nationale »[16]. Le fondement même des jugements de ces femmes repose principalement sur la preuve d'un engagement politique ou d'un impact social négatif qu'auraient p. provoquer leur idylle, à l'image d'insultes ou de menaces qu'elles auraient proférées à l'encontre d'autres citoyens français.
En outre, les stratégies de dédouanement adoptées par les accusées empêchent également d'accéder pleinement à la réalité des accointances que la justice leur reproche. Sur quarante-six épistolières dont l'identité est suffisamment renseignée, au moins trente avouent, laconiquement. L'audition policière n'est pas le lieu d'épanchements sentimentaux poussés. L’approche par la psychologie sociale et cognitive adoptée par Nathalie Przygodzki-Lionet a montré combien les témoignages peuvent aussi s’altérer sous le poids des conditions matérielles (bruit, températures), sociales et méthodologiques de l’audition[17]. Les informations contenues dans les procès-verbaux d'enquêtes, partiels et partiaux, sont donc à replacer dans leur contexte purement judiciaire. Ainsi, les lettres conservées dans ces dossiers permettent à l'historien.ne de combler les silences de déclarations qui éclairent peu la complexité d'une relation franco-allemande en situation d'occupation.
Retrouvées sur le quai d'une gare[18], découvertes au cours d'une perquisition[19], ou remises à la justice par des témoins[20], elles font figure de preuves matérielles véridiques au sein du processus judiciaire : le Commissaire de Police de Meaux qualifie les photos et les lettres trouvées par le mari d’une accusée de « documents révélateurs[21]». Elles peuvent déclencher une enquête ou alimenter des investigations déjà fondées, se parachevant ensuite par un jugement en chambre civique. Le but de ces poursuites n'est pas de rentrer dans l'intimité d'un couple dont la simple existence constitue déjà une infraction à l'honneur national. Les lettres ne sont donc pas étudiées en détails. Néanmoins, elles s’avèrent être une preuve particulièrement parlante quand les femmes nient ce dont elles sont accusées. Yolande N., femme de prisonnier à Roye, prétend n'avoir entretenu que des relations amicales avec un militaire allemand qu'elle logeait[22]. Or, la lettre qu'elle adresse à Adolf le 9 août 1941 laisse peu de place à l'équivoque : « quel vide cela me fait de ne plus te voir. Je t’aime ». Si les lettres contredisent parfois les déclarations des accusées, elles permettent aussi à l’historien.ne de nuancer les conclusions policières. Un rapport du Commissaire de Police d’Alençon du 15 septembre 1944 dépeint Yvonne B. comme une « vieille fille insatisfaite du point de vue physique [qui] montre sa reconnaissance aux Allemands qui ont su la faire revivre sensuellement, par des sentiments pro-allemands[23]». Or, les lettres qu'elle envoie à son amant entre 1942 et 1943 ne sont pas exemptes de sentiments, pourtant réduits à une simple affaire charnelle : « Tu es ainsi plus proche de mon cœur que jamais[24]». Le vécu de Yvonne B. semble bien plus complexe que le stéréotype genré de la « vieille fille » auquel elle est assignée. L'argument de la « débauche> » est très fréquent dans les témoignages. Pourtant, la plupart des accusées sont célibataires, malgré la présence de douze femmes mariées dont sept femmes de prisonniers de guerre. La plupart des épistolières sont ainsi condamnées à des peines de dégradation nationale[25] pour une durée variant de cinq ans à des peines à vie. Il ne semble pas que les lettres soient mobilisées en détail au moment des jugements Cependant, elles rendent aujourd'hui possible un croisement de sources particulièrement précieux dans le cadre d'affaires judiciaires, d'autant plus qu'elles sont produites du temps même de la relation.
2. À la croisée des langues : apports et enjeux méthodologiques d'un corpus épistolaire
325 lettres ont été collectées, issues de 67 semi-correspondances. Seules les lettres d’une seule des deux parties ayant écrit demeurent, correspondant à celles que les accusées ont conservées (219 lettres sont le fait de soldats et 106 de femmes). La dynamique de l'échange n'est donc suggérée qu'en creux. Quantitativement, ces semi-correspondances sont composées, a minima, d'une seule lettre incluse au sein d’une correspondance plus grande mais manquante, à plus de 60 lettres échangées entre une épistolière bretonne et son amant allemand[26]. Les correspondances les plus longues sont les plus susceptibles de révéler des évolutions, même s'il faut se garder de toute généralisation statistique que ne permet pas ce corpus non représentatif[27]. La majorité des lettres sont écrites en 1944[28], les correspondances les plus fournies du corpus ayant été échangées au cours de la dernière année de la guerre. Enfin, plus de la moitié des épistoliers s’écrivent depuis la France. Les autres soldats écrivent depuis l'Allemagne ou d'une localisation inconnue, et trois d'entre eux sont sur le front russe. La mobilité d'Otto transparaît ainsi particulièrement dans sa correspondance avec Christiane[29]. Après un mois d'une idylle entamée à Rouen en mai 1942, il part une première fois en Russie. Après cinq mois sans écrire, il annonce partir de nouveau pour le front russe en janvier 1943, au sein du Panzer-Grenadier-Regiment 108. Après un détour par l’Estonie, le régiment reconstitué est ensuite transféré dans l'ouest de la France. Otto écrit ses dernières lettres depuis Azay-le-Rideau, puis Parthenay à partir de l'été 1943. La correspondance n'est interrompue que par quelques courtes permissions, si bien que les amants sont séparés pendant plus d'un an. L'acte d'écrire vise ainsi à adoucir l'éloignement d'épistoliers dont la relation est déjà potentiellement minée par son exogamie.
La construction de ces lettres est aussi limitée par des difficultés linguistiques. Seules trois femmes parlent allemand avant la guerre. Maîtriser la langue de l'occupant ou de l'occupée n'est visiblement pas un critère indispensable pour nouer des relations, mais limite néanmoins la retranscription précise des sentiments par écrit. Cette difficulté est particulièrement flagrante pour l’interlocuteur allemand dont la langue est soucieuse de précision[30]. Richard se plaint : « Je regrette toujours de n'avoir pas assez de mots pour pouvoir te dire ce que je sens[31]». Ainsi, 110 lettres sont écrites en français, 215 en allemand, et 155 sont rédigées dans la langue maternelle de l'expéditeur, 170 dans celle du destinataire. Plus d'un amant sur deux prend la peine de traduire sa lettre, seul ou à l'aide d'un tiers (un voisin, un camarade). Si elles ne sont pas rédigées dans la langue du lecteur, les lettres sont traduites à la réception. Ces écrits sont donc linguistiquement assez pauvres et semblent relever d'apprentissages réciproques et empiriques nés de conversations entre amants. Ils en sont d'ailleurs conscients : « je ne connais pas les mots français[32]», se plaint un officier.
En conséquence, ces difficultés brouillent la compréhension du message tant pour le destinataire que pour l’historien.ne. Cependant, elles n’empêchent pas les individus d’écrire, en cohérence avec la diffusion des pratiques épistolaires depuis le XIXe siècle et l’intensification des échanges écrits en temps de guerre[33]. Si Martin Humburg estime à 40 milliards le nombre total d'envois postaux par la Feldpost (la poste militaire allemande) entre 1938 et 1945[34], ceux-ci ne sont pas toujours sans susciter de difficultés de rédaction. « Ce n’est pas mon habitude car je ne peux déjà pas si bien écrire des lettres[35]» explique le soldat S. à Suzanne. À l'inverse, au moins vingt épistolières travaillent dans le domaine du commerce ou des services. Ce type de profession suggère non seulement leur pratique habituelle de l'écrit mais également leur grande exposition aux troupes d'occupation qui emploient de la main-d'œuvre locale, contredisant par là-même les préceptes de la Révolution nationale[36] : sur quarante-six femmes, dix-sept sont embauchées pour le compte des Allemands. Au-delà de l'opportunité professionnelle, évoluer au milieu de troupes allemandes a pu constituer une occasion de nouvelles rencontres pour des femmes dont la condition sociale plutôt modeste prédispose peu à une ascension sociale.
Fig. 1 : AD61 – 2W50 – Dossier de Colette L.- Lettre et photo de son amant Bruno
3. L'attente rythmée par les postes et les affectations
Diverses stratégies sont évoquées pour tirer le meilleur parti de chaque poste à leur disposition : la Poste française, dirigée par le ministère des Postes, Télégraphes et Télécommunications, ou la Feldpost, dépendant du ministère de la poste du Reich et de la Wehrmacht[37]. Il semble qu'en réalité les correspondances mobilisent souvent les deux services, au gré des situations personnelles. Ainsi, la poste française permet de se soustraire à la censure allemande[38], à l'exemple de la contradictoire lettre d'Adolf : « Impossible d’envoyer en correspondance par la Feldpost, c’est dangereux pour moi […]. Tout ce qui s’est passé dans les derniers deux mois pour mon compte je ne peux pas te l’écrire car je suis soldat »[39]. Sa réserve à s'exprimer alors qu'il utilise la poste française suggère la permanence de l'autocensure qui le guide. Cela ne l'empêche pas pour autant d'exprimer l'affection qu'il ressent pour Germaine. Par l'entretien d'une correspondance, les individus tentent de prolonger leur idylle au-delà de la séparation physique. Les auditions policières menées après l'Occupation donnent ainsi des précisions sur la longévité de ces relations intimes. Or, les dates reportées sur les entêtes de ces lettres ne correspondent pas toujours à celles données aux enquêteurs. Jeanne B. circonscrit ainsi sa relation au départ en Russie de son amant, en novembre 1943, bien que leur correspondance se soit poursuivie au moins jusqu'en mars 1944[40]. Volonté d'amenuiser la durée d'une relation ou véritable sensation de rupture après la séparation physique ?
Dans tous les cas, les lettres ne font que maintenir une relation sentimentale dont le fonctionnement est inévitablement modifié par la distance. En effet, ces lettres ne s'inscrivent pas dans la même temporalité : l'évocation d'événements, de sentiments et d'émotions n'est pas reçue et comprise comme elle est pensée par le locuteur, puisque la communication est différée par le temps des trajets postaux. La correspondance entre Otto et Christiane est sur ce point révélatrice : d'une lettre envoyée tous les deux mois lorsqu'il est sur le front de l'Est, ce délai passe à une dizaine de jours en moyenne quand il revient en France à partir de l'été 1943. La distance étire logiquement la dynamique de la correspondance, ce qui explique les irrégularités révélées par la comptabilité entretenues par certains épistoliers. Des lettres sont envoyées avant même la réception d'une autre, brouillant la communication entre amants. Le rapport au temps des épistoliers finit même par sembler s'aligner sur celui des correspondances qui rythment leur quotidien, jusqu'à la dépendance émotionnelle : « Tu sais moi je pense sans cesse à toi […] je n’ai plus que tes lettres en ce moment qui me font penser à toi[41] ». Cette situation personnelle ne reflète pas l'ensemble du corpus dont les thèmes s'inscrivent majoritairement dans le pragmatisme du quotidien.
II. De l'ordinaire des lettres en temps de guerre à des promesses d'engagement en temps de paix
1. Prédominance du quotidien et illusion de normalité
La valeur heuristique d'une analyse lexicométrique des lettres de ce corpus se heurte aux multiples opérations de traduction qu'elles ont subies. Néanmoins, la méthode de classification hiérarchique descendante a permis de dégager quatre grandes classes thématiques[42]. La classe 1 regroupe des termes du champ lexical de l'épistolaire. La classe 2 évoque le temps, plus particulièrement un futur lié à l'idée de bonheur et de retrouvailles. La classe 3 relève de la sphère du quotidien et la classe 4 des sentiments. Les classes 1, 2 et 3 se recoupent, dans le sens où elles touchent au domaine du vécu et de l'ordinaire. Les amants parlent avant tout de leurs propres échanges épistolaires qui constituent quasi systématiquement l'amorce des lettres. C'est l'entrée en matière habituelle, qui fait le lien avec la lettre précédente et maintient l'illusion d'une conversation continue. Dans le même sens, la classe 3 relève d'échanges assez pragmatiques, évoquant le quotidien et donnant l'impression d'une continuité de normalité. Le travail, la météo, les repas ou encore les festivités sont des thèmes plutôt simples qui transcendent les difficultés linguistiques et dont le but est de créer une proximité fictive. Quant aux occupants, ils évoquent en surface leur journée, localisent leur stationnement et bien souvent, le commentent. Heinz, arrivé dans la commune des Trois-Pierres, raconte : « Nous avons une très belle chambre et nous nous sentons très à l'aise[43]». Ainsi, les contrôles aléatoires et la censure de la Feldpost n'empêchent pas les soldats de commenter leur quotidien. Les mots rassurants de Frank depuis la Russie s'alignent néanmoins sur les modèles diffusés par le département de propagande de l'Oberkommando der Wehrmacht : « ne pense pas que j’ai froid. Nous avons des bons vêtements pour l’hiver[44]». Ainsi, même si les lettres n'abordent les conditions de vie du front qu'à travers le voile de l'autocensure, elles permettent tout de même le partage des soucis du quotidien, en écho aux lettres écrites par les femmes restées en France. Ces mots peuvent donner l'impression de partager une expérience de guerre, de pâtir d'une souffrance commune.
Pourtant, alors que Christa Hämmerle a montré combien la guerre obnubilait les correspondances entre époux allemands ou autrichiens[45], elle est peu évoquée dans le corpus. Le thème de la guerre est mentionné dans au moins cinquante-huit lettres, mais toujours de façon laconique. Au facteur principal que constitue la crainte de la censure peuvent aussi s'ajouter le désintérêt ou l'incompréhension supposé des lectrices, la volonté de ne pas susciter d'inquiétude ou encore de s'évader des combats. Si la guerre a permis des rencontres, c'est aussi ce qui sépare les épistoliers, d'où, peut-être, un évitement du sujet. Les évocations les plus directes sont des mentions éparses d'événements particuliers propices à la naissance d'angoisses, en premier lieu les bombardements qui sont abordés une vingtaine de fois[46]. L'amant d'Edith s'inquiète après les bombardements sur Rouen à la fin de l'année 1942 : « Quarante bombes sont tombées sur Sotteville le 12 décembre. Prenez garde, mon amour, […] j'ai très peur[47]». L'inquiétude dont font part ces hommes brise l'injonction à la virilité que l'idéologie nazie leur impose[48]. Cette dernière imprègne davantage les dix-huit lettres évoquant, au détour d'une phrase, l'expérience du front russe qui semble faire écho aux poncifs véhiculés par le régime national-socialiste[49]. Ces descriptions tendent globalement à se ressembler, tout comme les lettres du corpus dont la simplicité n'est que le produit de relations exogames qu'elles tentent de consolider.
2. Malgré le statut des épistoliers, de réelles dynamiques de couples
a. L'expression des sentiments
L'entretien d'une correspondance laisse sous-entendre que la relation qui lie les épistoliers s'étend au-delà de l'aventure sexuelle, voire qu'elle repose sur l'existence de réels sentiments : « tu me demandes toujours si je t'aime toujours, si ce n'était pas le cas, je ne t'écrirais pas[50]». Il existe certes toute une gamme possible de relations intimes ayant lié une Française et un Allemand. Celles-ci peuvent être plus ou moins suivies, variablement durables, diversement sincères. Cela peut se limiter, par exemple, à du « badinage » amoureux[51]. Pourtant, pour un nombre de correspondances qu'il est difficile de déterminer, le fait de s'écrire tend à témoigner de relations bien plus profondes que ce que les procédures judiciaires d'après-guerre retiennent. La classe 4 de l'analyse lexicométrique tend ainsi à révéler qu'en dépit de la situation d'occupation, certains épistoliers s'inscrivent dans de réelles dynamiques de couple.
Alors que les sentiments amoureux pèsent de plus en plus dans la constitution d'un couple depuis le XIXe siècle, et ce au-delà des contraintes sociales et familiales[52], les lettres témoignent de bouleversements intérieurs provoqués par la séparation (tristesse, inquiétude, solitude, jalousie). Ceux-ci semblent proportionnels à la rapidité des sentiments ayant lié les deux épistoliers : « je ne comprends pas comment si vite j’ai pu m’éprendre, mais Georges je t’aime[53]». Le temps de la guerre, l'incertitude du lendemain accélèrent les attachements[54], mais l’expression de ces sentiments, si elle est récurrente, reste peu élaborée. Il en est de même pour les évocations de désir sexuel, pourtant exacerbé par la distance. Seuls quelques soldats s'y risquent : « je te presse, je t'embrasse partout en pensées, ton corps, ta bouche[55]». En sus des difficultés linguistiques, on retrouve ce que Clémentine Vidal-Nacquet avait montré au sujet des couples français pendant la Première Guerre mondiale : « le désir de l'autre est, de fait, plus suggéré qu'explicite […], empreint de pudeur et de mesure[56]». Au contraire, il semble constituer un point central de la sociabilité masculine entre soldats. L'analyse des procès-verbaux d'enregistrement de prisonniers de guerre allemands de Sönke Neitzel et Hardal Welzer montre à quel point la sexualité alimente leurs discussions dans un climat d'émulation virile[57]. Ainsi, évoquer des exploits sexuels avec ses camarades, comme un attendu de la sociabilité militaire, semble bien plus simple que de se livrer à la femme désirée.
b. Reconnaissance sociale et prolongement des assignations de genre
Si le statut d'occupant et d'occupée des épistoliers mine l'acceptation de leur union par la société, leurs lettres suggèrent qu'ils n'ont pas vécu en vase clos. En effet, ces relations s'épanouissent dans de nouveaux cercles de sociabilité qui leur offrent la « reconnaissance sociale » que Robert Neuburger a montré comme étant une caractéristique du couple[58]. Cette sociabilité repose sur la fréquentation des autres couples franco-allemands, avec lesquels sont partagées promenades, repas et autres loisirs. Après leur séparation, Edith et Richard s'envoient ainsi régulièrement les salutations réciproques de ce qui paraît être une bande d'amis nouvellement constituée : « J'ai envoyé un message de votre part à Reinhard et Martin, ils vous envoient à nouveau leurs salutations. J'envoie aussi mon amour à Marcelle et Yvette[59] ». Cette vie sociale commune s'enrichit aussi de fréquentations familiales, mentionnées par au moins quatre-vingt-treize lettres : « mon frère te connaît bien et […] tu es très aimée, mon ange »[60]. Le partage de ces moments familiaux et amicaux assure une reconnaissance sociale qui permet aux amants de se forger une identité commune reconnue comme telle par leurs proches.
Au-delà des souvenirs communs, ces lettres reproduisent aussi à distance de véritables fonctionnements de couple. La répartition genrée des rôles se maintient à travers l'envoi de colis alimentaires par exemple. Envoyés par les épistolières à leurs amants, la nature même de ces envois les inscrit dans l'assignation traditionnelle de la femme à la tâche de cuisine qui ne fait que s'étirer dans l'espace. Certains soldats les monnaient par l'envoi de marks, qui s'assimile à la charge faite aux hommes d'assurer une contribution financière au ménage. Encore une fois, c'est un moyen de pallier la séparation qui, pour Yvonne, « est un danger pour notre amour[61] ». Bien davantage que l'exogamie qui singularise ces relations, il apparaît donc que c'est la séparation plus que la guerre elle-même qui préoccupe les couples. Ainsi, certains formulent de réelles promesses d'engagement pour l'avenir.
3. Des désirs d'engagement systématiquement conditionnés à un avenir sans guerre
Les procès-verbaux d'audition des épistolières du corpus n'interrogent pas particulièrement le degré d'engagement de leur relation qui paraissent circonscrites au temps de guerre. Pourtant, la classe 2 de l'analyse lexicométrique révèle combien ces lettres s'ancrent dans le futur. Soixante-cinq lettres évoquent un engagement probable (mariage, enfants) mais seuls six couples s'inscrivent plus concrètement dans la perspective d'un avenir commun, révélatrice d’un processus de construction conjugale. La vie commune, d'abord, est souvent conditionnée à un départ pour l'Allemagne. Certaines femmes s'organisent réellement en ce sens, comme Yvonne qui, à la veille des retrouvailles en juin 1944 s'inquiète de considérations prosaïques : « dois-je apporter quelque chose avec moi comme une casserole, une poêle[62]? ». Mais le Débarquement du 6 juin interrompt leur projet et les lettres cessent.
Comme au moins quatre autres couples, ils avaient envisagé d'officialiser leur relation par le mariage[63]. Yvonne discute ainsi avec Freddy de leur futur statut : « le mot concubine n’est pas mal mais ce n’est pas comme ça que je l’entendais, ici vous comprenez avec ce mot qu’une femme peut vivre avec un homme mais ne peut pas se marier parce que l’homme est déjà marié[64] ». Puni par la loi du 23 décembre 1942[65], « l'entretien de concubine au domicile conjugal », ou l'infidélité de l'homme marié sous son propre toit, fait l'objet d'une réelle stigmatisation de la part du Régime de Vichy. La remarque d'Yvonne suggère donc un significatif souci de légitimité, qui se heurte, d'une part, à la réprobation sociale née de leur statut particulier d'occupant et d'occupée, et d'autre part, à la tentative de répression de ces relations par les autorités allemandes. Soucieuses de la santé des troupes (péril vénérien), de leur sécurité (espionnage), et de préservation raciale, ces dernières tentent de circonscrire toutes relations avec des Françaises aux maisons de tolérance contrôlées. Le 10 septembre 1941, le commandant en chef des troupes d’occupation en France finit par interdire toutes fréquentations en dehors des bordels, à la suite d’attentats[66]. Néanmoins, les soldats sont très loin de s’y conformer. Cette réticence des autorités allemandes, l’hostilité sociale et le contexte d’incertitudes qu’implique le conflit (particulièrement après la reprise des combats sur le territoire en juin 1944) freinent la concrétisation de projets d’engagement qui sont majoritairement repoussés dans un futur de paix. Si c'est la guerre qui a rendu ces histoires possibles, elle empêche aussi leur accomplissement immédiat et conditionne leur rapport au temps perceptible dans les lettres : évocation du passé sur le ton de la nostalgie, du futur sur celui de l'espoir, et d'un présent marqué par le prosaïsme du quotidien.
Alors que les procédures judiciaires en font des affaires exceptionnelles, les lettres décrivent au contraire des histoires plutôt banales. Elles éclairent d'un regard neuf des histoires singulières qui tendent à projeter dans un avenir de paix plus ou moins proche l'établissement d'un modèle conjugal traditionnel. Les lettres laissent donc entendre que les épistoliers envisagent leur vie sentimentale indépendamment du contexte de guerre. Cependant, le poids de l'incertitude, du jugement de la société et de la tentative de contrôle des autorités, s'il est rarement évoqué explicitement dans les correspondances, se perçoit dans le repoussement des engagements futurs, soit hors de France, soit une fois la paix acquise. Si les lettres ne disent rien de l'accomplissement ou non de ces projets, elles constituent aujourd'hui une source précieuse pour l'historien.ne puisqu'elles demeurent l'unique trace de relations intimes souvent dissimulées sous l'Occupation, puis niée ou amoindries dans les procès-verbaux d'après-guerre et enfin, stigmatisées par la justice de l'Épuration.
[1] Virgili Fabrice, La France ''virile'', Des femmes tondues à la Libération, Payot, Paris, 2000 ; Capdevila Luc, « La collaboration ''sentimentale'' : antipatriotisme ou sexualité hors normes ? », Les Cahiers de l'IHTP, Identités féminines et violences politiques (1936-1946), n°31, 1995, p. 67-82.
[2] Virgili, Ibid.
[3] Ce sujet nourrit de nombreuses productions culturelles. Pour ne citer que quelques exemples récents : la BD de Navie et Carole Maurel, Collaboration horizontale (Paris, Delcourt, 2017) ou encore le romans de François Médéline, La Sacrifiée du Vercors (Paris, Éditions 10/18, 2021).
[4] Commandant militaire allemand en France.
[5] Gordon Bertram, « Le tourisme et l’imaginaire érotique à Paris durant la guerre : Français et Allemands pendant l’Occupation, 1940-1944 », Via, décembre 2017, URL: https://journals.openedition.org/viatourism/1716?lang=ca [consulté le 19/02/2020]
[6] Simonin Anne, Le déshonneur dans la République, Une histoire de l’indignité, 1791-1958, Grasset, Paris, 2008.
[7] Capdevila, op. cit.
[8] Calvados, 995W ; Orne, 998W ; Indre-et-Loire, 1119W ; Ille-et-Vilaine, 216W ; Nord, 5W ; Seine-et-Marne, UP ; Somme, 965W ; Loiret, 162W ; Seine-Maritime, 245W ; Ain, 394W ; Alpes-Maritimes, 318W ; Côtes-d'Or, 260W.
[9] Humburg Martin, « Deutsche Feldpostbriefe im Zweiten Weltkrieg – Eine Bestandsaufnahme », in Vogel Detlef, Wette Wolfram (dir.), Andere Helme – andere Menschen ? Heimaterfahrung und Frontalltag im Zweiten Weltkrieg. Ein internationaler Vergleich, Klartext, Essen, 1995, p. 13-35.
[10] Simonet-Tenant Françoise, « Aperçu historique de l’écriture épistolaire : du social à l’intime », Le français aujourd’hui, n°147, 2004/4, p. 35-42 ; Dauphin Cécile, Poublan Danièle, Lebrun-Pézerat Pierrette, Ces bonnes lettres. Une correspondance familiale au XIXe siècle, Albin Michel, Paris, 1995.
[11] Vidal-Nacquet Clémentine, Couples dans la Grande Guerre, Le tragique et l’ordinaire du lien conjugal, Les Belles Lettres, Paris, 2014.
[12] Ibid, p. 21.
[13] Muel-Dreyfus Francine, Vichy et l'éternel féminin. Contribution à une sociologie politique de l'ordre des corps, Seuil, Paris, 1996.
[14] L’ordonnance du 26 décembre 1944 qui abroge celle du 26 août n’inclut pas ce motif non plus. Sur ce point, voir Capdevila, art. cit., p. 67-82.
[15] AN-BB 18 7113.
[16] Ibid, p. 613.
[17] Przygodzki-Lionet Nathalie, « Le témoignage en justice : les apports de la psychologie sociale et cognitive », in Histoire de la justice, Vol. 24, n°1, 2014, p. 115-126.
[18] AD80-965W22 Dossier de procédure d'Odette P.
[19] AD35-216W73 Dossier de procédure de Libuse B.
[20] AD37-1119W65 Dossier de procédure de Hélène S.
[21] AD77-UP 3488 Dossier de procédure de Thérèse B.
[22] AD80-965W13 Dossier de Yolande N.
[23] AD14-998W5 Dossier de Yvonne B.
[24] AD14-998W5 Lettre de Yvonne B. du 19/11/1942.
[25] La dégradation nationale entend punir les individus s’étant rendus coupables d’indignité nationale, autrement dit tous les citoyens qui se sont déclassés par une activité anti-nationale sans forcément enfreindre le code pénal. Elle peut impliquer une privation des droits civiques, une destitution des fonctions ou des grades militaires ou encore des interdictions de séjour ou d'ordre professionnel.
[26] AD35-216W47 Dossier de Yvonne S.
[27] Latzel Klaus, « Feldpostbriefe : Überlegungen zur Aussagekraft einer Quelle », in Hartmann Christian, Hurter Johannes, Jureit Ulrike (dir.), Verbrechen der Wehrmacht. Bilanz einer Debatte, C-H-Beck, Munich, 2015, p. 171-181.
[28] 3 lettres sont écrites en 1940, 24 en 1941, 53 en 1942, 71 en 1943, 136 en 1944, 2 en 1945.
[29] AD76-245W307 Lettres de Otto à Christiane W.
[30] Tholliez Jean-Michel, « La langue, reflet d’une culture : la langue allemande », Cahiers de l’APLIUT, Vol. XXVII, n°3/2008, p. 70-85.
[31] AD69-394W580 Lettre de Richard à Yvette B. du 02/05/1943.
[32] AD14-998W6 Lettre de Karl à Jeanne B. du 02/01/1944.
[33] Dauphin Cécile, « Les correspondances comme objet historique, Un travail sur les limites », Sociétés & Représentations, n°13, 2002/1, p. 43-50 ; Vidal-Nacquet, op. cit., p. 29.
[34] Humburg, art. cit.
[35] AD37-1119W56 Lettre du 12/12/1943.
[36] Fauroux Camille, « Les politiques du travail féminin sous l’Occupation », Travail, Genre et Sociétés, n°42, 2019/2, p. 147 à 163.
[37] Humburg, op. cit.
[38] Humburg, op. cit. ; Ziemann Benjamin, « Feldpostbriefe und ihre Zensur in den zwei Weltkriegen » in Beyrer Klaus et Täubrich Hans-Christian (dir.), Der Brief. Eine Kulturgeschichte der schriftlichen Kommunikation, Braus, Heidelberg, 1996, p. 163-171.
[39] AD57-1119W53 Lettre à Germaine du 06/05/1944.
[40] AD14-998W6 Dossier de Jeanne B.
[41] AD80-965W8 Lettre de Marcelle C. du 30/08/1944.
[42] Logiciel IRaMuTeQ développé par Pierre Ratinaud, laboratoire LERASS (Université de Toulouse), version 0.7 alpha 2, 2020.
[43] AD80-965W5 Lettre de Heinz à Yvette du 02/02/1944.
[44] AD14-998W6 Lettre à Jeanne B. du 11/01/1944.
[45] Hämmerle Christa, « Zur Feldpost der beiden Weltkriege aus frauen – und geschlechtergeschichtlicher Perspektive », in Didczuneit Veit, Ebert Jens, Jander Thomas (dir.), Schreiben im Krieg, Schreiben vom Krieg, Feldpost im Zeitalter der Weltkriege, Klartext Verlag, Essen, 2011, p. 241-252.
[46] 6 mentions en 1942 ; 4 en 1943 ; 11 en 1944.
[47] AD76-245W304 Lettre de Richard à Edith M. du 27/12/1942.
[48] Guillin Christelle, « Corps, culture et propagande nazie », in Inter-Lignes, Institut Catholique de Toulouse, 2012.
[49] Meyran Régis, « Les effets de l'idéologie. La violence des soldats allemands en URSS », in L'Homme, tome 39 n°152, 1999, p. 173-180.
[50] AD80-965W5 Lettre de Yvette à Walter du 08/11/1943.
[51] Mailänder Elissa, Amour, mariage, sexualité, Une histoire intime du nazisme (1930-1950), Le Seuil, Paris, 2021, p. 178.
[52] Pénicaud Blandine, Vidal-Nacquet Vincent, Les révolutions de l’amour, Sexe, couple et bouleversements des mœurs de 1914 à nos jours, Perrin, Paris, 2014, p. 70.
[53] SHD-GR 7 NN 3256, Lettre de Paulette à Georges, non datée.
[54] Vidal-Nacquet, op. cit., p. 393.
[55] AD61-2W43 Lettre de Franz à Paulette P. du 23/07/1944.
[56] Vidal-Nacquet, op. cit., p. 364.
[57] Neitzel Sönke, Welzer Harald, Soldats. Combattre, tuer, mourir : procès-verbaux de récits de soldats allemands, Gallimard, Paris, 2013.
[58] Neuburger, Robert, Les Territoires de l’intime, L’individu, le couple, la famille, Paris, Odile Jacob, 2018, p. 73.
[59] AD76-245W304 Lettre de Richard à Edith M. du 04/09/1942.
[60] AD14-998W7 Lettre de Arthur à Denise F. le 05/10/1942.
[61] AD35-216W47 Lettre de Yvonne S. du 22/03/1944.
[62] AD35-216W47 Lettre de Fredy à Yvonne S. du 05/06/1944.
[63] L’Heiratsverordnung du 7 mai 1940 interdit aux militaires allemands d’épouser les femmes rencontrées lors des campagnes d’Europe du Nord et de l'Ouest (Danemark, Norvège, Pays-Bas, Belgique, France). Une ordonnance de l’OKW du 26 janvier 1942 autorise finalement les unions avec les femmes des pays nordiques jugées « racialement acceptables ». Si la France n’est pas concernée, une certaine tolérance semble exister et certains mariages sont autorisés par le commandement.
[64] AD35-216W47 Lettre de Yvonne S. à Fredy du 01/05/1944.
[65] Olivier Cyril, « Les couples illégitimes dans la France de Vichy et la répression sexuée de l’infidélité (1940-1944) », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, Vol. 9, n°2, 2005, p. 99-123.
[66] AN-AJ/40/871.
Bibliographie
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Rouquet François, Virgili Fabrice, Voldman Danièle (dir.), Amours, guerres et sexualité, 1914-1945, Gallimard, BDIC/Musée de l’Armée, Paris, 200.
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Virgili Fabrice, La France ''virile'', Des femmes tondues à la Libération, Payot, Paris, 2000.